Assemblée constituante, scrutin proportionnel, mandat d’initiative populaire, au menu de l’agenda politique de Pierre Curzi

2011/06/10 | Par Pierre Dubuc

En me dirigeant vers la résidence de Pierre Curzi pour cette entrevue, j’entends au bulletin de nouvelles que des députés du Parti libéral ontarien se soulèvent, eux aussi, contre la ligne de parti et réclament plus de liberté de pensée et d’action.

Une heure plus tôt, j’étais au congrès de la Fédération interprofessionnelle du Québec (FIQ) où, pendant une heure et demie, les congressistes ont écouté et échangé avec Stephanie Bloomingdale, la secrétaire-trésorière de l’AFL-CIO du Wisconsin, sur l’importance pour le mouvement syndical de s’impliquer au plan politique et sur les difficultés de le faire dans notre système de représentation politique.

Quand je relis mes notes de mon entrevue avec Pierre Curzi, la première phrase se lit comme suit : « Il y a un dangereux fossé qui s’élargit entre la classe politique et la population. Nous avons un sérieux problème de représentation politique. »

De sa lettre de démission du caucus du Parti Québécois, les médias ont surtout retenu une phrase : « Mon seuil de tolérance éthique personnel a été atteint ». Mais une lecture attentive montre que le projet de loi 204 sur l’amphithéâtre de Québec a surtout joué le rôle, comme il le souligne lui-même, d’un « puissant révélateur » de cette distance entre les citoyens et le parti politique et il en attribue la cause à un « bipartisme sclérosé ».

Le nouveau député souverainiste indépendant reprend donc sa liberté de parole, mais il désire également que la parole des citoyens puisse se faire entendre au plan politique. Et cela requiert, nous explique-t-il, « une modification fondamentale de nos institutions ».

Pierre Curzi a été très impressionné par la mobilisation citoyenne dans le dossier du gaz de schiste. « J’y ai vu la démocratie en action. J’y ai vu un partage des responsabilités, du pouvoir, des prises de parole et de position. Et tout cela n’empêche pas la mise en place d’une organisation efficace. Au contraire. »

Il constate que « nos institutions ne permettent pas, dans leur forme actuelle, d’être porteurs de cette parole. Il faut donc les revoir », en conclut-il. Et sa remise en question est fondamentale. Du mode de scrutin à la constituante, en passant par le mandat d’initiative populaire et la réforme du fonctionnement des partis politiques.


Un vent de liberté

On dit souvent que les artistes hument l’air du temps avant tout le monde. Dans ce sens, l’interprétation extrêmement originale qu’il donne de la déconfiture du Bloc Québécois et de l’engouement subi pour le NPD mérite réflexion. Loin de considérer le tout comme le geste d’un peuple de « névrosés », il y voit plutôt « une reprise en mains par les électeurs de leur liberté ».

« On ne sait pas toujours où cela peut mener mais tout cela est symptomatique d’un mouvement de fond dont on est en train de découvrir la signification. Il y a de la liberté, dans ce geste-là. On souhaite que cette reprise en mains nous amène sur la bonne voie. Mais il y n’a pas de garantie. »

Si on suit le fil de sa pensée, c’est là qu’entre en jeu l’action des hommes et des femmes politiques. Il leur revient d’être des catalyseurs, de proposer les changements structurels qui vont permettre à cette liberté de s’exprimer et d’être le moteur d’une transformation sociale en profondeur.


Une assemblée constituante

Pierre Curzi fait sienne une idée, souvent émise dans le mouvement souverainiste, et reprise aujourd’hui par le Mouvement Démocratie et Citoyenneté du Québec, la mise sur pied d’une assemblée constituante.

« Il faut donner aux citoyens la responsabilité, par une Assemblée constituante, de définir leurs institutions politiques. Désire-t-on le maintien d’institutions sur le modèle britannique ou un régime présidentiel? Pour ma part, je pense qu’il faut s’assurer d’une nette séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. On devrait aussi débattre, entre autres, des relations qu’on veut établir avec les Autochtones, le Canada anglais, les autres pays. »


Un scrutin proportionnel

Devant moi, Pierre Curzi étale sur la table les documents du Mouvement Démocratie nouvelle qui s’est surtout fait connaître pour sa défense du scrutin proportionnel.

« Présentement, c’est comme si le vote de mon voisin, qui est libéral, et de mon autre voisin, qui est Québec solidaire, ne comptaient pas, parce que la circonscription est constamment remportée par le Parti Québécois. Je pense que cela explique en grande partie le faible taux de participation aux élections. »

Pour appuyer la nécessité d’une réforme du mode de scrutin, le nouveau député indépendant cite l’exemple de la saga de l’actuelle réforme de la carte électorale. « Il faut absolument qu’un vote dans une circonscription compte autant qu’un vote dans une autre circonscription. C’est un principe fondamental.


Le mandat d’initiative populaire

Cette volonté de redonner le pouvoir au peuple, elle s’étend également à l’objectif de l’indépendance du Québec. « Il faut examiner la possibilité d’un mandat d’initiative populaire sur la souveraineté. Ce serait remettre aux citoyens la possibilité de choisir le moment et la façon de se prononcer sur le statut constitutionnel du Québec. »

Pierre Curzi voit aussi dans le mandat d’initiative populaire un moyen de résoudre la contradiction entre les souverainistes pressés à la Jacques Parizeau et les souverainistes qui pensent que ce n’est pas le temps de proposer un référendum à la François Legault. « Laissons l’initiative au peuple! Si 10% des personnes éligibles à voter se déplaçaient pour aller signer un registre demandant la tenue d’un référendum, ce serait un premier signal fort », lance-t-il.


Le parti politique

Ce retour aux principes démocratiques fondamentaux n’élimine pas la nécessité de partis politiques. Dans la déclaration qu’il a lue lors de sa démission du caucus péquiste (mais il conserve sa carte de membre du parti), Pierre Curzi écrit : « Un parti politique doit avoir une chef ou un chef qui doit avoir un programme qui dicte la ligne du parti et qui guide ou guidera l’exercice de son pouvoir ».

Quant à l’application de la ligne de parti, Curzi écrivait dans sa déclaration du 6 juin que « les membres d’un caucus doivent être solidaires, à moins que cette solidarité ne heurte les principes fondamentaux de leur engagement politique, ce qui se produit rarement. »


Direction collégiale

Sans remettre en question la nécessité d’un chef pour un parti politique, Pierre Curzi croit qu’il est nécessaire d’établir un modèle de direction plus collégiale. « Dans une campagne électorale, il faut mettre fin à ‘‘ l’autobus du chef’’. Pourquoi ne pas donner, une journée sur deux, la parole à un député qui défend un dossier particulier, par exemple le dossier de l’environnement? Si les médias ne veulent pas le couvrir, eh bien, il n’y aura pas de nouvelles cette journée-là! De la même façon, plutôt que de tout centrer sur le débat des chefs, pourquoi ne pas faire plusieurs débats télévisés sur différents aspects des programmes électoraux avec les députés porteurs de ces dossiers. »


Modèle en trompe l’œil ou horizontal?

Les propositions de renouveau démocratique de Pierre Curzi s’appuient sur des transformations en profondeur de la société. « Nous fonctionnons avec un modèle de parti politique non seulement hiérarchisé mais en trompe l’œil. Malgré tout l’arsenal de consultation qui laisse croire à une appropriation par les membres des éléments du programme du parti, le moment venu, le pouvoir leur échappe totalement. La chef et son entourage se réapproprient alors tous les pouvoirs et mènent le jeu, même par-dessus la tête des députés. Aujourd’hui, les communications se font sur le modèle horizontal. On dit croire qu’on va être élu avec Facebook et Twitter, mais le principal mode de communication est l’émission de communiqués que personne ne lit. On est à l’époque des nouvelles technologies, mais on fonctionne encore à l’âge de l’imprimerie. »


Avenir

Maintenant, la question que tous se posent : quelle est la suite des choses pour Pierre Curzi? Il nous répond en commençant par justifier son geste. « Sans rupture réelle, il est extrêmement difficile de transformer en profondeur une organisation et une manière de faire ».

Puis, il enchaîne : « On ne peut pas poser un geste et en rester là. Un geste de liberté en entraîne un autre. Et c’est uniquement s’il est accompagné par d’autres gestes qu’il va trouver un sens. »

« Je ne vous cache rien ; je suis ouvert à tout »