Entrevue avec le réalisateur de Hasta la vista

2011/10/05 | Par Ginette Leroux

De retour à Montréal, le 25 septembre, le réalisateur flamand Geoffrey Enthoven se dit encore ému du chaleureux accueil que lui a réservé le public montréalais au mois d’août dernier, alors que son film « Hasta la vista » était présenté en première mondiale au Festival des Films du monde. « C’était fantastique. Cette réception enthousiaste n’a fait qu’augmenter d’une séance à l’autre », se souvient-il. Sans oublier les lauriers récoltés à l’issue du FFM, dont le prestigieux Grand Prix des Amériques.

Acheté par K-Films Amérique, « Hasta la vista » a commencé sa tournée par une première au cinéma Beaubien à Montréal le 26 septembre. Le lendemain, Geoffrey Enthoven a accompagné son film au premier Festival de cinéma de la ville de Québec. Le 3 octobre, à l’issue de ce festival, il a remporté le Prix du Public Prestige.

Assis en face de moi dans la salle de réunion de l’Auberge de la Fontaine, face au parc du même nom, le sympathique cinéaste, chemise blanche à col ouvert, décontracté malgré la fatigue du décalage horaire, m’entretient de son dernier film et confirme la vitalité du cinéma flamand.

Dans « Hasta la vista », Philip, Jozef et Lars, trois jeunes handicapés en quête de leur première relation sexuelle, partent vers l’Espagne à la recherche d’un bordel offrant des services sexuels aux personnes handicapées. Une tragi-comédie dans laquelle se superposent émotions et rebondissements. Pierre de Clercq a écrit un scénario tiré de l’histoire vraie d’Asta Philpot, qui a fait l’objet d’un documentaire produit par la BBC. Atteint d’un handicap sévère, le jeune homme avait initié cette expérience et entrepris son voyage en Espagne, accompagné de ses parents.

À la différence de l’histoire du Britannique, dans le film de Enthoven, les parents sont largués au profit d’une infirmière qui s’occupera d’eux tout au long du périple. Chez les Belges, l’indépendance face à l’autorité parentale est l’élément clé du récit. « Aider quelqu’un n’implique en aucun cas le droit de lui dicter sa conduite. Je pense que chacun a droit à sa dignité personnelle », nous dit, d’entrée de jeu, Geoffrey Enthoven.

Cette même vision colore « Meisjes », son film précédent, où il est question de la dépendance des personnes âgées face à leurs enfants. « Il faut connaître ses limites lorsqu’on aide quelqu’un. Le droit à une vie sexuelle est également un droit fondamental comme l’amitié ou la nécessité de manger à chaque jour. » Celui qui se définit comme un éternel pessimiste y va pourtant d’un message positif en mettant en scène des personnages qui, tout en ayant tout contre eux dans la vie, prennent leurs problèmes à bras-le-corps et inversent leur destin.

Le film de fiction permet à Enthoven d’aller plus loin que le documentaire. Les aventures vécues par les personnages sont amusantes et l’humour permet de relativiser les problèmes. « En dépassant les tabous, croit-il, on arrive à rigoler tout en présentant une autre vision du problème. »

Dans cette quête de liberté personnelle, les jeunes sont égaux. Tous recherchent l’amitié, l’amour, la tendresse, l’épanouissement sexuel, mais ils se butent à l’industrie qui manipule ces désirs en créant de faux besoins. Elle s’impose dans tous les domaines : des vêtements jusqu’au déodorant, en passant par la musique dans le but de plaire au sexe opposé. « C’est un grand mensonge », s’indigne Geoffrey Enthoven. Personne n’y échappe. Encore moins les handicapés du film. Ils veulent aller aux putes parce qu’ils n’ont pas d’alternative.

« J’ai tout fait pour qu’après cinq minutes, on oublie qu’il s’agit de personnes handicapées et qu’on se reconnaisse soi-même, affirme le cinéaste de 37 ans. Le handicap n’est qu’une fausse excuse. Tout le monde a ses limites et personne n’a plus de chance que l’autre. Chacun doit trouver ses propres portes de sortie. »

Actuellement, le cinéma flamand est en pleine ascension. Ses jeunes cinéastes parcourent le monde, leurs films sous le bras, accueillis par des spectateurs ravis de découvrir leur talent, ébahis par leurs qualités professionnelles. S’en est suivi une visibilité accrue des films flamands dans les festivals internationaux. Par exemple, « Ben X » de Nic Balthazar (2007), « Meisjes » (2009) de Geoffrey Enthoven ont été présentés à Montréal. Rappelons que « Enfer à Tanger », un long métrage signé Frank Van Mechelen, a gagné le prix d’interprétation masculine au FFM en 2006. « Le premier pays qui a reconnu la qualité de notre cinématographie, c’est le Québec », dit Enthoven, heureux de la belle histoire d’amour qui se poursuit entre le public québécois et lui.

Celui qui a 5 films à son actif en 10 ans de carrière explique que tout a commencé par la présentation de téléfilms créés pour la chaîne de télévision belge. Un succès fou qui a dépassé les frontières du pays. La manne pour les jeunes réalisateurs, fraîchement émoulus des écoles de cinéma, à qui les recettes de ces productions ont permis une première expérience cinématographique. Résultat : plus de films produits et la découverte de nombreux réalisateurs de talent.

Enthoven rappelle qu’il y a 10 ans, aller voir un film flamand, c’était comme donner de l’argent à l’Unicef. La situation a beaucoup changé depuis. Les Flamands ont imité leur voisin, le Danemark. Dans ce pays, les films sont tournés en danois et visent à rejoindre un public danois. Et le public est au rendez-vous. En matière de financement, là encore, l’État belge a repris et amélioré un modèle inspiré d’un autre pays limitrophe, les Pays-Bas.

Les films flamands ont la cote en Belgique, plus précisément en Flandre. Si « Hasta la vista » cartonne à Bruxelles depuis sa sortie le 14 septembre dernier, il tarde à arriver en salles en Wallonie. « C’est pratique courante, nous dit Enthoven. Les Bruxellois exceptés, les Wallons se révèlent eux-mêmes peu intéressés par leur propre cinéma. Ils ont boudé le dernier film des frères Dardenne ‘‘Rosetta’’, pourtant très prisé en Flandre. » Les Flamands ont su faire connaître leur cinéma. Heureux du succès remporté à l’international, ils sont, avant tout, fiers d’être prophètes dans leur propre « pays ».

Geoffrey Enthoven a le vent dans les voiles. Son prochain long métrage, une coproduction canado-flamande, est attendu pour 2013.


Bookmark