La confrérie musulmane Gülen au Québec

2012/02/13 | Par Pierre Dubuc

Remarquable article que celui-ci de Laura-Julie Perreault sur le Mouvement Gülen paru dans le cahier Enjeux de La Presse du samedi 11 février (Le Mouvement Gülen fraye avec l’élite québécoise).

La journaliste décrit très bien ce mouvement musulman de 2 millions de fidèles et de 10 millions de sympathisants, actif dans 110 pays, dirigé par Fetullah Gülen, ce leader musulman turc réfugié en Pennsylvanie.

Ce mouvement est très important parce qu’il joue un rôle important en Turquie et que ce pays joue un rôle important actuellement au Moyen-Orient.

La question qui brûle les lèvres est : Que faisaient la ministre de l’Immigration Kathleen Weil, le patron des nouvelles de Radio-Canada Alain Saulnier, des conseillers municipaux, des députés fédéraux, des professeurs d’université et un enquêteur de la Gendarmerie Royale du Canada (!) au « souper annuel du dialogue et de l’amitié » organisé par l’Institut du dialogue interculturel de Montréal, une organisation derrière laquelle se cache la puissante confrérie musulmane Gülen?


La face cachée du Mouvement Gülen

Le titre du deuxième article de Laura-Julie Perreault, « La face cachée du Mouvement Gülen. Prêchant l’islam modéré, il impose des règles strictes à ses adhérents », reflète bien l’analyse de tous ceux qui se sont penchés sur ce mouvement.

À travers le monde, il construit des écoles plutôt que des mosquées, il prêche le dialogue avec les autres religions, dont le judaïsme, et Fetullah Gülen a même rencontré le pape Jean-Paul II.

Cependant, les laïques en Turquie le soupçonnent de bien cacher son jeu et d’avoir infiltré les principaux lieux de pouvoir pour faire la promotion de l’islamisation en douce de leur société. C’est d’ailleurs pour cette raison que Fetullah Gülen a dû fuir la Turquie en 1999 pour se réfugier aux États-Unis.

Chose certaine, tous les commentateurs sont d’avis que le mouvement a joué un rôle crucial dans l’élection du Parti Justice et Développement (AK) du premier ministre Recep Tayip Erdogan, un parti décrit comme islamique modéré et qui est proposé aujourd’hui comme modèle à l’Égypte, la Tunisie, la Libye et à la Syrie.

Selon le magazine britannique The Economist (6 août 2011), une rencontre entre Fetullah Gülen et Erdogan au cours des années 1990 aurait eu une énorme influence sur ce dernier. Gülen l’aurait alors convaincu d’abandonner son idée d’un État islamique.

Aujourd’hui, Fetullah Gülen se montre plus critique à l’égard de Erdogan. Il lui a reproché son initiative de « flottille vers Gaza » qui a envenimé les relations avec Israël. Gülen a tenu la Turquie partiellement responsable de la mort de neuf Turcs par un commando israélien. Selon Gülen, la flottille n’aurait pas dû défier Israël.

Gülen reproche également à Erdogan d’être très trop mou à l’égard de l’armée, bien que des centaines d’officiers et une trentaine de généraux soient aujourd’hui derrière les barreaux, sous l’accusation d’avoir préparé un coup d’état. Rappelons que depuis Mustafa Kemal Ataturk (1881-1938), l’armée avait toujours été, jusqu’à la prise du pouvoir par Erdogan, garante de la laïcité de l’État turc.

Après sa première victoire électorale en 2002, des procureurs avaient accusé Erdogan de vouloir subvertir l’ordre laïque et avaient demandé à la Cour constitutionnelle de bannir son parti. Erdogan l’avait échappé belle par un seul vote. Cela aurait conduit un certain nombre d’officiers à vouloir le renverser par un coup d’état.

Au mois de mars 2011, deux journalistes, Ahmet Sik et Nedim Sener, ont été arrêtés et accusés de faire partie du complot. Une accusation qui ne tient pas la route selon plusieurs commentateurs turcs, qui ont plutôt signalé, comme motif de leur emprisonnement, le fait que Ahmet Sik s’apprêtait à publier un livre, intitulé L’armée de l’iman, sur l’influence grandissante du mouvement Gülen en Turquie.

La police a confisqué tous les exemplaires du livre, ce qui accrédite l’idée que le mouvement Gülen a infiltré de nombreux lieux de pouvoirs en Turquie, dont les forces policières, comme le rapporte le journaliste Stephen Kinzer dans un article paru dans The New York Review of Books, le 18 août 2011.
 

Une alliance avec l’anglosphère

Déjà, en 2008, le magazine The Economist (6 mai 2008) considérait Fetullah Gülen comme un des plus importants leaders islamistes à l’échelle mondiale et comparait son mouvement à celui des Frères musulmans en termes d’influence. Le mouvement venait alors d’organiser une conférence à Londres en collaboration avec quatre universités britanniques et la Chambre des Lords!

La tenue d’une activité de cette ampleur avec de tels associés est le signe d’une alliance politique entre le Mouvement Gülen et la Grande-Bretagne et de la volonté des Britanniques d’utiliser le réseau des écoles Gülen à travers le monde pour y étendre leur influence. L’article l’illustrait en signalant la présence des écoles Gülen en Asie centrale par ces mots : « Si vous rencontrez un jeune homme poli d’Asie centrale qui parle bien anglais et turc, vous savez qu’il a fréquenté une école Gülen ».

Que Fetullah Gülen puisse développer son mouvement à partir des États-Unis est également un signe de son alliance avec la diplomatie américaine. Selon un article du Monde Diplomatique d’Alain Vicky (mai 2011), un ancien dirigeant du renseignement turc, M. Osman Nuri Gündes, a déclaré que le Mouvement Gülen aurait servi de couverture à la CIA en Asie centrale durant les années 1990.

Aujourd’hui, le modèle turc sert merveilleusement bien à l’administration Obama qui prône une alliance avec les islamistes « modérés » comme alternative aux gouvernements déchus au Moyen-Orient. Ce programme était contenu dans le discours, intitulé « Un nouveau départ », prononcé par le président Obama à l’université du Caïre le 4 juin 2009.

Néanmoins, des divergences peuvent surgir à l’occasion entre la Turquie et les États-Unis. La Turquie n’a pas appuyé l’invasion de l’Irak, donne son appui à la Palestine et a proposé, avec le Brésil, un règlement à propos de la question nucléaire iranienne. Cependant, cela a l’avantage d’accroître la popularité de la Turquie au Moyen-Orient au moment où on essaie d’imposer son modèle de société islamique. Et il ne faut surtout pas oublier que la Turquie conserve ses liens avec Israël et sa participation à l’OTAN.

Et si Erdogan déplaît trop à Washington, une solution de rechange est prête! Selon The Economist du 14 décembre 2011, Fetullah Gülen a déjà jeté son dévolu sur le président Abdullah Gül pour succéder au premier ministre Erdogan!


Et le Québec?

Reste à déchiffrer les objectifs de l’implantation du mouvement Gülen au Québec et l’intérêt des politiciens fédéralistes, représentants de Radio-Canada et universitaires à s’associer avec le Mouvement Gülen et le gouvernement turc, reconnu, entre autres, pour son oppression de la nation kurde!

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