Crise économique : rien n’est inéluctable

2011/09/01 | Par Gabriel Ste-Marie

La crise financière qui a déclenché la grande récession n’est pas un événement isolé. Depuis les années 1970, l’économie américaine a frôlé la crise à peu près tous les dix ans. À chaque fois, c’est le même mécanisme. À chaque fois, on se contente de changements cosmétiques en acceptant la dérèglementation. C’est ce que démontre l’économiste et journaliste américain Jeff Madrick, qui vient de publier un ouvrage sur les bulles spéculatives et leur impact sur l’économie. La qualité du livre tient plus au rappel et à l’énumération méticuleuse des événements passés qu’à la profondeur des analyses, selon l’opinion des économistes Paul Krugman et Robin Wells, qui le commentaient récemment dans la New York Review of Books.

Le mécanisme est le suivant. Les grandes institutions financières adoptent une logique de profit maximal à court terme. Pour ce faire, elles font des placements dans des créances douteuses, développent et vendent des instruments financiers risqués et se surendettent. Elles spéculent et prennent trop de risques. Quand ça tourne mal, l’État intervient et le contribuable paie. Le gouvernement explique que, sinon, c’est toute l’économie qui risque de sombrer. Les banques sont secourues par les garanties du gouvernement et par ses fonds d’urgence. Quand la crise est passée, le schéma recommence, et les institutions financières dénoncent à nouveau l’intervention gouvernementale.

C’est ce qui vient de se passer. C’est aussi ce qui est arrivé en 1991 avec l’éclatement de la bulle immobilière du secteur commercial américain. La garantie gouvernementale sur les dépôts a alors permis d’éviter la crise. En 1982-83, les banques américaines ont spéculé en prêtant trop aux États d’Amérique latine, à commencer par le Mexique. Le gouvernement américain a effectué des prêts d’urgence permettant aux institutions financières d’être remboursées.

En 1970, c’est la faillite du transporteur ferroviaire, Penn Central, qui a alors poussé le système financier américain vers la faillite. Un prêt d’urgence gouvernemental a sauvé la mise. Dans tous ces cas, la géante Citigroup, anciennement Citibank et First National City, est sauvée. Et dans tous ces cas, la dette de l’État en prend un coup.

C’est aussi ce que les gouvernements européens font depuis la dernière crise. En secourant le milieu financier spéculateur, ils ont absorbé les dettes privées et fait exploser la dette publique. Comble d’ironie, aujourd’hui ces spéculateurs s’en prennent à la dette publique. Pour l’économiste français Jacques Généreux, ce schéma a assez duré. Dans une récente entrevue web diffusée sur France Info, et reprise notamment sur Vigile.net, l’économiste dénonce cette soumission aux marchés.

Les accords pour accroître les plans de sauvetage ne font que gagner du temps en gonflant les dettes nationales. Pour Généreux, il est temps de s’attaquer au problème fondamental. Le début de la solution implique de terrasser la spéculation. Les pays européens ont collectivement une épargne largement suffisante pour financer leur propre dette à des taux d’intérêts normaux. Ils peuvent renoncer à la dictature des marchés.

Les gouvernements doivent aussi laisser les banques faire faillite afin qu’elles assument enfin les conséquences de leurs actions. Il faut arrêter de secourir les spéculateurs. L’État doit plutôt secourir les victimes collatérales, comme les familles et leur propriété, les travailleurs, les épargnants et les entreprises. Ceci peut notamment être facilité par la mise en place d’institutions financières publiques qui soutiennent les autres secteurs de l’économie. C’est autant envisageable que des centaines de milliards ont été déployés pour sauver les banques.

Pour la dette grecque, Jacques Généreux va plus loin. La Grèce doit arrêter de payer les banquiers. Avec le soutien de l’Union européenne, elle pourrait renégocier à de meilleurs taux d’intérêts. L’économiste rappelle que cette dette se situe encore dans la moyenne des pays industrialisés, nettement en-deçà de la dette américaine. Elle ne devrait pas poser un tel problème ou bien menacer l’Union européenne. Généreux n’excuse pas pour autant la gestion budgétaire de Papandréou et ses prédécesseurs.

Pour expliquer le problème de l’endettement des États, il faut regarder du côté des recettes. Avec la logique des marchés et la concurrence entre pays, on a coupé l’impôt des riches et toléré l’évasion fiscale, vers Chypre dans l’exemple grec. Les dépenses économiques et sociales n’ont pas augmenté de façon drastique, bien au contraire. L’économiste rappelle l’exemple des pays scandinaves qui ont d’importantes dépenses publiques et des finances équilibrées, puisqu’ils taxent et imposent chacun selon ses capacités de payer.

Il ne s’agit pas là du modèle de développement qu’ont adopté nos politiciens. Jacques Généreux parle aujourd’hui de gouvernements privés, au service du capital et en particulier du capital financier. Les réductions fiscales augmentent la dette, qui sert de pression pour sabrer dans les services publics, laissant place à de nouvelles opportunités d’affaires pour le marché et le capital.

L’économiste constate que, même la gauche, qui désire diminuer la pauvreté et les inégalités, en est venue à accepter le raisonnement du capital. C’est pourtant cette logique qui génère ces inégalités, mais on refuse un affrontement direct des valeurs. C’est aussi le cas aux États-Unis.

Par exemple, le documentaire Inside Job sur la crise financière montre comment l’équipe économique d’Obama est composée d’anciens banquiers davantage sensibles au camp des spéculateurs qu’à celui de la population américaine. Le président a aussi renouvelé le mandat du président de la Fed, Ben Bernanke, nommé par son prédécesseur G.W. Bush.

Finalement, la situation n’a pas tellement changé. Le documentaire s’indigne qu’aucune poursuite au criminel n’ait été entreprise par l’État américain contre tous les banquiers qui ont sciemment extorqué leurs clients, en pariant souvent contre eux à la bourse, ou en leur vendant des titres pourris en toute connaissance de cause.

C’est du vol et de la fraude, mais rien n’est fait, sauf des discours et des menaces. Il faut dire que le secteur financier continue à faire pression sur les membres du Congrès américain. Il y a aujourd’hui cinq lobbyistes représentant les financières pour chaque élu!

Pour Jacques Généreux, la crise économique et les plans de sauvetage ont accru les inégalités. De plus, les programmes d’austérité freinent tout espoir de relance économique et contribuent au chaos social. Si rien n’est fait, l’économiste craint la montée, déjà observable, des mouvements d’extrême droite. Nos gouvernements élus doivent reprendre le contrôle sur les marchés financiers.


Bookmark