Colisée PKP-Labeaume : Un affront à la démocratie

2011/06/06 | Par Ligue des droits et libertés

Soustraire un contrat entre une municipalité et un entrepreneur privé à l'application régulière de la loi, dans le but de le mettre à l'abri de contestations fondées sur le respect de normes législatives anti-collusion est un geste peu éthique et inusité, en plus de constituer un affront direct à la démocratie.

C’est la portée politique de cette démarche qui choque avant toute chose, car il ne s’agit pas ici de juger de la pertinence ou non du projet d’amphithéâtre à Québec.

Le maintien d'une démocratie vivante fait partie des conditions nécessaires à l'exercice des droits et libertés des citoyen-ne-s. À ce chapitre, la démarche utilisée par les autorités publiques pour faire en sorte que le contrat à intervenir entre Quebecor Media soit à l’abri de la surveillance du pouvoir judiciaire est totalement inacceptable.

Les méthodes ainsi utilisées pour faire la promotion de ce projet d’amphithéâtre sont d’autant plus mal venues que la démarche survient au moment où l'octroi de contrats publics, en particulier concernant des projets de construction par les autorités municipales, fait l'objet de nombreuses critiques au Québec.

Plusieurs cas de collusion et de conflit d'intérêts entre élus et firmes de construction ont été rapportés publiquement et ces cas ont entraîné un doute sérieux et fondé dans l'esprit de la population concernant l'intégrité du processus d'octroi des contrats publics au Québec, au point que la population demande très largement une enquête publique sur cette question.

Cette demande maintes fois réitérée mais toujours refusée par le gouvernement, a aussi été reprise par les partis d'opposition à l'Assemblée nationale.

Après deux ans de débats sur l'intégrité et la transparence dans l'octroi des contrats publics, nous sommes stupéfaits de voir l'empressement avec laquelle, à l’initiative de l'opposition officielle, l’Assemblée nationale s'apprêterait à procéder par voie législative pour protéger de toute contestation un contrat dont on ne connaît pas encore le contenu et qui implique l'investissement de centaines de millions de fonds publics au profit de Quebecor Media.

En effet, en spécifiant que le contrat entre la Ville de Québec et Quebecor Media doit seulement être « substantiellement » conforme à la proposition de Quebecor pour être légal, le projet de loi 204 vise à attester à l'avance de la légalité d’une entente dont les modalités finales peuvent encore être modifiées.

Ce manque de transparence et ce déficit démocratique en matière de projets de développement n'est pas innocent et nous préoccupe au plus haut point.

Ils sont le reflet de la primauté accordée par nos gouvernements aux intérêts privés sur l'intérêt public et le bien commun.

Car cet épisode-ci n’est malheureusement pas isolé : ce « déficit démocratique » ne concerne pas uniquement l'octroi de contrats publics. Le dossier de l’exploration et de l’exploitation des gaz de schiste nous a également offert un exemple patent de décision gouvernementale prise sans consultation de la population et qui aura provoqué l’une des plus grande levée de boucliers de l'histoire récente du Québec.

Il est pour le moins choquant de constater que nos dirigeants politiques n’en n’ont pas tiré leçon : la vaste majorité des Québécois-e-s n’apprécient pas que l’on bafoue leurs droits civils et politiques, tout autant que leurs droits économiques, sociaux et culturels, leur droit de se faire entendre sur des projets de développement, leur droit de contester les décisions de leurs dirigeants, ce qui comprend le droit de saisir un tribunal pour ce faire.


Des principes et des droits fondamentaux à respecter

Le projet de loi 204 propose une loi d’exception qui porte sur un cas d'exception. Les lois d'exception dans les régimes fondés sur la règle de droit sont réservées à des situations de force majeure comme, par exemple, «dans le cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation» (art 4.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques).

La Loi sur les cités et villes qui rend obligatoire l'octroi de contrats par appel d'offres et soumission publique va dans le même sens et prévoit à l'article 573.2 qu'un maire peut passer outre à cette obligation «dans un cas de force majeure de nature à mettre en danger la vie ou la santé de la population ou à détériorer sérieusement les équipements municipaux».

Il n'y a aucune situation de force majeure dans le cas présent et le recours à une loi d'exception constitue un bâillon et une tentative de museler toute contestation.

Il est ironique que ce projet de loi reçoive l'assentiment de formations politiques qui ont adopté à l'unanimité, il y a exactement deux ans, une loi contre les poursuites-bâillons, une loi visant à favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics et à favoriser le droit d'accès à la justice pour tous.

Cette manœuvre remet en question les fondements mêmes de notre système de démocratie parlementaire fondé sur la primauté de la règle de droit et la séparation des pouvoirs.

Le pouvoir arrête le pouvoir, écrivait Montesquieu. Le pouvoir de contrôle et de surveillance des tribunaux de l’exercice du pouvoir public et du respect par les élus des garanties juridiques, telles la transparence, le droit de faire valoir son point de vue et la reddition de compte, est l'assise même de notre démocratie.

Les promoteurs de ce projet de loi, le maire de Québec et le Parti québécois, répètent que la majorité veut un amphithéâtre. Soit. Mais faire plaisir à la majorité en violant la primauté du droit est autre chose.

Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. (art 14 du Pacte sur les droits civils et politiques), mains certains voudraient semble-t-il qu’il en soit autrement.

Comme l'écrivait Vincent Marisal dans La Presse, « à partir de quand, au juste, retire-t-on des droits à certains pour satisfaire la majorité? Et on arrête où? Le devoir des élus n'est pas de se cacher, par pur opportunisme politique, derrière la majorité, mais de protéger les droits de tous.»

Mettre aujourd'hui ces principes de côté alors qu'hier, on jugeait les dispositions législatives en cause insuffisantes, on dénonçait la corruption dans le monde municipal et on réclamait une commission d'enquête sur la construction, est une manœuvre indigne destinée à plaire à certains électeurs et à favoriser des intérêts privés aux dépens du bien commun.

Cette manière d'agir ne peut que renforcer le cynisme ambiant face à nos institutions démocratiques.