Sombre avenir pour le Québec

2011/12/12 | Par Pierre St-Germain

L’auteur est président de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE)

Interrogé par les médias sur ses priorités, advenant son élection, François Legault répond régulièrement que l’évaluation des enseignantes et enseignants trône au premier rang de ses préoccupations.

Pour le chef de la Coalition pour l’avenir du Québec (CAQ), la chose est entendue : le réseau d’éducation public québécois est au plus mal et c’est à celles et ceux qui y enseignent qu’il faut s’attaquer de toute urgence.

Pourtant, lorsqu’interrogé sur le nombre d’enseignantes et enseignants qui poseraient problème, M. Legault assure qu’on en dénombrerait tout au plus 5 %. Singulière urgence!

Étonnamment, la CAQ persiste à faire porter aux enseignantes et enseignants l’entière responsabilité des maux du système d’éducation même si, de l’aveu même de son chef, 95 % d’entre eux sont compétents et consciencieux. Envers et contre tous, l’évaluation des profs serait LA PRIORITÉ d’un gouvernement dirigé par François Legault. N’y a-t-il pas d’autres problèmes, des vrais cette fois, qui mériteraient qu’on propose de véritables solutions?

À plus d’une reprise, François Legault a déclaré que les mesures mises de l’avant par la CAQ recevaient l’aval des enseignantes et enseignants. Pourtant, lorsque je rencontre les membres et que nous discutons de la proposition « caquiste », je peux vous assurer que les partisans de l’approche Legault se font rares.

Les enseignantes et enseignants déchiffrent vite l’arbitraire entourant un tel processus d’évaluation de leur « performance ». Quels enseignantes ou enseignants consciencieux accepteraient d’être évalués sur la base des résultats de leurs élèves, d’être à la merci des humeurs d’une direction d’école ou encore des décisions d’un ministre qui peut couper, à son gré, dans les budgets, sans égard aux conséquences sur les conditions d’exercice.

Un ministre qui, comme François Legault, a implanté une réforme sans manuels ni formation et laissant les enseignantes et enseignants à eux-mêmes.

En fait, et M. Legault se garde bien de le mentionner, les mesures d’évaluation du personnel enseignant existent déjà. Si leur application laisse à désirer, c’est bien plus en raison du laxisme, voire de l’incompétence, de certaines directions d’établissement. Est-il besoin d’une nouvelle structure d’encadrement lourde, coûteuse et de surcroît inutile? Jusqu’à maintenant, le credo « caquiste » nous portait plutôt à croire le contraire!

Avouons-le, en matière d’éducation, François Legault n’a rien inventé. D’ailleurs, l’idée de rémunérer les enseignantes et enseignants en fonction de leur « performance » n’est pas de lui. Comme bien d’autres chùoses, cette idée portée par un vent du sud est aujourd’hui présentée comme le remède magique à tous les maux. Mais, même le plus bref examen de l’état de santé du système d’éducation public de nos voisins dépeint un portrait aussi alarmant que consternant.

Malgré cela, François Legault et ses partisans persistent à appliquer ces mesures aux conséquences désastreuses pour l’école publique. Compétition malsaine entre enseignantes et enseignants, falsification des résultats scolaires, détérioration du travail collégial au profit d’un individualisme exacerbé ou abandon des élèves présentant les plus lourdes difficultés pour privilégier ceux qui sont plus susceptibles d’améliorer la « performance » de l’enseignante ou enseignant, ne sont que quelques exemples des dérives auxquelles ont mené les mesures adoptées par le gouvernement américain. Souhaitons-nous affaiblir de la sorte notre réseau d’éducation?

François Legault dit vouloir s’attaquer aux « vraies affaires »! Dans les faits, il refuse de regarder les véritables problèmes. L’exercice l’obligerait plutôt à investir dans des mesures sociales plus généreuses, à accorder plus d’aide aux élèves en difficulté, à mieux soutenir les familles de milieux défavorisés et celles de la classe moyenne qui s’appauvrit de plus en plus.

Au moment où le réseau public d’éducation est aux prises avec le décrochage scolaire, le sous-financement chronique, l’accès limité à des services pour les élèves en difficulté, une réforme bancale et la concurrence du privé soutenu et financé par l’état, François Legault maintient son approche de comptable, comme si l’école se gérait comme une fabrique de petits pois.

Son appréciation de la situation, tout comme les solutions qu’il avance, témoignent d’un manque de jugement et de connaissance de la situation, voire d’un mépris profond des enseignantes et enseignants du réseau public.

À l’instar des autres formations politiques, François Legault dit résister aux lobbies. Rien de plus faux! Son parti s’est soumis à celui du patronat qui veut moins d’État et moins de syndicats. Il s’est associé à celui des directions d’école membres de la Fédération québécoise des directions d’établissement (FQDE) qui cherchent toujours plus de pouvoir.

Lorsqu’ils exigent l’abolition des commissions scolaires et la décentralisation vers les écoles, il ne faut surtout pas croire que cela se réalisera sans coût pour la société québécoise. On entend déjà les hauts cris des directions d’établissement réclamant plus de ressources et de budget pour assumer leurs nouvelles et lourdes responsabilités.

L’abolition des commissions scolaires générera-t-elle les économies promises? Non seulement est-il permis d’en douter, mais il y a tout lieu de craindre que les services aux élèves ne soient, en aucun temps, améliorés.

Rappelons-nous un instant qu’à l’époque où François Legault était ministre de l’Éducation, la pratique du non-redoublement en vigueur générait des économies annuelles de 500 M$. De ces sommes astronomiques, jamais un sou n’a été réinvesti pour améliorer les services aux élèves. Bien sûr, François Legault prêche la redistribution de la richesse. Mais aucun doute n’est possible quant à la finalité de cette nouvelle répartition.

La vision « caquiste » de l’éducation et du développement social n’a rien pour rassurer. À raison, plusieurs se sont offusqués de la déclaration de François Legault sur les cégeps, « lieux de dépravation » par excellence. Certains n’y ont vu qu’un simple faux pas. Je n’en crois rien.

Si l’affirmation était politiquement maladroite, elle trahit une partie importante de la pensée de François Legault et de la CAQ au regard du système d’éducation québécois. François Legault n’entretient qu’arrogance et mépris à l’endroit de l’éducation publique et de celles et ceux qui y œuvrent.

Encore une fois, à l’époque où il était ministre de l’Éducation, le chef de la CAQ dénigrait ouvertement la place des connaissances dans les programmes. Aujourd’hui, il voudrait nous faire croire qu’il souhaite leur faire plus de place. Vraiment?

En fait, les connaissances dont nous parle François Legault n’ont rien à voir avec celles qui permettent de développer des citoyennes et citoyens cultivés, ouverts sur les autres et sur le monde. Les connaissances dont il parle se résument à ce qui est rentable et utile à l’économie.

Ses propos sur les ondes de Radio-Canada ne laissent aucun doute : « … il faut aider à mener des futurs consommateurs. Ça veut dire, à l’école, sensibiliser nos enfants très jeunes à aller voir des musées, des pièces de théâtre, des concerts classiques, donc […] augmenter la demande ».

Pour François Legault, la culture et les savoirs sont d’abord des objets de consommation, des marchandises. Dans cet esprit, on comprendra que les artistes qui produisent de la culture marginale et peu rentable ne trouveront pas d’alliés à la CAQ. Pas plus d’ailleurs que celles et ceux qui exigent un recentrage de l’école sur un socle commun de connaissances et qui souhaitent le développement général de la personne.

On n’a de cesse de nous parler des atrocités de la crise économique mondiale. Il y a pire, nous vivons une crise d’humanité. Le Québec n’y échappe pas. Derrière l’esbroufe et le populisme, une chose est claire : avant d’être un véritable projet de société, le projet de François Legault est essentiellement un projet économique. Est-ce vraiment ce dont le Québec a besoin? Est-ce vraiment ce que le Québec veut?