Éducation : les réformes de Line Beauchamp et du tandem Sirois-Legault

2011/11/09 | Par Pierre Dubuc

La proposition de la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, de sabrer dans le budget des commissions scolaires et de financer les écoles en fonction des résultats scolaires des élèves est toujours d’actualité, même si elle a été temporairement repoussée par les membres du Parti libéral, lors de leur dernier congrès.

La proposition s’inspirait du programme de la Coalition pour l’avenir du Québec du tandem Sirois-Legault qui prône l’abolition des commissions scolaires et la paye au mérite pour les enseignants.

De façon plus générale, elle s’inscrit dans une offensive, menée dans un grand nombre de pays, contre les structures scolaires et les organisations syndicales, présentées comme responsables des difficultés scolaires des élèves. Les structures seraient un obstacle à l’autonomie des écoles et les syndicats brimeraient la liberté des enseignants, selon cette école de pensée.


Prendre comme modèle, le dernier de la classe

Les promoteurs de cette réforme invoquent, pour justifier la nécessité des changements qu’ils proposent, le classement PISA (Programme for International Student Asessment) qui compare la performance des élèves des pays selon leurs habilités en lecture, mathématiques et sciences.

Au sommet de ce palmarès, on retrouve, parmi les cinq premières places, quatre pays asiatiques et la Finlande. Le Canada vient au sixième rang et les États-Unis au 14e rang. Comme les promoteurs des réformes ont tendance à mettre de côté l’expérience des pays asiatiques, en invoquant un comportement culturel trop différent du nôtre, on pourrait s’attendre à ce qu’ils prennent comme modèle la Finlande, voire le Canada.

Mais, non! Ils n’invoquent jamais l’exemple de la Finlande où sont proscrits l’évaluation répétitive des élèves, la concurrence entre les écoles, les écoles privées et la paye au mérite des enseignants. Au contraire, ils nous proposent le modèle américain!

En Finlande, comme c’était le cas au Québec et dans plusieurs pays jusqu’à tout dernièrement, on explique les succès ou les insuccès des élèves principalement par le statut socio-économique des parents, la maîtrise de la langue – particulièrement dans le cas des immigrants – , la valorisation de la profession enseignante et l’importance des investissements en éducation.

C’est précisément à ce schème d’analyse que s’attaquent les propositions des Line Beauchamp et François Legault, fidèles en cela leurs maîtres à penser néolibéraux.


Quand l’idéologie fausse l’analyse

Dans un article (17 septembre 2011) de la revue britannique The Economist (la bible des milieux d’affaires et de plusieurs gouvernements), intitulé « The Great Schools Revolution », on met de côté les explications classiques du succès des modèles scolaires pour en proposer d’autres plus conformes au credo de l’idéologie néolibérale : 1. La décentralisation; 2. Mettre l’accent sur les élèves en difficulté; 3) Offrir un choix entre différents types d’école; 4) De plus hauts standards pour les enseignants.

Il est intéressant de constater comment, dans la suite de l’article, son auteur triture les faits pour les faire correspondre à son « modèle théorique ». Nous le voyons très bien lorsqu’il analyse le système scolaire de l’Ontario qui, dans un autre palmarès (McKinsey), se classe au quatrième rang, après trois pays asiatiques.

Selon The Economist, les succès de l’Ontario s’expliqueraient par la politique gouvernementale qui remet aux écoles la responsabilité de fixer leurs propres objectifs de réussite et par la mise en place d’équipes d’enseignants chevronnés chargés de venir épauler les équipes-écoles rencontrant des difficultés.

On a l’honnêteté d’ajouter que les succès sont aussi tributaires d’une augmentation de 30% des budgets de l’éducation depuis 2004, un élément qui avait été éliminé d’emblée au début de l’article comme facteur explicatif des succès scolaires.

De même, aucune mention n’est faite du fait qu’il n’y a pas en Ontario de choix « entre différents types d’école ». Contrairement au Québec, il n’y a qu’un seul réseau scolaire et il est public! Le gouvernement ne subventionnant pas les écoles privées, celles-ci sont marginales.

Belle omission, de la part d’un journaliste qui, ailleurs dans le même article, vante les écoles à charte aux États-Unis, qui sont la version américaine de nos écoles privées.


Quand les milieux d’affaires dictent leur modèle

Dans un autre article, publié cette fois l’édition du 29 septembre de la New York Review of Books, Mme Diane Ravitch pourfend une nouvelle fois les promoteurs du modèle américain.

Auteure du best-seller, The Death and Life of the Great American School System, Mme Ravitch démontre comment les conservateurs du Parti républicain, les principales fondations et les financiers de Wall Street ont dicté à l’administration Bush, puis à celle d’Obama, la réforme en cours du système américain, dont s’inspirent Mme Beauchamp et M. Legault.

Leur objectif, explique Mme Ravitch, est de modeler l’école sur ce qu’ils connaissent : le « libre marché ». Il en découle un marché de l’éducation avec des écoles, des enseignants et des élèves en compétition les uns avec les autres.

Si on admettait un instant que l’école puisse être modelée sur l’économie, il y aurait de quoi s’inquiéter quand on voit l’état actuel de l’économie de « libre marché »!


Revenir aux recettes éprouvées

Mme Ravitch connaît bien le sujet puisqu’elle a été sous-ministre de l’Éducation sous l’administration de George W. Bush avant de démissionner après avoir constaté les ravages découlant de la réforme No Child Left Behind.

Elle est aujourd’hui la plus féroce critique du modèle américain. Elle démontre, citations à l’appui, que l’école américaine a toujours été perçue dans certains milieux, depuis le XIXe siècle, comme étant en crise, ce qui n’a pas empêché, ajoute-t-elle le pays de devenir la plus grande puissance mondiale.

Mme Ravitch rappelle que, dans les années 1970 et 1980, l’écart entre les élèves Noirs et Blancs aux États-Unis a été réduit de moitié par des moyens éprouvés : l’amélioration du statut socio-économique des familles noires, des investissements dans les programmes de la petite enfance et la réduction du nombre d’élèves par classe.

Une étude des progrès extraordinaires réalisés, au cours de la même période, par le système d’éducation québécoise identifieraient les mêmes ingrédients de succès.

Mme Ravitch se porte à la défense des commissions scolaires, qui, en plus de permettre une adaptation aux spécificités locales, servent souvent de contrepoids aux politiques néfastes du gouvernement central. Elle est également favorable aux organisations syndicales qui, en plus de permettre aux enseignants de faire leur métier sans avoir au-dessus de la tête une épée de Damoclès, sont à l’origine de plusieurs des réformes les plus importantes.

Son message est simple et clair : mettre de côté toute cette quincaillerie néolibérale et revenir aux valeurs sûres qui ont permis tant de progrès au cours des dernières décennies.

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