La réplique de Philippe Falardeau

2011/09/16 | Par Philippe Falardeau

J’aimerais réagir à la chronique de madame Leroux à propos de mon entrevue dans Le Devoir où il est question, entre autres, de la qualité de la langue parlée au Québec. En toute humilité, je pense que madame Leroux se trompe de colère en m’attaquant publiquement sans avoir pris la peine de voir mon film ou de me contacter pour en discuter et en débattre. D’abord, je n’ai pas fait de « déclaration » sur la qualité du français au Québec en regard à la France ou à l’Algérie. J’ai eu une conversation à bâtons rompus avec madame Odile Tremblay sur mon film. Celle-ci y est allée d’une synthèse de son cru en parlant de la relation des Français avec l’Algérie d’une part, et de la qualité du français au Québec d’autre part. Je n’ai jamais mis les deux en parallèle tel que c’est écrit dans Le Devoir et repris dans l’article de madame Leroux. J’ai parlé d’un personnage algérien qui s’exprimait mieux que bien des Québécois (ça peut exister et le contraire aussi, non?). Puis, j’ai critiqué notre propension collective à négliger la qualité de notre langue, dans les institutions, à la télévision, dans les cours d’école et au travail.

En entrevue, j’ai longuement parlé du travail acharné des enseignantes, véritables héroïnes obscures de notre société. Mon film est une ode à ce métier. Mais le fait que des gens engagés (comme madame Leroux) déploient des efforts soutenus pour défendre la qualité de notre langue doit-il nous interdire de jeter un regard critique sur l’état des lieux?? Il me semble qu’on peut remettre en question le laxisme d’un système scolaire qui a abaissé ses exigences sans pour autant viser ceux et celles qui se battent au quotidien pour célébrer la langue française au Québec. Il nous suffit d’ouvrir la radio ou de regarder la télévision pour constater le nombre incalculable de fautes de syntaxe dans la langue parlée. Sommes-nous autorisés à faire ce constat publiquement??

Je me range aux arguments de madame Leroux sans hésitation quand il est question de défendre notre langue française au Québec vis-à-vis des immigrants, pourvu que cette langue respecte la grammaire et la syntaxe qui, si je ne m’abuse, répondent aux mêmes règles des deux côtés de l’Atlantique. De plus, je refuse de me faire dire par les Français que nous parlons un patois, un régionalisme, une sous-langue. Lorsque je voyage avec mes films à l’étranger, des États-Unis à la Scandinavie, de l’Amérique latine jusqu’en Europe centrale, je me fais l’ambassadeur de notre langue en Amérique du Nord. Je rappelle au spectateur que nous ne sommes pas Français, mais que nous le parlons, avec notre accent et des expressions qui nous sont propres. En France, je ne trahis ni mon accent, ni la couleur de nos québécismes. Mieux encore, j’ai toujours insisté auprès des distributeurs pour que mes films ne soient pas sous-titrés dans l’Hexagone comme l’ont été la plupart des longs-métrages québécois, des Trois petits cochons jusqu’à CRAZY. Je n’ai pas de complexe et je prétends que mes personnages sont intelligibles pour les Français, pourvu que ceux-ci se départissent de leur sentiment de supériorité. Madame Leroux comprendra que je ne peux accepter l’épithète de colonisé alors que j’ai refusé sans relâche de me plier aux tendances récentes du marché français et que mes films ont diffusé notre langue parlée à travers le monde.

Je reste critique face aux Québécois qui croient que le fait de bien parler français relève d’un certain snobisme intellectuel. Et je salue humblement toutes les enseignantes et les enseignants qui consacrent leur vie à transmettre l’amour de notre langue.

Cordialement,

Philippe Falardeau


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Photo : Mata Hari

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