Anglais intensif au primaire

2012/02/17 | Par Collectif d’auteurs

 «L’avenir du Québec repose en grande partie sur la capacité de nos enseignants de former les citoyens de demain, la main-d’œuvre dont le Québec aura besoin pour continuer d’évoluer et de prospérer.»

- Line Beauchamp, ministre de l’Éducation, 6 février 2012


Tout d’abord, précisons d’entrée de jeu :

Croyons-nous qu’il soit souhaitable pour quiconque d’apprendre une seconde langue ? Oui.

Croyons-nous que cela puisse ouvrir des portes ? Fort probablement.

Faut-il favoriser un apprentissage intensif, voire même immersif ? Assurément.

Souhaitons-nous que nos enfants atteignent un jour la maîtrise d’une langue seconde ? De toute évidence. Nous leur souhaitons même d’en maîtriser une troisième !

Mais faut-il, pour autant, faire de l’apprentissage de l’anglais la priorité de notre système d’éducation, en y ajoutant 400 heures intensives en 6ème année du primaire, au détriment des autres matières ? À cela, nous répondons fermement : non.

Non, parce qu’au-delà des questionnements légitimes quant à la manière de procéder à un tel chambardement c’est à son principe même que nous nous opposons.

Parce qu’imposer une mesure d’une telle ampleur pour tous les enfants du Québec, c’est d’abord et avant tout envoyer un message non équivoque : sans anglais, au Québec, point de salut ! Et si, par malheur, nos enfants ne devaient retenir qu’une chose de cette demi-année «in English» ce serait ce message.

Mais, au fait, pourquoi tant d’empressement à «bilinguiser» nos enfants ? Comme société, sommes-nous réellement sur la bonne voie en misant ainsi toutes nos cartes sur l’anglais ? Quel objectif véritable poursuivons-nous ? Celui de l’épanouissement personnel de chacun de nos enfants, vraiment ? De leur ouverture sur le monde ? Ou n’est-ce pas plutôt ce souci de prospérité économique dont parle la ministre qui nous guide ici ?

En répétant à satiété qu’il est impératif de parler anglais pour percer le marché du travail, nous cautionnons par le fait même son anglicisation. Nous contredisons les efforts qui ont été faits pour le franciser et nous abdiquons devant cette escalade qui pousse bon nombre d’employeurs à exiger l’anglais pour des postes qui souvent, dans les faits, ne le requièrent pas. En région par exemple, combien d’emplois nécessitent véritablement la maîtrise de l’anglais ? Et qu’en est-il dans ces petites municipalités qui peinent à retenir leurs jeunes citoyens ? Est-ce là que ces futurs enfants bilingues pourront réinvestir leurs nouvelles compétences linguistiques ?

Mais plus encore, dire que nous formons les enfants pour qu’ils deviennent la main-d’œuvre de demain (et pour cela prioriser l’anglais de façon démesurée), c’est subordonner l’éducation aux principes économiques et sociaux d’un néo-libéralisme questionnable. C’est instrumentaliser l’éducation pour que celle-ci forme non pas des humains libres de penser le monde, mais des citoyens se satisfaisant du cadre qu’on leur a prévu comme monde. C’est ainsi détourner l’éducation du sens profond qu’elle devrait avoir, faire de chaque enfant un être curieux et autonome ayant accès à la connaissance.

Faut-il rappeler que maîtriser sa langue maternelle, savoir compter, être en santé physique et mentale, être en mesure de comprendre les contextes historiques, culturels et politiques de notre société, sont des apprentissages fondamentaux qui, eux, sont d’ordre primaire. Quand un enfant n’acquiert pas la maîtrise de l’un de ces éléments, c’est non seulement son avenir qui est menacé mais c’est toute la société qui risque tôt ou tard d’en payer le prix.

L’apprentissage d’une langue seconde, malgré ce qu’on peut en tirer de positif, demeure, le mot le dit, d’ordre secondaire. Il s’agit là d’une corde de plus à l’arc de nos enfants mais cette corde ne justifie pas qu’on mette en péril le reste de leurs apprentissages, voire même leur identité. Car au même titre qu’elle n’a pas le mandat de former des sportifs de haut niveau ou des Picasso en herbe, l’école québécoise n’a pas la mission de bilinguiser tous les enfants. À plus forte raison lorsque cette mesure menace, pour plusieurs d’entre-eux, l’atteinte d’objectifs pédagogiques de base.

Et lorsque certains prétendent que le fait d’amputer d’une demi-année le temps d’apprentissage des matières de base ne menace pas les enfants en difficulté, que ceux-ci pourraient même en retirer un sentiment de réussite, nous rétorquons : pourquoi alors ne pas permettre à ces mêmes enfants d’accéder, eux aussi, aux différents programmes à concentration sportive ou artistique  qui leur sont actuellement refusés ? Ne seraient-ils pas susceptibles de vivre là également de belles réussites ?

Pour toutes ces raisons nous appelons non seulement les parents mais toute la société à se mobiliser contre cette mesure. Mesure qui s’ajoute, faut-il le rappeler, à l’introduction récente de l'anglais en première année. Nous croyons que le Ministère de l’éducation doit revoir ses priorités à la lumière de la mission première de l’école et réévaluer l’importance démesurée qu’il accorde, depuis quelques années, à l’apprentissage de l’anglais langue seconde.

Nos enfants ne sont pas que «main-d’œuvre » en devenir. Ils sont les hommes, les femmes, les visionnaires de demain. C’est à eux que revient l’immense défi, oui de faire rayonner notre société, mais également d’en préserver la spécificité, l’identité. Et pour cela ces enfants ont, avant toute autre chose, besoin de savoir qui ils sont et d’où ils viennent. Car avant d’aller vers le vaste monde, c’est d’abord leur milieu qu’ils doivent connaître, leur culture. Après, seulement après, il sera bénéfique, pour eux comme pour nous, qu’ils deviennent bilingues ou même polyglottes et qu’ils partent conquérir le monde.

Mobilisons-nous. Il en va de l’avenir de nos enfants, de la survie de leur langue et par ricochet, de l’identité de toute notre société. Et l’identité d’une société, comme celle d’un enfant, ça ne peut pas ne pas être primaire, donc, fondamental.


Virginie Hébert, Le Bic, parent
Valérie Jean, Le Bic, parent
Eve Lavoie, Le Bic, parent
Julie Quimper, Le Bic, parent
Alain Martineau, Le Bic, parent
Martine Fournier, Le Bic, parent
Vincent Couture, Rimouski, parent
Elen Garon, Rimouski, citoyenne
Claude St-Pierre, Le Bic, parent
Alain Dion, Rimouski, parent
Julie Roberge, Le Bic, parent
Lucien Cimon, Le Bic, grand-parent
Véronique Fontaine, Rimouski, citoyenne
Sandra Vuaillat, Le Bic, parent
Benoit Rochette, Le Bic, parent
Rosalie Cyr, Le Bic, parent
Jean-Claude Neault, Le Bic, parent
Isabelle Bouillon, Le Bic, parent,
Éthel Gueret, Le Bic, parent
Émilie Castonguay, Rimouski, citoyenne
Isabelle Morin, Le Bic, parent
Shanti Sarrazin, Le Bic, parent
Manon Provencher, Le Bic, parent
France Pineau, Métis-sur-Mer
Pierre Ducharme, Métis-sur-Mer
François Riffaud, Montréal, parent
Daniel St-Pierre, Le Bic, citoyen
Nicole Hébert, Québec, citoyenne
Michèle Audette, Rimouski, citoyenne


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