Pérou : la victoire d’Humala rebrasse les cartes géopolitiques

2011/08/30 | Par André Maltais

Le 5 juin dernier, au Pérou, Ollanta Humala, chef du Parti nationaliste et candidat de la coalition Gana Peru, était élu président de l’un des trois bastions restants du néolibéralisme pro-états-unien en Amérique du Sud.

Dans son message inaugural devant le Congrès de la République, le 28 juillet, le nouveau président annonçait « plus d’état et plus de patrie », qualifiant son modèle de pays « d’économie nationale de marché, ouverte au monde et à fort contenu social. »

Humala montrait tout de suite ses couleurs en prêtant serment, non seulement sur la constitution néolibérale en vigueur, mais aussi sur la précédente charte nationaliste, abolie en 1993 par Alberto Fujimori qui purge une peine d’emprisonnement de 25 ans pour corruption et violation des droits humains.

Dès maintenant, le nouveau gouvernement renforcera les entreprises nationales d’hydrocarbures (Petro Peru), des ports, de navigation ainsi que les arsenaux des Forces armées. Il ressuscitera également la compagnie aérienne nationale privatisée par Fujimori.

Il augmentera de 25% le salaire minimum, construira des hôpitaux dans les départements du pays qui en sont dépourvus et implantera des programmes d’assistance tels Cuna mas, destiné aux enfants de moins de trois ans, Beca 18, aux étudiants des familles pauvres et Pension 65, aux personnes âgées.

Humala promet de financer ces projets au moyen d’impôts sur les profits des transnationales minières et pétrolières qui devront être renégociés en 2013 alors que prend fin l’Accord de protection des investissements, l’une des pièces maîtresses de la constitution fujimoriste.

Mais la tâche sera difficile car, depuis deux ans, le modèle économique extractiviste et les dommages sociaux et environnementaux qu’il provoque soulèvent la colère des populations aussi bien dans le nord amazonien que dans le sud andin du pays.

Le mouvement est né après que le prédécesseur d’Humala, Alan Garcia, eut divisé en lots vendables tout le territoire amazonien. Les indigènes du nord-est péruvien ont alors affronté, à Bagua, les concessions pétrolières avec un bilan de 30 morts.

Depuis, les populations se sont mobilisées contre plusieurs projets comme ceux des mines Tia Maria, à Cocachacra, et Santa Ana, exploitée par la canadienne Bear Creek Mining, de même qu’Inambari, une série de cinq barrages hydroélectriques destinés à approvisionner le Brésil

Au moment d’écrire ces lignes, dans le département andin de Puno, un soulèvement compte déjà 45 jours de grèves et six morts. À deux reprises, en pleine campagne électorale présidentielle, la population organisée autour du Front de défense des ressources naturelles a occupé l’aéroport de Juliaca avant d’en être violemment chassée.

Alan Garcia laisse en héritage au nouveau gouvernement 227 conflits sociaux non résolus contre 80 à son arrivée au pouvoir, en 2006.

En 2009, selon le sociologue péruvien, Jorge Lora Cam, 82,3% des exportations des pays andins (Pérou, Bolivie, Équateur, Colombie et Venezuela) provenaient de l’extraction des ressources naturelles. Au Pérou, les concessions offertes aux entreprises minières, gazières et pétrolières couvrent quasiment 70% du territoire national, menaçant sérieusement la survie des communautés indigènes et paysannes.

En plus d’affronter les populations de régions qui ont parfois voté à 80% en sa faveur, Humala devra compter avec les pressions déstabilisatrices d’une oligarchie qui a bénéficié d’un cycle de 35 ans de gouvernements néolibéraux pour s’implanter à tous les niveaux du pouvoir

Mais, d’abord étiqueté pro-Chavez lors des présidentielles de 2006, Humala, cette fois aidé de conseillers personnels de l’ex-mandataire brésilien, Lula da Silva, a mis l’emphase sur l’intégration régionale et le modèle brésilien de « croissance avec inclusion sociale » des majorités pauvres.

Ce pragmatisme n’a pas empêché, dès le lendemain de son élection, une chute de 12,5% de la bourse de Lima provoquée par les transnationales minières (dont beaucoup de canadiennes) qui en sont les principales cotisantes.

Mais, selon le dirigeant populaire péruvien, Ubaldo Tejada, depuis déjà quelques années, la gauche sud-américaine est plus qu’une simple idéologie. Les nouveaux gouvernements progressistes comme celui d’Humala ne sont désormais plus laissés à eux-mêmes, car l’influence du Brésil et de l’ensemble des pays de l’Unasur fait sérieusement contrepoids aux États-Unis.

Ainsi, dès l’élection d’Humala officialisée, l’Unasur envoyait un message fort à la droite péruvienne aussi bien qu’internationale, en annonçant la tenue de son prochain sommet des chefs d’état à Lima, le jour même de l’intronisation du président péruvien.

Le sommet s’est conclu sur un engagement des pays membres à atteindre l’inclusion sociale et la participation citoyenne, deux points importants du programme de gouvernement d’Humala.

La priorité d’un nouvel axe Pérou-Brésil, écrit le journaliste uruguayen Raul Zibechi, ira aux projets de développement de l’Initiative d’intégration des infrastructures régionales sud-américaine (IIRSA), c’est-à-dire les infrastructures de transport, de communication et d’énergie traversant le territoire péruvien et reliant le Brésil à l’Océan Pacifique et à l’Asie.

Pourtant, il y a quelques mois, rappelle l’économiste péruvien Oscar Ugarteche, l’Alliance du Pacifique s’était formée à la hâte avec deux objectifs: empêcher la constitution d’un bloc régional et voir à ce que personne d’autre que les alliés régionaux des États-Unis ne contrôle les minéraux stratégiques, tel le cuivre dont le Pérou est le second producteur mondial après le Chili.

Outre ces deux derniers pays, la Colombie et le Mexique intégraient la nouvelle alliance qui prend déjà l’eau de partout, avec la victoire d’Humala, au Pérou, la contestation sociale grandissante au Chili, le probable retour au pouvoir du PRI, dès 2012, au Mexique, et le virage économique sud-américain du président Santos, en Colombie.

Ce dernier vient même de proposer la création d’une monnaie commune aux pays de l’Unasur pour éviter que les problèmes du dollar ne dévaluent les réserves des banques centrales sud-américaines.

Washington constate aussi que les traités de libre-échange conclus avec des pays comme le Pérou et le Chili, n’empêchent pas la Chine de devenir leur premier partenaire commercial, ni le Brésil de s’y implanter à pas de géants.

Mais les États-Unis ont d’autres cartes dans leur jeu, avertit Ugarteche. Ainsi, les Forces armées péruviennes sont activement liées au Commandement Sud états-unien, au point de constituer un « deuxième canal diplomatique » entre les deux pays.

Le Pérou, résume pour sa part Raul Zibechi, « se retrouve maintenant dans l’œil de la tourmente géopolitique entre le projet d’Alliance du Pacifique de Washington et l’Unasur/Mercosur où le Brésil joue un rôle déterminant. L’un et l’autre s’appuieront sur des forces internes, au Pérou

Washington tient à la longue frontière péruvienne avec le Brésil, qui est la plus rapprochée des ports stratégiques sur le Pacifique et à partir de laquelle plusieurs bases militaires surveillent le géant sud-américain.

Quant au Brésil, la présidente, Dilma Rousseff, annonçait récemment qu’il domine maintenant tout le cycle nucléaire en plus d’être l’instigateur, au sein de l’Unasur, du nouveau Centre d’études stratégiques pour la défense (CEED) du territoire sud-américain. Cela, ajouté à son impressionnant dynamisme économique, fait de Brazilia un allié régional incontournable.

La victoire d’Humala, dit Zibechi, désarticule la stratégie militaire états-unienne qui dépend maintenant d’une Colombie de moins en moins fiable.

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