Haro sur les « profs incompétents »

2011/09/09 | Par Pierre Dubuc

Quelle coïncidence ! Quelques jours après la série de La Presse sur les « Profs incompétents » qu’il faudrait congédier, en s’inspirant de la façon de faire américaine, c’est-à-dire en évaluant les profs à partir de résultats de leurs élèves, l’Institut économique de Montréal (IEDM) publie un sondage de Léger marketing sur le même sujet. Et, ô surprise, les répondants abondent dans le sens du reportage de La Presse.

Une majorité (67%) croit que la rémunération des profs devrait être basée sur la performance de leurs élèves plutôt que sur l’ancienneté et le niveau de scolarité, et 87% pensent que les directions d’école devraient pouvoir congédier les enseignants incompétents.

Que Mme Hélène Desmarais, de la famille Desmarais, propriétaire de La Presse par l’intermédiaire de Gesca, une filiale de Power Corporation, soit également présidente du conseil d’administration de l’Institut économique de Montréal est pure coïncidence et il ne faudrait surtout pas y voir un effet de convergence.

Que cette campagne survienne au moment où le ministère de l’Éducation vient d’implanter un logiciel qui compile les résultats de tous les élèves du Québec et permet de suivre l’évolution de leurs résultats en temps réel – et donc d’« évaluer » les profs – est également pur hasard.

La Presse fait l’éloge de Michelle Rhee, chancelière de l’éducation à Washington, qui se vante d’avoir congédié un millier d’enseignants et fermé une douzaine d’écoles. Mme Rhee a été une des vedettes du film Waiting for Superman qui fait la promotion de la paye au mérite pour les profs et des écoles à charte, le modèle américain de l’école privée.

Au Québec, François Legault et sa Coalition pour l’avenir du Québec ont enfourché, dans leur document sur l’éducation, ce modèle américain, avant de l’édulcorer quelque peu par la suite.

La Presse, l’IEDM et Legault feignent d’ignorer que ce modèle a été vivement dénoncé par l’ancienne sous-ministre de l’Éducation, Mme Diane Ravitch, dans un livre intitulé The Death and Life of the Great American School System. La critique de Mme Ravitch est d’autant plus pertinente et percutante qu’elle avait la responsabilité d’implanter ce système.

Mme Ravitch dénonce la fixation d’objectifs de performance – 100% d’élèves « compétents » en compréhension de textes et en mathématiques en 2014 – et l’obsession de l’évaluation qui en découle. Elle a constaté que, pour rencontrer les objectifs d’étapes – et éviter que leur école soit placée sous tutelle ou carrément fermée –, les enseignants concentrent tous leurs efforts dans la préparation de leurs élèves à ces tests. Les matières comme l’histoire, la géographie ou les sciences sont mises de côté et, si les élèves développent une habileté à répondre à des tests multi-choix, ils sont incapables de rédiger un court commentaire sur le texte qu’ils viennent de lire.

Un autre effet pervers de ce système est l’incitation à la tricherie. Le 8 août dernier, la chaîne de télévision PBS aux États-Unis diffusait un reportage sur un scandale survenu à la commission scolaire d’Atlanta, en Géorgie. Des directions d’école et des enseignants qui avaient remporté des prix pour les succès remportés par leurs écoles ont été pris la main dans le sac, au terme d’une longue enquête. Il a été prouvé que la direction d’école avertissait les profs de l’endroit où étaient entreposés les examens, les incitait à y entrer par effraction, à en prendre illégalement connaissance et à préparer leurs élèves à y répondre.

Bien plus, les profs, toujours avec la bénédiction de leur direction d’école, révisait par la suite les réponses de leurs élèves, les corrigeant au besoin. Le reportage avait l’honnêteté de ne pas faire reposer l’essentiel de la responsabilité d’un tel état de fait sur les profs, mais sur la logique de ce système d’évaluation.

Soulignons également que La Presse a une meilleure opinion de l’expérience de Mme Rhee à la tête de la commission scolaire que les électeurs de Washington. En effet, Michelle Rhee a échoué dans sa tentative pour obtenir l’investiture démocrate pour un poste électif du District of Columbia lors des élections de mi-mandat.

Nous avons consacré plusieurs articles à la critique du modèle américain sur la base des écrits de Mme Ravitch, articles qui sont réunis dans un carnet de l’aut’journal. On peut se procurer le carnet en cliquant ici.


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