Stanley Bréhaut Ryerson : un parcours politique remarquable

2011/05/09 | Par Pierre Dubuc

Dans toute l’histoire de la gauche canadienne-anglaise et de sa position à l’égard de la question nationale québécoise, une figure se démarque : celle de Stanley Bréhaut Ryerson. Il faut saluer la contribution de l’historien Joël Bisaillon qui, dans La gauche au Québec depuis 1945, nous rappelle le parcours cet intellectuel communiste qui en est venu à appuyer l’indépendance du Québec.

Ryerson est surtout connu au Québec pour son ouvrage Le capitalisme et la Confédération, aux sources du conflit Canada-Québec (1760-1873), un classique d’économie politique. Né en Ontario en 1911, d’une mère de descendance française, Ryerson a adhéré au Parti communiste canadien (PCC) en 1934, où il a occupé des postes de direction.

Dans un de ses premiers livres French Canada : A Study in Canadian Democracy, traduit sous le titre Le Canada français : sa tradition, son avenir, il accorde le statut de nation au peuple canadien-français.

Il soutient alors le droit à l’autodétermination nationale pour les Canadiens-français, y compris le droit à la sécession. Mais, comme le rappelle Joël Bisaillon, il prône sans ambiguïté, comme le PCC, la perpétuation de la nation canadienne-française à l’intérieur de l’État canadien, et non sa sécession politique et la formation d’un État indépendant.

Mais la Révolution tranquille l’amène graduellement à revoir sa position. Il en vient à voir d’un œil très favorable l’émergence d’un nouveau nationalisme québécois, qui se combine avec un interventionnisme accru de l’État québécois dans les domaines économique et social et l’application de politiques keynésiennes réformistes.

À partir du milieu de la décennie 1960, nous apprend Bisaillon, il amorce une réinterprétation de son œuvre historique antérieure.  L’un des éléments centraux de cette réinterprétation se trouve dans le fait que Ryerson considère maintenant que l’égalité politique n’a pas été accordée aux Canadiens français lors de l’obtention de la responsabilité ministérielle en 1848 et lors de la mise en œuvre de la fédération canadienne de 1867. 

« Il réfute donc, nous dit Bisaillon, ce qu’il avait soutenu en 1945 dans l’ouvrage Le Canada français : sa tradition, son avenir. Pour Ryerson, le gouvernement responsable a été accordé au Canada-Uni par les autorités de la métropole, parce que le nouveau statut politique de 1840 avait permis la mise en minorité des Canadiens français. »

Il en résulte, selon lui, une inégalité nationale inscrite dans la nature même de l’État canadien en vue d’entretenir et de favoriser l’emprise et le pouvoir anglo-canadien, qui s’exerce sur l’ensemble du territoire canadien, en incluant la nouvelle province de Québec.

À partir de ces reconsidérations à caractère historique, Ryerson considère le Québec comme l’État national des Canadiens français et l’émanation politique de cette nation.

Il qualifie la Révolution tranquille de « révolution nationale-démocratique » ayant un double caractère. D’une part, celui d’une contestation de la structure économique sur laquelle le Québec repose, soit la domination du grand capital étranger (canadien-anglais et américain) et, d’autre part, une forte volonté de redéfinir les rapports politiques et constitutionnels du Canada français avec le Canada anglais.

Ryerson prend alors ses distances avec les positions du PCC qui s’oppose à l’indépendance du Québec au nom de la solidarité entre travailleurs canadiens-français et canadiens-anglais et de la lutte contre l’impérialisme américain, une position qui sera également celle des groupes marxistes-léninistes En Lutte! et du PCO dans les années 1970.

Dans un texte de 1985, Ryerson confirme que la question nationale au Québec a grandement contribué à sa décision de quitter le PCC en 1971. Il faut dire que, dans un texte important de 1969, Ryerson en était venu à préconiser une séparation complète du Québec de l’ensemble canadien et la formation d’un État québécois pleinement souverain.

Dans l’optique de Ryerson, nous dit Bisaillon, un Québec indépendant pourra négocier plus aisément, d’égal à égal et sans contrainte, avec le Canada en vue de déterminer un cadre politique et constitutionnel unissant les deux États, ainsi que pleinement satisfaisant pour chacun. Le choc qu’occasionnerait l’accession à la souveraineté du Québec, pousserait peut-être les Canadiens anglais à dialoguer en montrant plus d’ouverture envers celui-ci. »

Cela l’amènera à prendre position sur des enjeux centraux de la vie politique. Le premier est son soutien donné à la Charte de la langue française (Loi 101) de 1977. Le second se situe dans son appui à l’option du OUI lors du référendum de 1980.

La gauche au Québec depuis 1945

Bulletin d’histoire politique

VLB Éditeur, 2011