L’information est le nerf de la guerre

2011/05/24 | Par Pierre Dubuc

Cette semaine paraît le 300e numéro de l’aut’journal. Il y a 27 ans, le Premier Mai 1984, l’éditorial du premier numéro dénonçait la concentration de la presse entre les mains des familles Desmarais, Péladeau et Conrad Black et soulignait la nécessité d’un aut’point de vue sur l’actualité ouvrière, populaire, nationale et internationale.

Aujourd’hui, la situation est pire encore. Power Corporation de Desmarais a avalé Unimédia de Conrad Black et possède aujourd’hui, entre autres, les quotidiens suivants : La Presse de Montréal, le Soleil de Québec, le Quotidien au Saguenay, le Droit à Ottawa, le Nouvelliste à Trois-Rivières, la Tribune à Sherbrooke et la Voix de l’Est à Granby.

De plus, les Péladeau et Desmarais ont élargi leur mainmise sur l’information avec la convergence entre les médias écrits, électroniques et Internet. Au jumelage TVA, Journal de Montréal et de Québec et Canoë répond la collaboration entre les journaux de Gesca et Radio-Canada.

L’influence bien connue de la famille Desmarais sur les gouvernements fédéral et provincial vient d’être confirmée par la publication par Wikileaks d’un câble de l’ambassadeur américain à Ottawa. Quant à Pierre Karl Péladeau, il a mis au service de Stephen Harper, lors de la dernière campagne électorale, les journaux de Sun Media et sa nouvelle chaîne de télévision Sun Media News.

Au Québec, ses publications mènent une sale campagne antisyndicale et font la promotion active d’une « troisième voie » qui pourrait prendre la forme d’une coalition entre l’ADQ et le groupe de François Legault, dont le but évident est de provoquer une scission au sein du Parti Québécois.

Car, depuis la Grande Frousse du référendum de 1995, l’objectif premier des fédéralistes est d’empêcher par tous les moyens le Parti Québécois de prendre le pouvoir. Malgré l’approche molle de Mme Marois sur la question de la souveraineté, l’accession au pouvoir du Parti Québécois représente un risque que le Canada ne veut pas courir.

La classe dirigeante canadienne pourrait s’accommoder, si besoin est, d’un gouvernement NPD à Ottawa – d’autant plus que son programme n’est pas plus menaçant que celui du New Labour de Tony Blair – mais pas d’un gouvernement souverainiste à Québec, dont l’action pourrait mener à la dislocation du pays.

Au Wisconsin, les progressistes et les syndicalistes ont vite compris que l’attaque contre le mouvement syndical par le gouverneur républicain Scott Walker visait à saper la base organisationnelle du Parti démocrate. Mais, au Québec, on ne semble pas se rendre compte que l’offensive antisyndicale en cours vise à priver le Parti Québécois d’un morceau capital de sa base organisationnelle. En fait, même la direction du Parti Québécois donne l’impression de ne pas le réaliser!

L’alliance entre les mouvements syndical et souverainiste a de profondes racines historiques. Au sortir de la grande noirceur duplessiste, les syndicalistes québécois ont participé avec enthousiasme à la fondation du NPD. Mais l’incapacité de la direction canadienne de ce parti à reconnaître la nation québécoise et son droit à l’autodétermination a contribué à ce que les syndicalistes, conscients de la nécessité de l’action politique, se tournent vers le mouvement nationaliste et, plus tard, souverainiste.

Par son alliance avec l’aile progressiste du Parti libéral sous le gouvernement Lesage, et par la suite avec le Parti Québécois, arborant fièrement son « préjugé favorable aux travailleurs », le mouvement syndical a forcé l’adoption des législations sociales les plus progressistes, mais également des modifications au Code du travail qui ont permis d’atteindre un taux de syndicalisation qui, à près de 40% de la main d’oeuvre, est toujours le plus élevé en Amérique du Nord.

L’alliance entre les deux mouvements, syndical et progressiste, a connu ses hauts et ses bas. À la veille des grands rendez-vous référendaires, les gouvernements péquistes s’assuraient du soutien de sa base syndicale et populaire par l’adoption des mesures sociales. Au lendemain des défaites, on changeait brutalement de cap. Ce fut la ronde des compressions dans la fonction publique après 1980 et le Déficit zéro après 1995.

Depuis sa création en 1984, l’aut’journal a toujours cherché à analyser la situation politique en tenant compte de l’articulation particulière, selon la conjoncture, de la question sociale et de la question nationale et à proposer des pistes politiques. Ainsi, à l’époque du gouvernement Bouchard, où tout semblait bloqué, nous avons servi de tribune pour une alternative politique avec le Rassemblement pour une alternative politique (RAP), qui, par la suite, a donné l’Union des forces progressistes (UFP) et, ultimement, Québec solidaire.

Après l’élection du premier gouvernement Charest, alors que s’évanouissait la perspective d’une réforme du mode de scrutin, condition essentielle, selon nous, à l’émergence d’un tiers-parti, la création du SPQ Libre, un club politique opérant au sein du Parti Québécois, s’est imposée.

Aujourd’hui, la donne vient de changer à Ottawa avec l’élection de 59 députés NPD et bien malin qui pourrait prédire le rapport des forces politiques au Québec, lors du prochain scrutin. Devant cette nouvelle réalité politique, l’aut’journal veut apporter sa contribution à la clarification des enjeux politiques et sociaux, toujours en tenant compte de la relation complexe entre la question sociale et la question nationale.

De façon plus générale, le développement d’une presse libre et indépendante est d’une importance capitale. Au cours des ans, l’aut’journal a augmenté son tirage à 20 000 exemplaires, distribués à la grandeur du territoire québécois, et notre site Internet, avec des mises à jour quotidiennes, accueille présentement plus de 4 000 visites par jour.

Nous voulons continuer à tabler sur les facteurs qui ont contribué au succès et à la longévité de l’aut’journal. C’est d’abord et avant tout une solide équipe de collaboratrices et de collaborateurs, dont plusieurs officient au journal depuis 5, 10 voire 15 ans, et dont l’engagement militant rend possible la publication du journal.

Nous avons également besoin du soutien financier et moral indéfectible et récurrent d’individus, d’organismes et d’organisations syndicales pour lesquels la liberté de presse n’est pas qu’un slogan.

Encore aujourd’hui, plusieurs rêvent à la création d’un quotidien ou d’un hebdomadaire progressiste et indépendantiste. Mais la récente expérience de Rue Frontenac démontre que cette avenue n’est pas envisageable pour le moment. Les causes en sont connues : l’étroitesse du marché québécois, les liens incestueux entre les agences de presse et les grands médias, la crise des journaux traditionnels et l’importance de la convergence.

Nous ne devons donc compter que sur nos propres moyens. C’est, dans cette perspective, que l’aut’journal appelle ses lectrices et ses lecteurs qui ne seraient pas déjà abonnés à le devenir et invite l’ensemble de son lectorat à apporter un soutien financier accru. Nous avons plein de projets dans nos cartons.

Donnez-nous les moyens de les réaliser! L’information est le nerf de la guerre !

Longue vie à l’aut’journal !

Pour le sommaire du numéro 300, cliquez ici.