La La La Human Steps

2011/05/06 | Par Marie-Paule Grimaldi

Pour ses trente ans, la compagnie La La La Human Steps propose une nouvelle création, comme un moment culminant de sa démarche artistique. Prenant le parti de l’ombre et de la beauté, les corps reflètent, rejaillissent la lumière, comme des fantômes, des souvenirs. La rapidité et la souplesse des mouvements, les ondulations sur pointe créent un flou que les corps coupent à vif, révélés à travers une pénombre douce.

Trente ans célébrés sur le thème du temps qui passe inévitablement et nous conduit vers une fin, les réminiscences de l’amour perdu (le chorégraphe Edouard Lock revisite et reprend le souffle des opéras Didon et Énée de Purcell et Orphée et Eurydice de Gluck).

Pour ponctuer le spectacle sans entracte et permettre à tous de respirer entre les performances époustouflantes, où encore une fois le ballet se met au service d’une contemporanéité volontaire, des vidéos sont projetées, dialogues entre les jeunes danseuses et elles-mêmes vieillies, sur le mouvement même du temps, mouvement cellulaire et incandescent.

Dans une finesse pourtant énergétique, la chorégraphie évoque les retrouvailles et les séparations amoureuses, la souvenance et le deuil, le désir de l’autre parfois contre son propre mouvement, vagues relationnelles, et toujours empreinte du poids léger de la nostalgie.

On est aussi dans la complexité des rapports, multiples, des liens à la fois diffus et inscrit dans un grand engrenage. N’est-ce pas justement ce que nous vivons, alors que les rapports sociaux sont teintés de vitesse et de complexité?

Sur des jambes tendues, fuselées et fusées, toujours sur pointe, ou des corps tristement étendus, déposés au sol, la vitesse des mouvements se mêle à une volupté, une fragilité ici puissante, une force nymphique et fleurale, mais aussi animale. Des mouvements motivés en eux-mêmes, lancés en eux-mêmes, qui nous happent. Plus qu’à des performances, on assiste à des prouesses, d’une exigence et d’un niveau d’exécution renversant. Avec la danseuse invitée Diana Vishena, déjà désignée comme la plus grande ballerine d’Europe en 2002 par le magazine Dance Europe, et le reste de la troupe composé entre autres de Sandra Mühlbauer et de Zofia Tujaka, nous rencontrons de véritables athlètes de la poésie et de sa physicalité.

Le tout est inscrit dans une scénographie d’Armand Vaillancourt, toute faite d’ombres et d’éclaircissements, où à travers la pénombre, des douches de lumière viennent déterminer les scènes et jouer avec les corps, et des installations sculpturales qui viennent cerner les duos, moments de beauté soutenue, troublants. La musique est en partie interprétée sur scène, sous la direction de Njo Kong Kie, en partie enregistrée, composée par Gavin Bryars et Blake Hargreaves, et nous balance entre emportement et distanciation.

Avec la nouvelle création de La La La Human Steps, on est témoins d’un alliage unique d’excellence et de grâce. Pas d’une grâce esthétique – bien que présente aussi – mais d’un état de grâce, issus des enfers et pourtant céleste, comme Edouard Lock ne l’avait peut-être jamais aussi bien fait. Non le chorégraphe ne se renouvelle pas, il poursuite son langage et fait mieux, il évolue. Si sa dernière création nous dépasse, elle atteint des sommets et nous élève par la même occasion.

La La La Human Steps, du 5 au 7 mai, Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des arts