Le PDG de la CAQ et son nouvel employé

2012/01/12 | Par Robin Philpot

Quand Jean Chrétien faisait campagne pour diriger le Parti Libéral du Canada contre un dénommé Paul Martin, il a dit qu’un premier ministre du Canada est bien d’autre chose qu’un « Chief Executive Officer » (Il l’a dit en anglais.)

François Legault ne semble pas l’avoir compris. En fait, le vocabulaire que lui et François Rebello utilisent en dit long sur ce qu’ils pensent vraiment du Québec. Ce n’est pas le vocabulaire de l’État, ni celui de la politique, mais celui des affaires. On dirait que pour eux gouverner le Québec, c’est l’équivalent de diriger un gros conseil d’administration.

Monsieur Legault parle comme s’il était le PDG d’une nouvelle entreprise qu’il vient de lancer, la CAQ. D’ailleurs, le 14 novembre, il n’a pas hésité à comparer sa CAQ à Air Transat, entreprise qu’il avait lancée un autre 14 novembre, 25 ans auparavant. Comme PDG, il s’occupe également des fusions et des acquisitions – ces paroles sont de lui. Dans la langue des affaires, ce sont les M & A (Mergers and Acquisitions). Donc, fusion avec l’ADQ.

Dans la même veine, le 10 janvier, il a dit que « François Rebello était une acquisition significative pour la Coalition. » Oui, il a parlé d’une acquisition. Pas d’un recrutement, pas d’une adhésion à de nouvelles idées et d’un nouveau programme politique, mais d’une acquisition. Comme lorsque Power Corporation, par exemple, a acquis la London Life au début des années 2000. En fait, sauf pour le nom, la London Life a cessé d’exister dès qu’elle a été « acquise » par Power. Est-ce que dans l’esprit de François Legault, à la suite cette « acquisition », François Rebello cesse d’exister, sauf pour le nom, bien sûr?

Et que dit « l’acquisitionné », si on permet le néologisme?

En fait, M. Rebello a renchéri en utilisant un vocabulaire du même genre. À Anne-Marie Dussault de Radio-Canada, qui questionnait sa loyauté et ses convictions, « l’acquisitionné » a répondu que quand on quitte un employeur pour un autre, on attend toujours la dernière minute pour l’annoncer. Donc, l’acquisitionné voit son changement de cap comme un changement d’employeur. Son allégeance envers son ancienne PDG se termine au moment où il se joint à l’autre entreprise. Espérons que le salaire offert par le nouvel employeur garantira une plus grande fidélité que celle envers son ancien employeur!

Le problème, c’est que la pauvreté du vocabulaire, autant celui du chef des « fusions et acquisitions » à la CAQ que celui de « l’acquisitionné » ou du nouvel employé de la CAQ, traduit le ratatinement du Québec et de son État qu’ils préparent. Mais elle traduit aussi leur incompréhension de la situation réelle du Québec.

Peut-être si on utilise leur propre vocabulaire d’affaires, ils percevront le cul de sac dans lequel ils proposent de nous mener.

François Legault aspire de devenir le PDG (Québec) d’une succursale – une parmi dix – d’une entreprise mulitinationale qui s’appelle le Canada et dont le siège social est partagé entre Toronto et Ottawa. Il s’occupera de la bonne gestion de sa succursale ainsi que du marketing et du service à la clientèle dans son territoire. Il veillera, pour le siège social, sur la réputation de l’entreprise, mettra ses connaissances au service du maintien du statu quo pour s’assurer que l’entreprise continue à prospérer, même quand cette entreprise favorise d’autres territoires et d’autres succursales, et il mettra en œuvre les politiques, priorités et orientations que le siège social définit pour l’ensemble de l’entreprise. Les produits et les prix seront déterminés par siège social, sans consultation avec le PDG (Québec). La prospection des marchés extérieurs est du ressort du siège social et les profits que l’entreprise en tirera seront répartis par le siège social comme bon lui semble.

Inutile d’aller plus loin. On perçoit déjà le triste avenir qui se dessine.

Jamais n’aurais-je pensé regretter un jour une déclaration de Jean Chrétien. Mais sur le rôle d’un premier ministre, même du Québec, il a frappé dans le mille. Devenir premier ministre n’est pas la même chose que devenir un « Chief Executive Officer ».

Photo : J. Nadeau - ledevoir.com

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