La Maison à la salle Fred-Barry

2011/11/18 | Par Marie-Paule Grimaldi

Certains recherchent un art qui soit plus engagé sans s’adresser uniquement à une élite, un art qui puise son action à même les problématiques vécues par sa société, et des initiatives d’art et communauté telle que la pièce La Maison présentée dernièrement à la salle Fred-Barry du théâtre Denise-Pelletier y répondent tout à fait.

Ailleurs dans les médias, on a beaucoup souligné le processus entourant cette création de la compagnie Pirata Théâtre qui a collaboré avec des participantes des ateliers de théâtre de Passages, organisme offrant des ressources d’hébergement et d’insertion aux jeunes femmes en difficulté. Mais qu’en est-il du résultat artistique?

La Maison est basée sur le roman Océan Mer d’Alessandro Baricco, qui a offert des schémas dramatiques à une création collective originale. On retrouve la maison de naufragés et les gardiens qui l’habitent, des personnages en sont issus (la peintre, la femme au scaphandre, la femme très belle, par exemple), et cette même place faite à l’histoire de chacun.

Mais les jeunes femmes ayant participées à la création (plus de 20) se sont approprié le cadre pour y insérer leur propre expérience et y laisser leur trace. La maison cette fois n’est composée que de femmes, et de la mer, une fausse mer faite d’artifices, une mer fabriquée.

Nous plongeant plus dans une série de tableaux que dans une histoire structurée, l’ambiance est toute en étrangeté, décalage, absurdité, et ce que la production peut comporter d’imparfait en comparaison aux critères habituels de performance (accessoires bricolés et comédiennes non-professionnelles par exemple) nourrit le sentiment de folie et de douleur feutrées. Le texte final, un collage resserré par la metteure en scène et initiatrice du projet Michelle Parent, est brillant, drôle, aussi sensible que dynamique.

Sur scène, elles sont cinq comédiennes non-professionnelles et cinq comédiennes professionnelles qui se partagent également les rôles principaux et ceux silencieux – mais ô combien poétiques. On voit bien sûr une différence au niveau technique (texte, voix et diction), mais en ce qui concerne la présence, l’intensité et la vérité des personnages, on ne peut les distinguer. Elles livrent toute une interprétation dédiée et assumée, et nous font vivre de petits moments de grâce, par exemple lorsque l’une d’elle, réellement à quelques jours d’accoucher, traversait la scène sans un mot, un soleil dessinée sur son ventre, alors que les autres la regardaient passer dans la nuit avec sa lumière.

La mise en scène aurait pu gagner en rythme, malgré la courte heure de représentation, et sait tout de même enchaîner les tableaux avant que l’action ne tombe à plat. La scénographie est juste et les vidéos utilisées réussies, mais c’est surtout les accessoires, ingénieux et utilisés à point qui ravissent.

Des mouettes en bas de laine sur un manche à balais, des méduses en parapluies recouvert d’une gaze, des vagues de tissus, des soleils en carton et des paquebots qui ne tiennent qu’au klaxon. Ces petites touches appuient parfaitement le propos autour des faux-semblants, des peurs, du besoin d’aller mieux, des problématiques d’errance et de folie qui sont abordées entre autres dans la pièce.

Sans être parfaite, La Maison est une pièce marquante, qui a su relever le défi d’une première production en salle pour Pirata Théâtre (qui a signé deux autres créations hors institution théâtrale auparavant), et qui a participé au défrichage de nouveaux horizons culturels.

Les enjeux soulevés par ce type de projet sont nombreux, autant dans la sphère sociale qu’il tente de mettre en lumière que dans la démarche artistique qui tente de s’élaborer autour de personnes qui ne sont pas toutes des artistes au départ mais qui entre de plain-pied dans un processus artistique. Et qui ont surtout beaucoup de choses à nous dire, et qui participent à des œuvres divertissantes, touchantes, transformantes, expérimentales… Que demande-t-on de plus à l’art? Peut-être de faire plus de place à des créations comme La Maison.

Bookmark