La Colombie choisit l’Amérique du Sud

2011/05/10 | Par André Maltais

Durant les présidences colombiennes d’Alvaro Uribe (2002-2010), la stratégie des États-Unis consistait à faire régner une tension permanente entre la Colombie et le Venezuela. Cela avait le double objectif de semer la zizanie dans l’union sud-américaine et de détourner le président Hugo Chavez de son opposition interne.

Cette stratégie a connu son apogée lorsque Chavez, a rompu les relations diplomatiques et commerciales avec la Colombie suite aux innombrables provocations de l’ex-président colombien, Alvaro Uribe.

Mais, dès son arrivée au pouvoir, le nouveau président colombien, Juan Manuel Santos, s’est empressé de défaire le mal causé par son prédécesseur dont il avait pourtant été jusque là l’ex-ministre de la Défense et le plus fidèle allié idéologique.

Les premiers discours de Santos mirent tout de suite l’emphase sur la réconciliation nationale, les droits de l’homme, la lutte contre la corruption et la protection des droits syndicaux.

Puis, après un jugement de la Cour Suprême, le nouveau président a temporairement suspendu l’accord avec les États-Unis sur l’occupation des bases militaires colombiennes, ce qui lui a permis de renouer rapidement les liens avec ses voisins vénézuélien et équatorien.

Il a aussi institué un programme de réparation et de restitution de terres aux victimes du para-militarisme en plus d’accélérer les enquêtes et arrestations d’anciens hauts-fonctionnaires d’Uribe, accusés de corruption et d’espionnage illégal contre l’appareil judiciaire et les partis politiques d’opposition.

Ce virage, écrit l’activiste colombien, Fernando Dorado, montre que, à l’échelle de la politique globale états-unienne, Bush et Uribe sont bel et bien passés date. Pour récupérer l’Amérique latine, les États-Unis ont maintenant besoin de mouvements et de gouvernements progressistes ou, comme celui de Santos, à visage progressiste.

Pour Dorado, les États-Unis déploient en ce moment de grands efforts pour transformer Santos et la Colombie en remplaçant continental de l’ex-président Lula et du Brésil comme l’indiquent les impressionnantes réussites diplomatiques colombiennes des derniers mois.

C’est ainsi que, malgré d’importants différends dans plusieurs aspects de politique internationale, la Colombie a reçu l’appui de la région pour succéder au Brésil en tant que membre non-permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. De plus, la colombienne, Maria Emma Mejia, a été désignée pour partager le poste de secrétaire général de l’UNASUR avec le ministre vénézuélien, Ali Rodriguez.

Toute cette reconnaissance régionale envers la Colombie inquiète aussi Carlos Aznarez, directeur de la revue Resumen latinoamericano. Chavez, dit-il, a maintenant les mains liées par les accords conclus avec son nouveau meilleur ami en matière de coopération frontalière dans la lutte contre le trafic de drogues et la criminalité internationale.

C’est pourquoi, les 23 et 25 avril dernier, le président vénézuélien n’a eu d’autre choix que d’arrêter puis d’extrader en Colombie le directeur de l’agence de nouvelles ANNCOL, Joaquin Perez Becerra, de passage à Caracas.

Citoyen suédois, Perez Becerra est faussement accusé de terrorisme par le gouvernement colombien parce qu’ANNCOL, depuis sa fondation, en 1996, dénonce tous les abus du pouvoir commis au nom de la guerre contre les FARC et donne la parole aux guérilleros colombiens.

Ce faux pas très critiqué de Chavez suivait, au début d’avril, une étonnante rencontre entre le désormais inséparable duo Santos-Chavez et Porfirio Lobo, illégitime président du Honduras, à qui Chavez avait juré de ne jamais adresser la parole.

L’initiative diplomatique colombo-vénézuélienne propose le retour du Honduras dans l’OEA (Organisation des états américains) et l’accès pour celui-ci au pétrole à prix avantageux du programme vénézuélien, Petrocaribe, en échange de quatre conditions.

Celles-ci sont le rétablissement de la démocratie et des droits de l’homme par la création d’une assemblée constituante, l’imposition de sanctions pénales contre les auteurs matériels et intellectuels du coup d’état, le retour des exilés politiques incluant l’ex-président Zelaya, et la reconnaissance légale du Front national de résistance populaire (FNRP) en tant que principale force d’opposition.

Le FNRP hondurien et la gauche latino-américaine sont divisés quant à la participation d’Hugo Chavez à une initiative qui semble commandée par les États-Unis et qui, craignent certains, pourrait bien se transformer en modèle de légitimation de coups d’état.

Surtout qu’au cours des derniers mois, la Colombie a établi d’étroites relations avec la dictature hondurienne en termes de sécurité nationale.

Selon le reporter suédois, Dick Emanuelsson, une école colombienne de formation pour la police hondurienne sert même de prétexte, au Honduras, à l’entraînement de groupes paramilitaires et à des opérations des forces armées colombiennes baptisées GAULAS.

Mais pour d’autres, comme le guatémaltèque, Jose Santiago Vargas Casco, du Mouvement national des populations en résistance, le FNRP ne parviendra jamais tout seul à chasser la dictature du pouvoir.

Une intervention comme celle de Santos et Chavez, écrit-il, permettra certainement au peuple hondurien, à moyen terme, de prendre le pouvoir étant donnée l’influence du Venezuela et des pays de l’ALBA au sein même de l’OEA.

Mais l’ALBA a diminué son profil depuis le surgissement de l’UNASUR, un cadre d’intégration plus large qui n’implique pas que des pays ayant une entité idéologique progressiste.

Un gouvernement comme celui du Venezuela, explique l’ex-député hondurien, Tomas Andino Mencia, doit, par exemple, prioriser ses intérêts politiques intérieurs à cause de l’aide états-unienne colossale apportée à ses opposants internes.

Les incursions militaires en Libye et en Côte-d’Ivoire et les bases déployées autour de son pays achèvent sans doute de convaincre Chavez de se réfugier davantage sous le parapluie plus pragmatique et sécuritaire de l’UNASUR.

Quant aux gouvernements de droite (Chili, Pérou et Colombie), même s’ils ont formé, avec le Mexique, le Bloc du Pacifique pour faire contrepoids autant à l’influence des pays de l’ALBA qu’à celle du Brésil, ils ont aussi diminué leur profil pro-états-unien parce qu’ils profitent largement des bienfaits économiques de l’intégration sud-américaine.

Tout cela, selon Mencia, fait en sorte que, dans l’UNASUR, autant les gouvernements de gauche que ceux de droite se déplacent vers le centre politique.

Mais, écrit Mark Weisbrot, économiste états-unien et co-directeur du Center for Economic and Policy Research, l’intégration économique régionale est un tel facteur de paix et de stabilité en Amérique du Sud que son influence sur les pays du Bloc du Pacifique surpasse celle des États-Unis.

La rupture commerciale avec le Venezuela, pays entretenant de bonnes relations avec le Brésil et pratiquement tout le reste de l’Amérique du Sud, a fait beaucoup de mal à la Colombie faisant baisser de 11% le total de ses exportations.

En gros, nous dit Weisbrot, le nouveau président Santos avait le choix entre rester obéissant aux États-Unis ou faire partie de l’Amérique du Sud. Il a choisi l’Amérique du Sud où les changements géopolitiques et institutionnels réalisés depuis plus de dix ans par les gouvernements de gauche ont désormais secoué le joug de Washington.

Weisbrot en veut pour preuve que le virage colombien a ignoré les pressions de l’accord de libre-échange avec les États-Unis, que le Congrès de ce pays ratifiera quand même en juillet prochain.

C’est à se demander, dit l’économiste, qui, des États-Unis ou de la Colombie, a le plus besoin de cet accord!