La responsabilité syndicale dans l’écart grandissant entre les revenus

2011/12/07 | Par Pierre Dubuc

En lisant le compte-rendu du rapport de l’OCDE sur l’augmentation des inégalités de revenus dans les pays avancés – où on apprend que le Canada fait pire que la moyenne des pays de l’OCDE – j’ai pensé à cet installateur de soucoupes, pour capter les signaux des télédiffuseurs, de Bell, rencontré récemment.

Bien qu’il soit uniquement à l’emploi de Bell, une des plus importantes entreprises au Canada, son statut est celui d’un travailleur autonome. Il installe trois à quatre soucoupes par jour, reçoit un montant forfaitaire pour chaque installation, mais travaille avec son propre camion, paie ses frais de déplacement, ses outils et le matériel. « Pour 30 000 $ à 40 000 $ par année, dépendant du nombre d’installations », m’explique-t-il. Et nous n’avons pas eu le temps de parler d’avantages sociaux (ou plutôt de leur absence).

Selon le rapport de l’OCDE, le quart de l’accroissement de l’écart des revenus entres les riches et les pauvres au Canada est attribuable à l’augmentation du nombre de travailleurs autonomes, dont les revenus sont évidemment inférieurs à ceux des autres travailleurs à temps plein.

Le recours à la sous-traitance, à l’impartition et à d’autres formes de désengagement des entreprises est en pleine croissance depuis une trentaine d’années. Au Québec, plus de 30% de la main d’œuvre occupe aujourd’hui un emploi atypique. Bien entendu, toute cette stratégie patronale, mise en place au nom de la « flexibilité » du marché du travail, n’avait qu’un but : se débarrasser d’emplois syndiqués.


Taux de syndicalisation et écart de revenus

Aussi, il n’est pas étonnant de constater que, parmi les pays où l’écart est le moins grand entre les riches et les pauvres, on trouve les pays avec les taux de syndicalisation les plus élevés.

Si, en moyenne, les 10% les plus riches ont un revenu 9 fois supérieur à celui des 10% les plus pauvres dans les 34 pays membres de ce club des économies développées, le ratio est de 15 pour 1 aux États-Unis contre 1 pour 6 en Norvège, en Suède et au Danemark, soit plus du double!

Aux États-Unis, le taux de syndicalisation n’est que de 11,4%, alors qu’il est de 55% en Norvège, de 68% en Suède et de près de 69% au Danemark.

Le même phénomène se constate au Canada. L’écart entre les revenus est moins grand au Québec – où le taux de syndicalisation s’approche des 40% – que dans l’ensemble du Canada, où il est de 28%.

Que les pays où le taux de syndicalisation est le plus élevé soient ceux où l’écart de richesse est le moins grand ne doit pas nous surprendre. La principale forme de distribution de la richesse dans une société est le salaire et celui des travailleurs syndiqués est supérieur à celui des travailleurs non syndiqués.


Le Canada fait pire que la moyenne

Au Canada, le revenu moyen des 10% les plus riches est de 103 500 $, soit 10 fois plus que celui des 10% les plus pauvres qui est de seulement 10 260 $. Au début des années 1990, le ratio était de 8 pour 1.

Entre 1980 et 2007, les 1% les plus riches ont vu leur part du gâteau passer de 8,1% à 13,3% de l’ensemble des revenus. Pire encore, si on ne considère que le dixième de 1% (0,1%), la part a plus que doublé, passant de 2% à 5,2%.

Pour expliquer l’écart grandissant entre les riches et les pauvres, les médias ont pointé du doigt la baisse des taux d’imposition des revenus des plus riches. Au fédéral, il est passé de 43% à 29% entre 1981 et 2010. Selon le rapport de l’OCDE, avant le milieu des années 1990, le système d’imposition au Canada jouait un rôle stabilisateur comparable à celui des pays nordiques. Il corrigeait plus de 70% des inégalités issus du marché du travail, contre moins de 40% aujourd’hui.

Pas étonnant que, pour corriger l’inégalité croissante entre les revenus, l’OCDE recommande, entre autres, d’augmenter les impôts des riches.


La solution : la syndicalisation

Mais notre portrait de la situation démontre que la véritable solution réside dans l’augmentation du taux de syndicalisation. D’abord, parce que le salaire étant la principale forme de distribution de la richesse, les travailleurs syndiqués ont de meilleurs revenus.

Deuxièmement, parce que les syndicats constituent la principale force sociale capable d’imposer aux gouvernements des systèmes d’imposition des revenus et de taxation plus justes.

Cependant, le défi pour les organisations syndicales est de trouver une approche et des formes organisationnelles originales pour syndiquer les travailleurs qui occupent des emplois atypiques.

Sinon, ces travailleurs seront mobilisés par le patronat, et les médias qui lui sont inféodés, contre les organisations syndicales qu’ils seront amenés à considérer comme corporatistes, c’est-à-dire comme préoccupées uniquement par la défense de leurs membres, plutôt que de l’ensemble de la classe ouvrière.

Après tout, n’était-ce pas là l’objectif du patronat en créant cette classe de travailleurs autonomes?!


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