À mes amis journalistes économiques

2011/10/27 | Par Léo-Paul Lauzon

C’est sans prétention aucune que je vous dis, avec une légère pointe de fierté, que je n’ai que des amis et des partisans invétérés parmi la confrérie journalistique écrite et parlée. Vrai qu’ils ne m’appellent pas souvent pour s’enquérir de mon opinion, mais ça n’empêche pas qu’ils m’aiment beaucoup.

Ils préfèrent tout simplement des analystes économiques plus lucides, plus modernes et très sérieux, qui font preuve d’une très grande «rigueur» fiscale et de plus de réalisme économique.

Par rigueur fiscale,, ils entendent évidemment détaxer et subventionner les riches et les entreprises et taxer le monde ordinaire et surtout ce qui est très à la mode chez les économistes «pragmatiques», tarifier tous les services publics «full pin».

Par réalisme économique, faut leur parler en bien des privatisations, de la sous-traitance, des PPP, de la désyndicalisation et autres bonnes choses du genre.

Et puis, j’aime leur sens de l’humour. Par exemple, dans son hommage à son collègue nouvellement retraité Claude Picher, qui m’a arraché quelques larmes (paru le 14 octobre 2011), Rudy Le Cours de La Presse nous a entretenu de rigueur fiscale. Rudy qui cogite sur le thème de rigueur fiscale, admettez avec moi qu’elle est bien drôle et tellement rafraichissant.

À mes amis journalistes économiques, puis-je me permettre de leur suggérer de lire de temps en temps la revue américaine d’affaires Business Week, qui est loin d’être à la solde des communistes, et de commenter dans leurs médias leurs dossiers et articles très fouillés.

Ça vous permettrait d’ouvrir vos horizons embrumés et d’informer correctement vos lecteurs et vos auditeurs au lieu de les «brainwasher» avec vos études émanant des banques (de très gros annonceurs payants, j’en suis conscient. Mais, quand même, il y a des limites), du Fraser Institute, du C.D. Howe, du Conference Board, de l’Institut économique de Montréal et autres organismes à la solde et financés par le patronat.

Je ne vous dis pas de commenter les textes de revues américaines progressistes, comme The New Yorker, The Nation, le Atlantic Monthly ou de quotidiens de centre-droite comme le Washington Post ou le New York Times mais bel et bien la revue d’affaires Business Week. Cé-tu trop vous demander?

Ça vous aiderait grandement à développer un certain esprit critique et vous seriez peut-être moins enclins à vous comporter comme des perroquets du grand capital.

À la rigueur, si vous ne voulez ou ne pouvez pas reprendre dans vos médias les études de Business Week, dites-moi pourquoi vous ne présentez pas ce type d’information très critique sur la business québécoise et d’ailleurs?

Peut-être aussi, il serait bien de citer les économistes américains Joseph Stiglitz, Paul Krugman (deux prix Nobel) et Jeffrey Sach au lieu d’épiloguer tout le temps sur les dissertions primaires de vos économistes lucides d’ici comme Fortin, Montmarquette, Boyer, Bernard et compagnie.

Tiens, prenons un premier exemple. Dans un article du 26 septembre 2011 intitulé : «Job killing Tax Hikes may not be so Deadly», il est écrit ceci noir sur blanc : «il existe des preuves très limitées que des impôts plus élevés des riches signifient moins de jobs».

Dans ce texte, il est aussi mentionné que les baisses d’impôt consenties aux gros bonnets ne sont pas injectées dans l’économie mais ne font qu’augmenter leurs grosses épargnes et alimenter la spéculation.

C’est exactement ce qu’avait affirmé l’économiste Lise Pichette de la Banque du Canada dans sa recherche exhaustive commentée dans La Presse du 10 octobre 2008 : «La Bourse n’influence pas la consommation».

Ce qu’il faut faire, amis inséparables, c’est de détaxer la classe moyenne qui va consommer immédiatement ces réductions d’impôts et de taxes stimulant ainsi l’économie et la création d’emplois. Mais, le patronat, leurs économistes de service et leurs journalistes attitrés prêchent tout le contraire et plaident pour augmenter les taxes à la consommation et les tarifs de tous les services publics.

Ça prend pas une lumière pour comprendre que si vous augmentez la TVQ, les frais de scolarité, instaurer un impôt santé, des péages sur les autoroutes et les ponts, hausser les tarifs d’électricité et ceux du transport en commun sans augmenter les salaires des travailleurs, eh bien vous les appauvrissez. Comprenez-vous ça amis journalistes économiques?

Vous êtes vous déjà demandé pourquoi les pontifes préfèrent les baisses d’impôts sur le revenu et militent toujours avec leurs milliers de lobbyistes pour plutôt augmenter les taxes à la consommation et tarifier les services publics? Allez, un petit effort de réflexion et vous allez comprendre…

Toujours dans le même article du Business Week, il est mentionné que durant les années 50’s, de forte croissance économique aux Etats-Unis, le taux marginal d’impôt des plus riches américains était, tenez-vous bien mes amours, de 91%.

Admettez que ça vous fait freaker et que vous êtes horrifiés. Camarades journalistes, calmez-vous, je vous en prie. Suggérer ça aujourd’hui, vous nous sortiriez pour la énième fois votre vieille cassette ridicule de l’exode des cerveaux, celle des «Faire payer les riches« et celle qui parle d’étouffer et de brimer injustement nos créateurs de richesse.

Toujours dans le même numéro du 26 septembre 2011 de la revue Business Week, (Business Week, c’est dans les ligues majeures et Les Affaires dans une ligue de garage), il y a cet autre article mes potes intitulé «The Buffet rule isnt sensible reform» dans lequel on conclut en disant : «Les impôts ne sont pas une punition. Ils sont le prix à payer pour vivre dans une société dite civilisée».

Et puis tiens, il y a aussi ce dossier fiscal très intéressant concernant l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux pratiquée par les grandes compagnies américaines qui veulent rapatrier ces milliards de dollars aux Etats-Unis sans payer d’impôt et qui engagent, comme au Québec et au Canada, d’ex-politiciens comme lobbyistes pour faire pression auprès des gouvernements. Un dossier de trois pages publié le 3 octobre 2011 et intitulé : «The trillion dollar tax Holiday». Vos lecteurs adoreraient.

Preuve que j’ai pour vous amis journalistes un amour démesuré est cet autre dossier du 11 avril 2011 de 7 pages paru encore dans Business Week et titré en gros caractères en page frontispice svp. : «How to pay no taxes» et en sous-titre : «11 abris et stratagèmes fiscaux utilisés par les plus riches américains».

Dites-moi pourquoi n’avez-vous jamais rien rédigé sur ces dossiers étoffés et articles pertinents parus dans la revue d’affaires Business Week?

Incroyable mais vrai, même les revues d’affaires américaines sont beaucoup plus critiques des politiques fiscales et économiques élaborées aux States que l’ensemble de nos médias d’ici. Faut le faire! Pourquoi tenir vos lecteurs et vos auditeurs dans une telle ignorance? À qui cela profite-t-il? Qui dicte l’agenda?

Et puis que dire de cet autre article du 15 août 2011 intitulé : «Same tax stand ignores different times» dans lequel il est mentionné qu’en 1982 le président républicain américain Ronald Reagan, pourtant très à droite, a promulgué les plus importantes hausses d’impôts sur le revenu de l’histoire des Etats-Unis avec comme résultat une croissance économique époustouflante.

Hum! Hum! Ce n’est pas du tout ce que dit la légende des méchantes et pernicieuses hausses d’impôts imputées aux seigneurs. De même en 1993, Bill Clinton a augmenté substantiellement les impôts sur le revenu des riches et des compagnies et pouf, pouf, pouf, la plus gigantesque croissance économique de ce pays : un surplus de plusieurs milliards de dollars pour le gouvernement fédéral et un taux de chômage inférieur à 4%. Ayoye!

Pourtant, à l’époque, le patronat, leurs journalistes et leurs économistes jugeaient que les hausses d’impôt allaient provoquer une terrible récession, tuer l’emploi et décourager l’entrepreneurship. Dépêchez-vous et allez lire ces articles récents. Vous allez vous coucher ce soir moins… Faites comme Elvis Gratton et enregistrez votre partie de hockey.

À force d’enfoncer dans l’esprit des gens la croyance qu’ils doivent payer plus pour leurs services publics et leurs taxes à la consommation et qu’il faut impérativement baisser les impôts des riches et des compagnies tout en les subventionnant davantage afin de supposément créer de la richesse et éviter l’exode des cerveaux et des usines, vous tenez vos lecteurs et vos auditeurs dans l’ignorance la plus totale, vous les culpabilisez et vous provoquez chez eux résignation et soumission. Vraiment insidieux.

Ce que j’aime, c’est qu’entre amis on peut et on doit se parler franchement. L’hypocrisie n’a plus sa place entre nous. Je suis sûr que vous êtes d’accord avec moi et que vous appréciez mes remarques.

Il y a Le Devoir qui nous a pondu un autre sondage niaiseux le 17 octobre 2011 et qui nous a révélé, en première page, oh surprise : «Sondage Léger Marketing- Le Devoir. Oui au péage sur Champlain» et en mode PPP en plus de ça. Vous devriez vous garder au moins une petite honte aussi minime soit-elle pour vous comportez de la sorte.

Le comble de l’endoctrinement et de l’ignorance se produit lorsque des individus sont favorables à des politiques économiques et fiscales qui vont les appauvrir davantage au profit des gras durs ou qui votent pour des partis politiques qui ont principalement à cœur l’intérêt supérieur des Crésus, c’est-à-dire ceux qui ont financé leur campagne électorale et qui les ont fait élire afin qu’ils dégraissent l’État et ses services publics et mettent au régime les syndicats, ces incroyables empêcheurs de tourner en rond!

Prenons aussi La Presse qui illustre bien l’intoxication intéressée des lecteurs. Le 5 octobre 2011 paraît en première page ce gros titre : «Il faudra payer pour traverser le fleuve». Comme la population veut absolument un pont, on lui fait croire (les journalistes et les éditorialistes font partie de la «game») qu’elle devra payer car les coffres de l’État sont supposément à sec. Devant cet ultimatum, les utilisateurs du pont sont prêts à payer.

Puis, il y a cette guirlande intellectuelle éditorialiste à La Presse, François Cardinal qui a intitulé son texte du 6 octobre 2011 ainsi : «Pas de péage, pas de pont». C’est exactement ce qu’exigent le patronat et leurs politiciens. Monsieur Cardinal, vous êtes vous demandé comment il se fait que tous nos services publics ont été sous-financés au cours des trente dernières années et laissés à l’abandon (incluant les aqueducs que vous avez abordés dans votre éditorial du 8 octobre 2011 intitulé «Le coût de l’eau» et dont vous préconisez le principe de l’utilisateur-payeur») alors que le Canada et le Québec ont connu une croissance économique phénoménale?

La réponse est simple et très bien documentée : nos gouvernements se sont privés volontairement de recettes fiscales en baissant radicalement les impôts des nantis et des compagnies, en multipliant les abris fiscaux, en faisant preuve de complaisance sur l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux et en multipliant les subventions aux entreprises souvent milliardaires.

Monsieur Cardinal, je vous dirai aussi qu’au cours des trente dernières années florissantes, le salaire des travailleurs a stagné. J’ai conservé mes vieux numéros du Busineess Week si ça vous tente de vous décrassez l’esprit. Ça prendra le temps qu’il faudra.

Pour revenir au Devoir, dans votre sondage bidon, avez-vous pensé à y incorporer une question du genre : «Au lieu d’instaurer un péage sur le pont Champlain, seriez-vous d’accord pour faire comme aux Etats-Unis et de réintroduire au pays les impôts successoraux qui permettraient à nos gouvernements de construire en mode traditionnel au moins un pont par année et quelques autoroutes non payantes?».

Ou encore «Les REER (régime enregistré d’épargne-retraite) sont un puissant abri fiscal pour épargner de l’impôt. Mais seulement un Canadien et un Québécois sur quatre cotisent annuellement à un REER pour une somme médiane de 2800$ alors que le montant maximal admissible est de 23 000$. Cette vache sacrée fiscale qui ne profite qu’à une minorité de grosses pointures coûte au moins 30 milliards$ par année aux gouvernements fédéral et provinciaux.

Question : «Afin de financer la construction du pont Champlain et d’éviter tout péage aux utilisateurs, seriez-vous d’accord pour ramener à 5000$ le montant maximal annuel des REER?». Ainsi, on pourrait encore construire quelques nouveaux ponts et des autoroutes mais aussi investir dans la santé et l’éducation et rendre gratuites les études universitaires.

Si vous m’aviez contacté, j’aurais pu vous suggérer d’autres pistes pour financer la construction du nouveau pont sans péage pour les utilisateurs et surtout sans surtaxer quiconque, même les pachas, ce qui vous traumatise beaucoup.

N’ayez crainte, je suis une personne réaliste et pragmatique. Face à vous, je peux bien passer pour un intégriste de la gauche radicale alors que je puise mes idées très souvent dans le Business Week.

Tiens, mes petites crottes d’amour, d’autres textes récents de Business Week que vous devez lire :

  • «Forest Laboratories «globe-trotting profits. How one pharmaceutical company avoid a third of its U.S. income taxes by moving its money around the world», 17 mars 2010;
  • «Google has made 11,1 billion overseas since 2007 paid just 2,4% in taxes», 25 octobre 2010;
  • «Stacking up the Bush tax cuts», 20 septembre 2010»;
  • «Taxes : Ready to rumble», 1er février 2010»



POUR LA FIN, LA CERISE SUR LE SUNDAE : BERNARD LANDRY AIME BEAUCOUP CLAUDE PICHER

Samedi le 15 octobre 2011, le journaliste économiste autodidacte très et beaucoup à droite Claude Picher de La Presse a rédigé son dernier texte. Bonne nouvelle, mais ne vous réjouissez pas trop vite car La Presse va le remplacer par une copie conforme afin de continuer à vous intoxiquer.

Quelle ne fut pas ma surprise de recevoir le mercredi 12 octobre 2011 un appel téléphonique du journaliste Vincent Brousseau-Pouliot de La Presse pour que je commente brièvement la carrière journalistique de Claude Picher avec qui j’ai eu quelques différends au fil des ans.

Je lui ai simplement signalé que, comme la flagornerie et la convivialité n’étaient pas mon fort, selon moi, Claude Picher a toujours été un porte-queue des gros capitalistes (incluant Power, la compagnie-mère de la Presse), se référant toujours aux études pondues par l’organisme d’extrême-droite patronal du Fraser Institute qui emploie Ralph Klein et Mike Harris, les ex-premiers ministres de l’Alberta et de l’Ontario et comme chercheurs en plus de ça. Quelle farce grotesque!

Bien évidemment, mon opinion n’a malheureusement pas été retenue dans La Presse du 14 octobre 2011, comme elles n’ont jamais été publiées dans ce média qui, certains jours, ressemble à un catalogue de publicités.

Par exemple, c’est encore François Cardinal qui, face à la hausse du prix de l’essence (qui profite beaucoup à la pétrolière Total dont Power Corp. est un important actionnaire), nous recommande de moins utiliser notre char alors que La Presse publie chaque jour de nombreuses publicités sur l’achat de voitures et même un gros cahier hebdomadaire dévolu seulement à l’automobile. Un peu de cohérence serait de mise, messieurs!

Par contre, l’éloge de Bernard Landry l’a été. Lui qui a souvent, dans le passé, exprimé son admiration sans borne, pas seulement pour Claude Picher, mais aussi pour son collègue Alain Dubuc, a dit : «Je vais m’ennuyer (pas de moi bande de petits monstres à batterie ) car j’ai toujours appris en le lisant. Ses articles m’ont aidé en politique (on comprend mieux maintenant l’origine de ses politiques ultra libérales). Sa connaissance et sa vision de l’économie m’ont toujours impressionnées (sic)».

Très émouvant, n’est-ce pas? Les poules vont avoir des dents avant que Bernard Landry tienne des propos aussi louangeurs à mon endroit. Pourtant, je suis son collègue à l’UQAM et on fait même partie tous les deux de l’École des sciences de la gestion. Bernard Landry, qui a eu comme attachés politiques des gens comme Maxime «Jos Louis» Bernier, anciennement de l’Institut économique de Montréal et maintenant député conservateur et Daniel Audet, vice-président du Conseil du patronat, a un sens de l’humour assez particulier, (en plus de nous prendre tout le temps pour des cruches) lorsqu’il a dit le plus sérieusement du monde, avec son énorme air condescendant, comme à son habitude : «La gauche, c’est nous plaide le premier ministre Bernard Landry», pièce d’anthologie publiée dans Le Devoir du 29 mai 2001. Franchement Bernie! On n’a plus la gauche qu’on avait.

Avis aux intéressés, j’ai la copie originale de l’article du Devoir que je serais prêt à échanger pour les cartes de Little Beaver et de Sky Low Low. Non, essayez-vous pas, mon article n’est pas à échanger pour une paire et demie de pantoufles en phentex, à moins qu’elles soient jaune serin et rose bonbon.

Jean-Claude Germain doit bien avoir ça dans ses vieilles affaires. Tiens, Jean-Claude, donne moi tes pantoufles Patof et je te donne une photocopie couleur (noir et blanc) de mon article. Et pourquoi pas me faire un peu de publicité? Je suis à rédiger et à préparer des séminaires sur «Comment parler à des amis sans les brusquer».

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