Harper, Ignatieff, Layton et la droite religieuse

2011/04/29 | Par Pierre Dubuc


Dans le livre que nous avons consacré à Stephen Harper en 2006 – Le vrai visage de Stephen Harper (Éditions Trois-Pistoles), nous citions son discours devant le groupe conservateur Civitas Society, prononcé en 2003, dans lequel il définissait sa stratégie politique.

Après avoir rappelé que le libéralisme classique d’Adam Smith et le conservatisme social classique d’Edmund Burke avaient fusionné au XXe siècle pour combattre le socialisme, Stephen Harper – après s’être réjoui de constater que les révolutions thatchérienne et reaganienne avaient triomphé au plan économique – déclarait que la lutte devait dorénavant porter sur le terrain des valeurs sociales.



L’objectif : les valeurs sociales

Le véritable ennemi n’était plus le socialisme, mais le relativisme moral. Le chef conservateur affirmait vouloir redonner plus de pouvoir aux familles dans l’éducation des enfants, les appuyer par une législation sévère contre les jeunes contrevenants, et revaloriser l’institution du mariage en accordant plus d’importance aux valeurs religieuses.

Stephen Harper y allait également d’un vibrant plaidoyer en faveur de l’intervention du Canada aux côtés des États-Unis dans la guerre contre le terrorisme. « La politique extérieure du Canada doit également reposer sur les valeurs morales du Bien contre le Mal », lançait-il.

M. Harper est un habile politicien. Il avait prévenu ses partisans de bien choisir le terrain des luttes à venir en s’assurant de ne pas diviser les rangs des conservateurs. « L’important, déclarait-il à la Civitas Society, c’est d’aller dans la bonne direction, même si c’est lentement. »

Force est de constater qu’il s’en est tenu à son plan de match. Le Canada, que Stephen Harper aurait bien voulu voir intervenir aux côtés des États-Unis en Irak, est aujourd’hui enlisé en Afghanistan et fait partie de la courte liste des pays de l’OTAN à faire la guerre en Libye.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2006, le gouvernement Harper a fait passer le budget militaire de 14,8 milliards $ à 21,2 milliards $, soit une augmentation de 44 %. Il a prévu y consacrer 490 milliards au cours des vingt prochaines années.

Au plan économique, il poursuit sa croisade néolibérale contre le « socialisme », avec des baisses d’impôts pour les entreprises, un soutien à ses amis de l’industrie pétrolière, ce qui va se traduire par un fardeau fiscal accru pour les particuliers et une diminution des services sociaux par suite d’une importante réduction du rôle de l’État. »



« Aller dans la bonne direction, même si c’est lentement »

Au chapitre des valeurs, il s’en tient à son principe « d’aller dans la bonne direction, même si c’est lentement ». Sa promesse de fractionnement des revenus pour fins d’impôt rendrait plus attrayante la place de la femme au foyer. De nouvelles prisons seront construites pour accueillir les jeunes contrevenants. Et M. Harper s’est déclaré personnellement en faveur du rétablissement de la peine de mort, tout en nous assurant que son gouvernement ne présenterait pas de législations à cet effet, tout comme il ne chercherait pas à recriminaliser l’avortement ou à interdire les mariages gais.

Sans doute juge-t-il qu’une des conditions nécessaires pour faire triompher ses valeurs de droite est une modification de la composition de la Cour suprême. S’il est réélu pour un mandat quatre ans à la tête d’un gouvernement majoritaire, il aura la possibilité de nommer trois nouveaux juges à la Cour suprême. (Les juges doivent démissionner lorsqu’ils atteignent l’âge de 75 ans). Soyons assurés qu’il nommera des juges aux valeurs conservatrices.

À l’époque du Reform Party, M. Harper était contre le gouvernement par les juges. Mais il était aussi contre le Sénat, jusqu’à ce qu’il puisse y nommer une majorité partageant ses idées de droite. Il en sera de même avec la Cour suprême.


La montée des sectes protestantes, plus importante que l’Islam

Stephen Harper a noué des liens étroits avec l’establishment militaire et le lobby pétrolier, mais également avec la droite religieuse au Canada anglais et au Québec. Le Premier ministre s’est d’ailleurs fait un point d’honneur de s’afficher publiquement avec le maire Jean Tremblay de Saguenay, alors que les candidats conservateurs Jean-Pierre Blackburn, Carol Néron et Denis Lebel donnaient leur appui à la croisade du maire pour la récitation de la prière à l’hôtel de ville.

À première vue, il peut sembler étonnant que pentecôtistes, évangélistes et catholiques fassent cause commune et, de plus, avec les conservateurs. Dans un livre intitulé The Armageddon Factor, The Rise of the Christian Nationalism in Canada (Random House), l’auteure Marci Macdonald date de l’arrêt de la Cour suprême de 1988 sur l’avortement l’alliance formelle entre évangélistes et pentecôtistes d’une part, et catholiques, d’autre part. La Cour suprême avait invalidé les dispositions du Code criminel sur l’avortement, mais laissé la porte ouverte à une législation qui pourrait passer le test constitutionnel.

Marci Macdonald soutient que la Defend Marriage Coalition, opposée au mariage gai, a joué un rôle aussi important dans la victoire de Stephen Harper en 2006 que la Christian Coalition dans la victoire de George W. Bush.

La progression spectaculaire des groupes évangélistes et pentecôtistes n’est pas un phénomène purement canadien, ou nord-américain. Dans l’édition novembre/décembre 2010 de la prestigieuse revue américaine Foreign Affairs, un article signé par Scott M. Thomas – intitulé A Globalized God, Religions’s Growing Influence in International Politics – affirme que l’explosion religieuse la plus spectaculaire aujourd’hui n’est pas celle de l’Islam, mais bien celle du pentecôtisme et des sectes évangélistes.

Selon Scott M. Thomas, « la religion devient un facteur important dans l’établissement de la politique étrangère des États ». On le voit bien avec le soutien du gouvernement Harper à Israël. Encore une fois, canons et goupillons marchent ensemble.

Le Parti conservateur propose, dans son programme électoral, la création d’un bureau spécial sur la liberté de religion au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et il donne mandat à l’ACDI de travailler avec « les groupes soutenant les minorités religieuses vulnérables ». Le bureau est calqué sur le modèle du Office of International Religious Freedom, créé en 1998 aux États-Unis.



Changement de cap des Libéraux et du NPD

Plutôt que de s’unir pour combattre l’influence religieuse et défendre la laïcité, l’opposition fédéraliste qui fustigeait lors des dernières élections l’alliance de Harper avec les groupes religieux, dispute cette fois-ci à Harper l’adhésion des groupes religieux.

Nous en avons eu une preuve éclatante le Vendredi Saint, alors qu’un reportage télévisé nous a montré Jack Layton participant à une Marche du Pardon à Toronto et, à nouveau le dimanche de Pâques, alors que le chef du NPD avait convoqué journalistes et caméras de télévision pour immortaliser sa présence à un office religieux.

Puis, plus tard, la même journée, Jason Kelly du Parti conservateur, Michael Ignatieff et Jack Layton participaient à un important rassemblement religieux à Toronto de la communauté sikh. Kelly et Ignatieff se sont empressés de condamner la décision unanime de l’Assemblée nationale du Québec d’interdire dans son enceinte le port du kirpan. Layton a louvoyé, pour ne pas indisposer ni les sikhs ni son électorat québécois potentiel.

Les enjeux de la prochaine élection sont énormes. Le Québec, en faisant bloc derrière le Bloc, peut empêcher l’élection d’un gouvernement majoritaire conservateur et freiner la progression de la droite. Aux dernières élections, c’est la fusion du facteur national et du facteur social progressiste québécois qui a privé la droite canadienne d’une majorité.

Cette combinaison gagnante est aujourd’hui la cible de la droite économique néolibérale. Incapable de présenter elle-même une alternative politique digne de ce nom, la droite québécoise s’emploie à faire la promotion du NPD et son chef Jack Layton, comme en témoignent les chroniques d’un de ses porte-parole les plus tonitruants, Éric Duhaime, publiés dans le Journal de Montréal.

Lors du dernier scrutin, quatre députés conservateurs ont pu siéger à la Chambre des communes à cause de la division du vote entre le NPD et le Bloc. Combien y en aura-t-il cette fois-ci? L’analyse objective des faits et la mathématique électorale prouvent que, dans la grande majorité des circonscriptions, le véritable vote progressiste, le vrai vote de gauche est un vote pour le Bloc Québécois.


À lire : notre dossier sur les élections canadiennes de 2011