Hommage à Yvon Deschamps

2012/02/14 | Par Pierre Jasmin

Pardonnez mon émotion à voir les Artistes pour la Paix encore vivants en 2012. Et nous le devons principalement à deux personnes qui étaient présentes en septembre à notre assemblée annuelle.

L’une d’elles est Daniel-Jean Primeau, qui après plusieurs années à la vice-présidence a eu le courage de s’engager à pied levé à la présidence que je laissais vacante.

L’autre, c’est Yvon Deschamps, venu humblement y assister comme un militant de l’ombre, mais dont la présence avec sa femme Judi - qui comme d’habitude l’avait traîné là - nous a inspirés très fort.

Yvon a toujours été là, par instinct, lorsque ça comptait pour l’idéal de paix : en 1983, avec Judi, ils marquaient tous deux la naissance de notre mouvement lors d’un Festival de la paix tenu dans les rues de Montréal. Notre organisme québécois n’avait encore ni conseil d’administration ni charte ni assemblée annuelle ni existence légale - bref il ne se prenait pas encore au sérieux - mais il avait déjà une âme, personnifiée par les Vigneault, Duguay, Gillis, Bilodeau, Marsolais, Roux et bien d’autres, comme la basse Joseph Rouleau qui m’a recruté, alors que Performing Artists for Nuclear Disarmament venaient d’être créés au niveau mondial, sous la direction bicéphale de Liv Ullman et Harry Belafonte. Vous voyez, Françoise, que Québec Solidaire n’a rien inventé!

Je ne ferai pas d’hommage à Yvon Deschamps, car cinq ans dans le dossier nucléaire ne donnent pas précisément une expérience d’humour, même d’humour noir, et de son côté, il est plutôt tanné des hommages.

Y’a fait’ sa job, c’est tout’, un peu comme la mère au foyer de son personnage qui avait pas d’ travail, avait trop d’ouvrage!

Sa carrière s’est toujours fait un point d’honneur d’illustrer par ses monologues le bonheur des enfants, la vie des femmes, des minorités visibles et des non-syndiqués, grâce à un humour mordant qui n’a jamais sciemment blessé personne, même si des esprits politically correct ont tenté de lui chercher en vain des poux : je pense à Nigger black, monologue que mon amie Michaëlle Jean a défendu lors d’une entrevue à RDI il y a douze ans, appuyée par une clameur de solidarité universelle qui disait pas touche à notre Yvon Deschamps, nous ne permettrons jamais à quiconque de douter de son bon cœur.

Et on n’avait pas besoin de mentionner ses engagements au Chaînon ou au CHUM!

Depuis un an, le grand comédien Benoît Brière lui rend hommage avec son spectacle le boss est mort, vu par des milliers de personnes, monologue tour de force constitué de textes qui ont près d’un demi-siècle, mis en scène par Dominic Champagne qui « considère comme un privilège de s’attaquer aux classiques de notre culture, vu qu’au Québec, nos classiques sont nos contemporains », fin de la citation, que ce soient les Michel Tremblay, Réjean Ducharme, notre présidente d’honneur Antonine Maillet, Denise Boucher ou Yvon Deschamps.

Les Artistes pour la Paix veulent aujourd’hui simplement souligner l’apport humaniste extraordinaire de celui dont la conscience de justice sociale a contribué à aiguiser celle de tous nos concitoyens. Québécois, nous sommes désormais incapables de nous satisfaire d’une job steady et d’un bon boss au détriment d’une vie de famille équilibrée ou au prix d’une détérioration de l’environnement, qu’il soit celui de notre culture menacée par le franglais, de notre économie dominée par les Américains et Albertains ou de notre nature exceptionnelle, menacée de viol par une pollution d’uranium ou de gaz de schiste.

Grâce à Yvon, les Québécois ne se contentent plus d’un petit pain, nous voilà prêts à conquérir le monde par l’art, pas par les politiques militaristes d’apologie de la torture, du dénigrement des droits humains des réfugiés, d’exportation d’armes et de munitions, d’amiante et d’uranium qui sont les fleurons glorieux de nos deux gouvernements conservateurs.

Non, par l’art et par l’humour qui est la plus belle arme démocratique qui soit, puisqu’elle ridiculise les puissants et élève les humbles au rang de fiers égaux devant l’exploiteur. Les seuls éditoriaux justes, jamais obséquieux, ne sont-ils pas signés Serge Chapleau, Garnotte et Banville ?

L’humour déstabilise ceux qui intimident au lieu d’éduquer, ceux qui amassent au lieu de partager, qui s’auto-congratulent d’excellence au lieu d’échanger.

Fier d’être syndiqué CSN, je rends grâce à l’humour mordant de Michel Chartrand qui déboulonnait les patrons. Mais sans l’humour de Clémence Desrochers, de Raymond Lévesque que nous avons honoré l’an passé et celui d’Yvon que nous honorons aujourd’hui, qui aurait défendu chez nous les ouvriers non syndiqués ?

Qui d’autre le fait en Amérique du Nord ou même en Europe, où on laisse des technocrates imposer à la Grèce d’abaisser son salaire minimal de 22%, alors que sa faillite provient de ses dépenses militaires et de la corruption des riches en évasion fiscale ?

Revenons à Yvon et concluons : si son personnage de père monoparental a repris le combat courageusement mené en 1921 par Charlie Chaplin avec the Kid, le héros d’Yvon n’est pas une créature théâtrale, il est pathétiquement vrai, il est nous autres, tout en riant de nous autres, de nos tragiques indécisions : Yvon nous a appris à nous aimer avec nos défauts et nos contradictions, et c’est pourquoi on l’aime, égoïstement, et qu’on tenait à le lui dire aujourd’hui… Merci, Yvon, d’être vrai…

Photo : Annik MH De Carufel - Le Devoir

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