Double-jeu des États-Unis contre le Mexique

2011/06/07 | Par André Maltais

Après le meurtre de son fils, trouvé ligoté et asphyxié dans une camionnette, le 28 mars dernier, à Cuernavaca, le poète mexicain, Javier Sicilia, a publié une lettre ouverte « aux politiciens et aux criminels » dans laquelle il condamne la guerre à la drogue du président Felipe Calderon.

« On en a ras le bol, écrivait-il, parce que les politiciens ne peuvent imaginer autre chose que la violence, les fusils et les insultes, montrant par là leur profond mépris pour l’éducation, la culture et les possibilités de travail honnête. »

La lettre a eu l’effet d’une bombe et, à deux reprises, des marches citoyennes silencieuses toujours plus imposantes ont traversé les rues des principales villes du pays et mené à la création du Mouvement pour la paix dans la justice et la dignité.

Le mouvement propose un pacte en six points entre la population et tous les niveaux de gouvernement pour sortir de la violence : retour de l’armée dans les casernes, fin de l’impunité et de la corruption, résurgence de la mémoire des victimes, création de possibilités pour les jeunes, renforcement de la démocratie et reconstruction du tissu social en investissant dans la santé, l’éducation et la culture.

Dès son arrivée au pouvoir, en 2006, le président Calderon a décidé de militariser le combat contre les cartels de la drogue en lançant plus de 50 000 soldats dans les rues. Moins de cinq ans plus tard, le Mexique compte 40 000 morts et 18 000 disparus, en grande majorité des jeunes et des migrants qui vont vers les États-Unis.

Ce sont souvent des enfants de 14 à 16 ans, déclare à la chaîne Telesur, une mère venue identifier les restes de sa fille après la découverte de plusieurs fosses communes près de Tamaulipas, au nord-est du pays.

Ils sont enrôlés de gré ou de force par les cartels qui cherchent une main d’œuvre accrue pour lutter contre l’armée et gagner des territoires d’opération contre les cartels rivaux. Plusieurs meurent au cours d’une fusillade, d’un règlement de compte après des tortures qui se veulent exemplaires ou simplement parce qu’ils refusent de joindre les cartels ou de céder l’argent, la voiture ou les vêtements qu’on tente de leur extorquer.

98% de ces meurtres demeurent impunis et, depuis le début de la guerre, la consommation de drogues chez les jeunes mexicains a augmenté de 50%. Calderon a déclenché « un holocauste pour nos jeunes », dit Javier Sicilia.

Mais cette guerre est-elle seulement celle du président Calderon? Dès son déclenchement, les États-Unis se sont empressés d’officialiser leur appui en signant avec le Mexique l’Initiative de Merida, un traité de coopération mutuelle pour combattre le trafic de drogues.

Aussitôt Washington joue double jeu. Alors que la DEA (Drug Enforcement Administration) et le Département d’État financent et équipent l’armée mexicaine, ils en font tout autant pour les narcotrafiquants.

En août 2008, lors d’un forum du Congrès mexicain, le président Calderon lui-même critiquait le gouvernement états-unien pour le peu d’efforts déployés afin de réduire sa consommation de drogues intérieure et pour son « irresponsabilité » dans la vente d’armes aux trafiquants mexicains.

« Pour eux, se plaignait le président mexicain, c’est un commerce de vendre des armes aux criminels des autres pays ». L’ONU estime que 20 000 armes entrent annuellement au Mexique en provenance des États-Unis.

En mars dernier, l’assassinat d’un agent du Département de la sécurité intérieure des États-Unis, à San Luis Potosi, au Mexique, menait à la découverte de l’opération Rapido y Furioso. L’agent avait été tué par un cartel avec une arme provenant de la Direction des alcools, tabacs, armes à feu et explosifs des États-Unis.

L’opération consistait à faire entrer illégalement au Mexique des milliers d’armes de haut calibre afin de supposément remonter aux sources du crime organisé opérant à la frontière états-unienne. Le plan n’a pas réussi et ces armes se sont retrouvées aux mains des mafias.

Alors que l’assassinat de l’agent états-unien a été tout de suite suivi de la formation d’un groupe de travail conjoint entre les deux pays impliquant la participation directe du FBI en territoire mexicain, l’opération Rapido y furioso, beaucoup plus grave, n’a généré qu’une enquête interne de la part de l’administration Obama, enquête que Calderon ne pourra que « suivre attentivement ».

En permettant également à leurs banques de blanchir annuellement des milliards de dollars d’argent provenant des cartels mexicains, les États-Unis financent ces derniers.

Le pays qui se permet de sanctionner la pétrolière vénézuélienne PDVSA pour faire affaires avec l’Iran, dit Robinson Zalazar Perez, professeur-chercheur à l’Université autonome de Sinaloa, a laissé, depuis 2006, les banques états-uniennes opérant au Mexique blanchir 1,3 milliards de pesos des cartels de la drogue, soit 80,7 fois l’aide économique apportée par l’Initiative de Merida.

Ces politiques états-uniennes de non-intervention en matière d’armes et de blanchiment d’argent prolongent la guerre à la drogue et en augmentent le niveau de violence en territoire mexicain. Cela permet ensuite à des haut-fonctionnaires politiques et militaires états-uniens d’insinuer que l’État mexicain est incapable et que les cartels de la drogue sont une menace pour la sécurité des États-Unis.

En février dernier, le chef de l’espionnage états-unien, James Clapper, déclarait que des terroristes d’Al-Qaida pourraient utiliser les réseaux des narcotrafiquants mexicains aux États-Unis.

« Il existe une forme d’insurrection, au Mexique, disait en même temps Joseph Westphal, haut-fonctionnaire de l’armée états-unienne, qui se passe juste à notre frontière. On ne parle pas seulement de drogues et d’immigrants illégaux; on parle de la potentielle prise de contrôle d’un gouvernement par des personnes corrompues ».

La conclusion est évidente, dit le professeur Zalazar : les États-Unis envisagent une intervention armée.

Mais celle-ci est déjà en cours, écrit Eduardo Nava Hernandez, du portail Internet Cambio de Michoacan, pour qui l’État mexicain, isolé du processus d’intégration latino-américain, vit une situation « d’annexion de basse intensité » aux États-Unis.

Depuis juillet 2009, un accord secret permet à des drones états-uniens de survoler le Mexique pour « espionner » le crime organisé et à des agents états-uniens opérant en territoire mexicain de porter des armes à feu et d’écouter les lignes téléphoniques des suspects.

Les nominations mexicaines à des postes-clé de la sécurité sont approuvées par l’ambassade états-unienne. À la demande de cette dernière, le président Calderon vient même d’ouvrir un nouveau front de guerre à la frontière avec le Guatemala.

Deux bases militaires et une nouvelle police des frontières y seront déployées pour « protéger » les migrants centraméricains. Ce nouveau théâtre d’opération inclut le Chiapas, une région déjà sur-militarisée où l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale) pourrait bien être un objectif collatéral des violences à venir.

Javier Sicilia accuse avec raison le gouvernement Calderon d’administrer des « institutions pourries » et de ne pas protéger ses citoyens. Mais la médiatisation planétaire de ces paroles n’a sans doute pas déplu aux faucons de Washington qui invoquent la « protection des civils » pour justifier l’intervention en Libye.