Mes dix promesses en santé

2011/06/15 | Par Léo-Paul Lauzon

Si vous m’élisez au sein du nouveau parti socialiste du Québec (pas social-démocrate, mais bel et bien socialiste), et que je suis nommé ministre de la Santé, voici quel sera mon programme dans ce secteur névralgique au cours de mon premier mandat. Promis, juré. Croyez-moi, ce ne sont pas des promesses et des paroles en l’air. Le patronat et ses zouaves affranchis qui décrient sans cesse l’immobilisme au Québec et qui veulent des politiciens audacieux et courageux pour moderniser la province vont être servis à souhait. Ils vont beaucoup m’aimer… du moins je l’espère. J’ai tant besoin d’être aimé! Ça va bouger et même «swigner» au Québec qui empruntera les meilleures politiques en matière de santé et autres services sociaux qui prévalent en Europe et en Amérique latine.

Je les vois venir, avec leurs gros sabots, les scribes et les pharisiens : «C’est bien tout ça, mais comment allons-nous financer ces services publics, monsieur le ministre?». Question-piège, évidemment, car ils veulent me crucifier au plus vite. «Bande d’hypocrites et d’égoïstes» que je vais leur répondre en ajoutant : «Pas question de surtaxer quiconque, même les compagnies et les riches, mais simplement abolir plusieurs abris fiscaux, couper les subventions aux entreprises et aux écoles privées (dont le Québec est le champion canadien par une très grosse marge), resserrer l’évasion fiscale criminelle dans les paradis fiscaux et dans les transactions inter-compagnies, imposer une taxe sur les transactions à la Bourse, augmenter, comme aux Etats-Unis, le nombre de paliers d’imposition de 3 à 6 et réactiver les impôts successoraux (oui, comme aux States), accroître substantiellement les redevances sur nos ressources naturelles et les nationaliser en tout ou en partie, etc.». Voulez-vous d’autres exemples? Les milliards ainsi récupérés seront investis dans nos services publics en lambeaux, tellement qu’ils tuent.

«La santé, priorité des Québécois» que titrait, pour une millième fois, Le Devoir du 28 décembre 2010. Nous, on va s’en occuper vraiment. Selon les dernières statistiques officielles du Programme des Nations unies (ONU) pour le développement, le Canada compte seulement 19 médecins par dix milles habitants, le plus bas pourcentage des pays occidentaux. La France en compte 37, la Belgique 42, l’Allemagne 35, la Suisse 40, la Norvège 39, la Suède 36, ainsi de suite. La solution à ce problème n’est pas structurelle mais seulement politique. Le Canada compte 34 lits d’hôpitaux par dix milles habitants contre 72 en France, 68 en Finlande et 81 en République tchèque. Cuba fait encore mieux que tous les pays occidentaux.


Voici donc quelques éléments de mon programme en santé.

Premièrement, la formation et la détermination des compétences des médecins québécois et étrangers ne relèveront plus des fédérations et des corporations de toubibs. La santé publique est trop importante pour la laisser entre les mains d’une corporation. Cela s’est avéré un fiasco total dans le passé et le fonctionnement actuel représente une partie importante de notre pénurie de médecins et autres problèmes en santé.

Même François Legault, l’ex-ministre péquiste qui pense à lancer son propre parti politique avec l’affairiste de première classe Charles Sirois (ça promet) l’a signalé dans un article de La Presse du 23 février 2011 intitulé : «La cause des maux en santé. François Legault prône toujours une approche plus musclée avec les médecins». Il a dit : «C’est difficile de négocier avec les médecins. La CSN, c’est de la petite bière à côté des deux fédérations». Contrairement à monsieur Legault qui cherche la confrontation, le parti socialiste du Québec, tout en se montrant ferme, cherchera la concertation avec les médecins.

Deuxièmement, j’instaure des facultés de médecine dans les régions par le biais du réseau de l’Université du Québec (Rimouski, Rouyn, Gatineau, Saguenay) où l’on formera aussi des spécialistes. Ça fait république de bananes de ne pas former de médecins en région. Troisièmement, j’implante rapidement des centres de chimiothérapie et de radiothérapie dans tous les coins du Québec, comme cela se fait dans tous les pays civilisés.

Comme j’ai un cancer de la prostate depuis quatre ans, j’ai reçu de l’hormonothérapie et récemment quarante traitements quotidiens de radiothérapie à l’hôpital Notre-Dame. J’ai vu de mes yeux des malades de Rouyn et de Val d’Or en Abitibi et de d’autres régions, victimes de cancers avancés, être obligés de venir à Montréal pour recevoir leur chimiothérapie et leur radiothérapie. Totalement inhumain et indigne de contraindre ces patients à recevoir leurs soins à Montréal. Quand on a un cancer, on veut être chez soi, auprès des siens et non dans un hôtel.

Troisièmement, me semble qu’avant de subventionner la construction d’un amphithéâtre à Québec au coût de 400 millions$ projetés (attendez de voir la facture finale) et d’une chaumière à l’Orchestre symphonique de Montréal, pour la bagatelle somme de 300 millions$ en fonds publics, nous devons établir des priorités plus humaines et plus économiques et faire de meilleurs choix. Contrairement aux petits politiciens qui considèrent la santé et l’éducation comme une dépense d’épicerie, dans les faits il n’y a pas de plus grand investissement pour une société que la santé et l’éducation qui génère des revenus économiques importants. D’ailleurs, j’instaurerai un nouveau modèle comptable dans lequel une partie du coût des services publics sera capitalisé et non passé en dépenses de l’année courante. Fini de capitaliser seulement le béton.

Dans un excellent article de Philippe Cantin de La Presse, publié le 19 janvier 2011, et intitulé : «Le véritable héritage de Saku Koivu (ancien joueur des Canadiens)», le journaliste signale que Koivu, atteint d’un cancer grave a dû se rendre à Sherbrooke pour passer un Tep-Scan car il n’y avait pas d’appareil comme ça à Montréal. Incroyable mais vrai! Réplique de Saku Koivu : «Docteur ce n’est pas normal qu’une ville comme Montréal n’ait pas de Tep-Scan. Même ma petite ville natale de Turku, en Finlande, profite de cet appareil». Tiens toé!

Quatrièmement, je redéfinis les tâches des médecins et des infirmières-infirmiers afin d’accroître les responsabilités de ces derniers et libérer ainsi les premiers afin qu’ils se concentrent sur autre chose. Le programme de formation des infirmières-infirmiers sera modifié en conséquence. Franchement, dans une clinique médicale publique, les infirmiers-infirmières pourraient régler la majorité des problèmes diminuant ainsi les temps d’attente interminables et parfois mortels dans les cliniques et à l’urgence.

Cinquièmement, on facilitera, comme en Ontario, la venue de médecins étrangers. «L’Ontario a délivré plus de 1200 permis de pratique à des médecins étrangers en 2006, comparativement à une cinquantaine au Québec» (La Presse, 31 mars 2007). Québec en a délivré 89 en 2008 et 112 en 2010 (La Presse, 9 février 2011). Dorénavant, l’État se chargera d’évaluer leurs compétences. Fini les niaiseries comme : «Le Québec discrimine les médecins étrangers» (La Presse, 17 novembre 2010). Ainsi, on réglera à court terme le problème permanent des urgences et de la pénurie de médecins de famille en milieux urbain et rural. Avis aux lobbies, le parti socialiste sera ferme sur cette question tout en visant le consensus. Fini des titres d’articles comme :

  • «La situation aux urgences de pire en pire dans la région de Montréal» (La Presse, 27 mai 2010);

  • «La médecine de corridor prend de l’ampleur» (La Presse, 8 novembre 2010);

  • «Coincées dans les urgences. Faute de civières, quatre ambulances par jour doivent attendre avant de repartir» (La Presse, 4 janvier 2011);

  • «Urgences en ruine. Moisissures, tables d’examen délabrées, etc.» (La Presse, 15 février 2011);

  • «Des patients exaspérés. Découragés par le temps d’attente aux urgences, des milliers de malades québécois quittent chaque année l’hôpital sans avoir vu un médecin» (La Presse, 20 mai 2011).

Sixièmement, fini les nombreux millions de dollars en subventions publiques aux pharmaceutiques et aux biotechnologiques qui sont carrément devenus des bars ouverts et des paniers percés et dont le Québec est le champion pourvoyeur en Amérique du Nord. On créé la société d’État Pharma Québec qui verra à effectuer et à coordonner la recherche et le développement publics de nouveaux médicaments et le traitement de malades en partenariat avec nos universités mais sans exclure le privé d’ici et d’autres pays comme le Brésil, la Chine, Cuba et l’Inde. L’Institut de recherche publique Armand Frappier, affilié à l’université du Québec, fut un succès retentissant. Malheureusement, comme dans beaucoup d’autres domaines, le gouvernement du Québec a nommé l’arriviste Francesco Bellini à la tête de cet instrument collectif qui, sentant la bonne affaire, l’a privatisé et l’a vendu à l’anglaise Shire pour plusieurs milliards de dollars. Bellini a empoché au passage quelques centaines de millions de dollars. Il ne reste plus rien de ce succès collectif que fut l’Institut Armand Frappier (IAF-Biochem Pharma).

Septièmement, le parti socialiste du Québec va aligner le prix de nombreux médicaments à ceux pratiqués en Europe, en Asie et en Amérique latine puisqu’ils représentent une partie importante des coûts de notre système de santé qui augmentent à un rythme affolant sans aucun contrôle (je dirais même avec leur complicité) de nos gouvernements afin de ne pas froisser les transnationales pharmaceutiques de médicaments d’origine et génériques. Croyez-moi, les prix vont baisser. Il est fort probable que les pharmaceutiques vont nous menacer,(comme elles l’ont fait dans le passé et comme elles le font dans beaucoup d’autres secteurs d’activités) de mettre fin à leur approvisionnement. Comme il s’agit d’un domaine d’intérêt primordial, libre-échange ou pas, le Québec fabriquera comme d’autres pays (Brésil, Inde, Cuba, Afrique du Sud) ses propres copies. Il y a une limite au chantage des transnationales et des gouvernements étrangers, surtout lorsqu’il s’agit de santé publique. Bien évidemment, avant d’en arriver là, nous chercherons le consensus par la voie diplomatique. Prière aux lobbyistes (comme Lucien Bouchard et Yvan Loubier) de s’abstenir. Je n’aurai pas beaucoup de temps pour les rencontrer, même brièvement.

Huitièmement, face à la pénurie criante de nombreux médecins spécialistes (pédiatres, gynécologues, urgentologues, oncologues, etc.), à l’absence de services adéquats offerts en région et au laps de temps nécessaire pour former de nouveaux généralistes et spécialistes, je signerai une entente de collaboration avec Cuba afin que, pour un certain temps, ils nous envoient des médecins compétents comme ils le font avec d’autres pays. Les malades seront soignés et opérés dans des délais raisonnables.

Les politiciens ne se moqueront plus de la population, comme l’actuel ministre de la santé Yves Bolduc, qui, pour réduire les délais d’opération, parfois mortels, a eu la brillante idée de «songer» à publier le temps d’attente par médecin : «Choisir un chirurgien à sa liste d’attente?» (Le Devoir, 11 février 2011). Faut être imbécile ou nous prendre pour des innocents pour penser solutionner les délais d’opération par la publication d’une simple liste d’attente. Fini aussi des cauchemars inhumains comme : «Des décès inutiles. Le délai d’attente acceptable pour mon cancer était de deux à quatre semaines… j’ai dû attendre trois mois» (La Presse, 14 mai 2010).

Neuvièmement, je promets de régler le problème des urgences et d’augmenter le nombre de lits d’hôpitaux afin que les patients ne soient plus «parkés» à la queue-leu-leu dans les corridors des urgences et qu’ils y meurent parfois : «Palmarès des urgences. Incurable attente. En moyenne, les patients attendent 17h36 dans les urgences québécoises» (La Presse, 27 mai 2011).

Dixièmement, les coûts de la santé privée ne seront, d’aucune façon directe et indirecte, déductibles d’impôts et ne recevra aucune aide gouvernementale. Fini la santé et l’éducation qui n’ont de privé que le nom. Il ne peut y avoir de véritable de démocratie si l’État n’assure pas à la population un accès universel à tous les services publics. Ceux qui veulent payer 975$ par année pour des services médicaux privés à leurs enfants (La Presse, 7 janvier 2011), le feront entièrement à leurs frais sans aucune déduction fiscale. Le public offrira d’aussi bons services que le privé, mais par élitisme, le gratin préférera aller au privé, trouvant indigne et disgracieux d’être soignés au même endroit que le monde ordinaire. Fini aussi des affaires comme : «Pour se faire opérer par le même médecin : 18 mois au public… 2 semaines au privé» (Journal de Montréal, 3 août 2010). Intolérable et même odieux.

Les problèmes de notre système de santé publique sont réglables en prenant à titre d’exemple plusieurs pays d’Europe et Cuba. Il s’agit d’une simple question de volonté politique, que les vieux partis n’ont jamais eue, préférant satisfaire les besoins des médecins, des pharmaceutiques et des pachas par la création, encouragée par l’État, de soins privés financés massivement par les gouvernements.

La santé privée n’est pas la solution : elle ne fait qu’accentuer la crise. Les puissants qui vont voir leurs privilèges réduits vont ruer dans les brancards, mais leur démarche sera vaine et ne nous impressionnera guère car ce sont, pour une fois, les intérêts supérieurs de la collectivité qui primeront et non les droits acquis et les vaches sacrées de la caste supérieure.

Il faut que cesse au Québec les malades qui meurent dans les urgences ou faute de recevoir à temps les soins requis. Fini de traiter les patients comme du bétail.

Quant aux lobbyistes qui voudront me rencontrer (je vais évidemment les recevoir; je suis un démocrate civilisé), il faudra toutefois qu’ils prennent d’abord un numéro, remplissent un formulaire en quelques copies (transparence oblige), défraient quelques dollars de frais (suivant le principe de l’utilisateur-payeur) et seront d’abord aimablement reçus avec tous les honneurs, par l’adjoint de l’assistant du commis-junior localisé au 4e sous-sol du Parlement du Québec, tout près de la chambre des fournaises. Ainsi, ils attendront bien au chaud aux frais de l’État.