Une étoile s’est éteinte

2011/09/02 | Par Patrice-Hans Perrier

 

Philippe Côté, cet intellectuel inclassable, autodidacte et libre penseur de l’urbanité, nous a quitté à l’âge de 53 ans alors qu’un cancer malicieux l’aura empêché de poursuivre le fil de sa surprenante réflexion.

 

La Société du spectacle

Avide lecteur, Philippe Côté se réclamait des coups de cœur de l’Internationale situationniste, cette constellation d’activistes donnant dans l’agit-prop des «trente glorieuses». Un des instigateurs de cette folle entreprise, Guy Debord, entretenait l’ambition d’utiliser la force novatrice des artistes et autres créatifs pour que les citoyens se réapproprient les villes d’un occident mis à mal par la réorganisation de ses cités dans le sillage de l’après-guerre.

L’œuvre magistrale de Debord, «La Société du spectacle» – publiée en 1967 chez Buchet/Chastel – reprend le fil de la discussion marxiste à l’effet qu’au-delà de l’inféodation des forces productives aux impératifs de la machine productive c’est, désormais, l’image de la marchandise médiatisée par la publicité qui devient la cause première de l’aliénation de l’espèce humaine.

 

Passer de la parole aux actes

Philippe Côté fut, d’abord et avant tout, et bien au-delà des étiquettes assumées ou non, un activiste de la survie en milieux urbains. L’activiste, contrairement à l’universitaire qui ratiocine dans sa tour d’ivoire, travaille sur le terrain des rapports conflictuels. Il s’attaque à répertorier et remanier le quotidien, avec le désir noué aux tripes d’améliorer la condition de son prochain.

Voilà trois décennies que je suis tombé par hasard sur cette comète à la mémoire prodigieuse et aux innombrables coups de génie lancés au hasard de ses réflexions. Autodidacte, dévoreur de livres et d’événements, Philippe sut épouser les contours de son époque et passer à travers l’épreuve du temps. Pas étonnant que cet iconoclaste ait fondé, avec l’aide de deux autres compères, la Société de conservation du présent (SCP) en 1985. Collectif de création qui se proposait d’archiver, ni plus ni moins, les ersatz de la mémoire collective au moyen des nouvelles technologies de l’information.

Philippe Côté a mis au point très tôt la technique de l’«exhumation des ruines de la modernité», pour le paraphraser. C’est ainsi qu’il s’ingéniait à répertorier méticuleusement certains lieux mal-aimés du centre-sud de Montréal, souhaitant utiliser ces points de repère comme autant d’artefacts appelés à se transformer au gré d’un travail à mi-chemin entre l’art et l’archéologie du présent.

 

Un résistant pas comme les autres

Contrairement à la majorité de ses concitoyens, Philippe Côté savait que la mémoire des lieux n’était pas captive des discours dominants. Les lieux, leur effritement, leurs saillis et leurs meurtrissures, témoignaient précieusement de la gestation des habitudes de vie du commun des mortels. Des simples quidams qui tentaient de survivre dans des milieux urbains saccagés par l’appétit des promoteurs et l’incurie des décideurs.

Passant de ses lectures aux actes, Philippe devint un activiste caméléon – adoptant la posture d’un artiste ou d’un intellectuel afin de mieux nous mystifier – capable de se faufiler dans tous les milieux et d’intervenir sur toutes les tribunes. Un véritable Zélig de la contreculture.

 

Un regard panoptique

On lui doit, tout au long des années 1990, des performances et des actions citoyennes dédiées à la restitution d’une mémoire des lieux trop longtemps dénigrée par les technocrates du développement urbain. Déployant son regard sur les abords du pont Jacques-Cartier et, plus tard, sur le potentiel exceptionnel de la rive fluviale bordant les anciens faubourgs ouvriers de l’arrondissement Ville-Marie, Philippe Côté profite de certains lieux de diffusions «éphémères» pour faire converger le propos de l’artiste avec les actes du militant.

Le fil de sa brillante réflexion l’aide à démystifier les prétentions de nos soi-disant urbanistes et développeurs. Il affirme, rien de moins, que de nombreuses infrastructures de la ville dite «moderne» seront éradiquées au profit d’une plus grande fluidité du trafic automobile.



Le parti-pris de la vérité

C’est en prenant la parole lors d’une table ronde intitulée «Développer la métropole ou la culture? » que Philippe Côté marque un jalon incontournable. Il y affirme que «c’est le regard des autres qui, désormais, donnera forme à la ville», reprenant à son compte les géniales intuitions de Guy Debord. Cette table ronde avait été initiée par la Galerie FMR en marge du fameux Rendez-vous Montréal, métropole culturelle de novembre 2007. Il n’avait pas hésité à se moquer de l’annonce de l’enveloppe des 120 millions de dollars dédiés à la mise en place du Quartier des spectacles.

Opérant une mise en perspective – ou mise en abyme – Côté y dénonçait cette «piétonisation des abords de la Place des Arts» paraissant ridicule alors que la même somme aura été consentie par le gouvernement du Québec pour le redéploiement de l’autoroute de Blainville, dans la banlieue nord de la métropole.

En fait, dans un contexte où les pouvoirs publics s’apprêtent à dépenser des milliards pour la réfection des infrastructures routières du Québec, Philippe Côté montrait du doigt cette «culture de l’automobile qui s’impose en définitive».

 

Le combat politique

C’est au tournant de l’an 2000 que Philippe Côté décide de se jeter dans la bataille politique pour la survie des milieux de vie d’un centre-ville passé à tabac par des édiles obsédés par l’image de la ville. Il rejoint les rangs du Groupe de Recherche Urbaine Hochelaga Maisonneuve (GRUHM) fondé autour de 2000 par l’architecte visionnaire Pierre Brisset. Cette rencontre sera déterminante pour l’action concertée d’un Philippe Côté qui est, d’ores et déjà, aux premières loges des grands projets appelés à modifier de façon permanente la ville classique.

On le retrouve comme représentant des citoyens sur le conseil d’administration du CHUM, il est nommé président du conseil d’administration du Comité logement Ville-Marie, il présente des mémoires ou des documents de réflexion lors de certaines audiences du BAPE ou des tournées de consultation de l’OCPM et il intervient même au niveau du projet de Plan métropolitain d’aménagement et de développement présenté par la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) en 2005.

Pierre Brisset son complice de la dernière décennie affirme que Philippe Côté était «un cerveau qui pensait hors du temps, à une autre échelle». Côté était un recherchiste de premier plan qui su tirer partie des connaissances pointues de son partenaire afin d’entreprendre des recherches autant fructueuses qu’inédites. L’équipe du GRUHM s’étant, fort justement, démarquée par la qualité de ses propositions de bonification du Projet de l’échangeur Turcot.

Philippe Côté laisse dans le deuil une cohorte d’interlocuteurs qui auront profité de son passage pour prendre conscience de la fragilité de ce tissu urbain qui en a vu d’autres. Et, s’il était fragile de constitution, Philippe Côté aura fait acte d’une détermination remarquable dans un contexte où il disposait de bien peu de moyens pour mettre à exécution ses rêves les plus fous.


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