Des artificiels et des naturels

2011/09/28 | Par Michel Rioux

L’homme, atteint d’un cancer colorectal, a dû subir une colostomie. « Cela consiste à créer un anus artificiel à travers une nouvelle ouverture pratiquée dans l’abdomen. Les matières fécales sont alors évacuées dans une poche adhésive située à l’extérieur du corps », nous apprend un dictionnaire médical.

Encore faut-il avoir les moyens de se les payer, ces fameuses poches !

L’homme en question, selon le reportage de TVA, n’en a plus que pour quelques mois. Mais il n’a pas les moyens de se les procurer, ces nouvelles poches. Il doit donc, à bout de ressources, utiliser des sacs verts. Misère !

La chose n’a échappé à personne : tout autour de nous, à la grandeur de la planète et à tous les niveaux, il se trouve des trous de cul tout ce qu’il y a de plus naturels. Et qui sont dangereusement productifs, côté matière première.

  • Combien de dollars sont engloutis dans les dépenses militaires tous les jours ? Un institut de Stockholm nous l’a appris récemment : 4,5 milliards $, soit 1630 milliards $ par année. Sept des dix entreprises parmi les plus grandes productrices d’armements dans le monde sont étasuniennes. De quoi produire pas mal de sacs verts.

  • La peine de mort est toujours une industrie florissante au Texas. George W. Bush avait 152 scalps à sa ceinture. Son successeur et principal candidat à la présidence des États-Unis pour le parti républicain, Rick Perry, en a maintenant 235. Un record absolu. Troy Davis a été victime d’un assassinat d’État en Georgie il y a quelques semaines. Plusieurs croient en une erreur judiciaire. Le président Obama n’a pas levé le petit doigt, « une matière qui relève d’un État fédéré », a-t-il dit. La Cour suprême a refusé d’étudier le cas : neuf juges à zéro. Ces cowboys qui veulent civiliser le reste de la planète se promènent main dans la main avec d’autres démocraties tout aussi exemplaires : la Chine, la Syrie, l’Iran, l’Irak, la Corée du Nord, l’Arabie saoudite. La Papouasie, l’Ouzbékistan, la Zambie ont aboli la peine de mort… Mais, comme tout le monde le sait, ce ne sont pas de vraies démocraties. On y manque peut-être de sacs verts.

  • Le ministre de la Défense, Peter MacKay, en excursion de pêche, a réquisitionné l’un des trois hélicoptères chargés de la sécurité en mer pour revenir sur la terre ferme. Un coût de 16 500 $. Depuis 2008, le général en chef de l’armée canadienne, Walter Natynczyk, s’est servi des avions militaires à des fins strictement personnelles. On évalue ses dépenses de voyage à plus d’un million de dollars. Le général épargnait sans doute en rangeant son linge dans des sacs verts.

  • Le ministre des Finances, Jim Flaherty, tient absolument à ce que le trésor public épargne de l’argent. Pour ce faire, il a fait appel à la firme de comptables Deloitte, à qui un contrat de 20 millions $ a été accordé. Le mandat ? Sabrer 4 milliards dans les dépenses. À 90 000 $ par jour, on ne doute pas que les sabres soient bien aiguisés. Combien de sacs verts pourront être remplis par les milliers de pages des rapports des comptables ?

  • Des coïncidences comme ça, ça ne s’invente pas ! Couche-Tard a découvert que deux de ses dépanneurs étaient déficitaires. Fermés, les dépanneurs en question. Drôle de hasard, les employés de ces deux établissements s’étaient donné un syndicat CSN. Vivement des comptables à la rescousse de M. Bouchard ! C’est certainement avec des sacs verts que M. Alain Bouchard a vidé ses dépanneurs.

  • André Boisclair est désormais sur la liste de paie de Questerre, une entreprise albertaine qui exploite les gaz de schiste. On comprend maintenant pourquoi il a refusé de reconnaître un vote visant à promouvoir l’énergie éolienne adopté par les deux-tiers du Conseil national du Parti Québécois. André Pratte, qui avait apprécié sa performance, avait titré un éditorial : « Un chef est né ». On a retrouvé son honneur perdu dans un sac vert.

  • Un ancien chef de cabinet de Robert Bourassa et ex-ministre libéral au fédéral, Rémi Bujold, a obtenu, sans appel d’offres, des contrats évalués à 525 000 $ pour jaser avec les Mohawks au sujet de l’autoroute 30. Ces dernières années, il a versé quelque 23 000 $ à la caisse du parti libéral. 1250 $ par jour, ça aide à acheter des sacs verts !

  • Il y a quelques années, Jean Charest avait traité la députée Elsie Lefebvre de « crisse de chienne » en pleine Assemblée nationale. Le subtil ministre d’État aux Transports, Norman MacMillan, pour ne pas être en reste, a qualifié la députée Sylvie Roy de « grosse crisse », après l’avoir déjà traitée de « grosse vache ». Paraîtrait que les libéraux ont une méchante réserve de sacs verts.

Anatole France avait vu juste. « Ce que les hommes appellent civilisation, c’est l’état actuel des mœurs et ce qu’ils appellent barbarie, ce sont les états antérieurs. Les mœurs présentes, on les appellera barbares quand elles seront des mœurs passées. »

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