Le décrochage scolaire, un aut’ point de vue

2012/02/15 | Par Pierre Dubuc

C’est dans un des derniers chapitres de son livre « Lettre aux enseignantEs » que se trouve la clef de toute la démonstration sociologique, historique et thématique qu’élabore Robert Cadotte pour prouver que « L’école publique va mal! » et avancer « Les solution dont on ne veut pas parler » (les deux sous-titres du livre).

Dans le chapitre « Ce que personne ne dit à propos du décrochage », Cadotte écrit : « Dans notre système économique, l’argent va avec les boulots intéressants. D’un autre côté, les salaires minables vont avec les boulots ingrats, répétitifs et avec de mauvaises conditions de travail : éboueurs, gardiens de nuit, ‘‘ associés’’ chez Wal Mart, travailleurs d’hôpitaux. Sans décrocheurs, on ne réussirait pas à trouver des gens qui acceptent de travailler à ces salaires de misère ».

Après avoir découvert, lorsqu’il a créé en 2004 le Centre de formation sur l’enseignement en milieux défavorisés à l’UQAM, que la plupart des étudiantes provenaient de Sainte-Julie – une banlieue « heureuse » de Montréal, selon un sondage Léger Marketing –, il a réalisé qu’il « ne suffit pas d’être heureux pour comprendre le malheur des autres ». Il les a donc sensibilisées au « quotidien des futurs décrocheurs » en leur faisant visiter « son village », le quartier Hochelaga-Maisonneuve.

Chemin faisant, à travers les 15 chapitres qui constituent la première partie du livre, il les (nous) amène à comprendre la réalité socio-économique et culturelle des enfants qui y habitent et de leurs familles. Tout y passe : pollution, pauvreté, habitations déficientes, mères adolescentes, pères absents, violence, prostitution, abus sexuels, malnutrition, un cocktail qui entraîne presqu’inexorablement de mauvaises notes et l’absentéisme scolaire.

Au terme de la visite du « village », les enseignantes sont amenées à remettre en question l’approche psychologisante et médicale qui les invitent à voir leurs élèves comme de TC (troubles de comportement), des DIL (déficience intellectuelle légère) ou des TGA (troubles graves d’apprentissage).

« Le défi des enseignantes, écrit Cadotte, consiste à résister à la tentation de voir les nombreux problèmes de la classe comme autant de cas d’inadaptation. Elles doivent plutôt parvenir à voir la classe comme un groupe pris dans un environnement extrêmement difficile et qui doit s’organiser pour s’en sortir. »

S’organiser, c’est facile à dire, mais pas facile à faire, d’autant plus que le milieu où cette prise en charge collective devrait se faire, c’est-à-dire l’école, n’est pas « neutre ». C’est ce que l’ancien commissaire du MEMO à la Commission scolaire de Montréal se plaît à démontrer dans la deuxième partie de son livre à travers dix périodes et thèmes qui ont marqué l’école québécoise depuis 1945.

D’un enseignement axé sur l’économie domestique pour les filles et à l’apprentissage de la bienséance, de l’omniprésence des images pieuses à l’évaluation « scientifique » des élèves, en passant par le tollé soulevé par le Manuel du Premier Mai de la CEQ, Cadotte nous trace un portrait de l’école comme étant « un formidable outil pour nous convaincre que le statu quo est apolitique, neutre est sans idéologie » et qu’elle justifie par le fait même les inégalités sociales.

Dans la troisième partie du bouquin, intitulée « Liberté, égalité, fraternité », Robert Cadotte montre à travers des expériences concrètes menées par des enseignants – que ce soit en environnement, dans les domaines linguistiques ou scientifiques, et dans bien d’autres – que les choses peuvent changer.

Son « Que faire? » se résume en trois points. Premièrement, enseigner des connaissances utiles au peuple. Deuxièmement, adopter une pédagogie de transformation sociale qui passe et – c’est le troisième point – par « une pédagogie du projet ». Celle-ci, nous dit Cadotte, n’a rien à voir avec la pédagogie par thème du nouveau programme.

Cette « pédagogie du projet » vise « à équiper les enfants pour qu’ils deviennent des acteurs capables de modifier cette situation d’injustice, de mépris de l’environnement et de violence dans nos sociétés. »

Ce n’est que de cette façon, croit fermement Robert Cadotte, qu’on peut réellement intéresser les jeunes, des milieux favorisés autant que défavorisés, à l’école et vaincre le décrochage.

Saluons la publication de ce livre qui, avec beaucoup d’humour et d’ironie, réintroduit la question sociale dans le débat sur le décrochage scolaire et, plus largement, sur les finalités de l’éducation.

Robert Cadotte, Lettre aux enseignantEs. L’école publique va mal! Les solutions dont on ne veut pas parler. Éditeur M.












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