Combine de mise

2012/02/20 | Par Marie-Paule Grimaldi

En prenant l’Histoire comme terreau, et pas n’importe laquelle, la nôtre, Alexis Martin signe une habile rencontre entre l’érudition, la réflexion sentie et la folie du théâtre. L’invention du chauffage du central en Nouvelle-France est une sorte de docu-fiction absurde et éclaté, mais aussi assez brillant quoique trop chargé et parfois répétitif, soutenu par une mise en scène encore une fois insaisissable et ludique de Daniel Brière, une production typique pour le Nouveau Théâtre Expérimental.

En fait, cette pièce traite peu de chauffage mais plutôt du froid, un élément territorial indissociable du Québec et dont l’impact sur la petite comme la grande Histoire n’est pas le moindre. C’est ce que tente de relever le texte d’Alexis Martin qui, sur la période de 1608 (fondation de Québec) à 1998 (crise du verglas), nous transporte dans différentes scènes où l’hiver et la neige entrent en jeu, influencent le cours des choses.

Les mises en situation, toujours un peu délirantes, touchent aux personnages historiques comme Champlain, avec défilé pour adapter la mode de Paris à la température, ou Papineau, mais à travers les reconstitutions libres de la Société d’Histoire d’Action Chômage de Saint-Roch.

Les personnages plus anonymes sont présents aussi, que ce soit Takraliq, ses histoires et sa bouteille, ou le chef d’entreprise qui fait faire au Mexique les manteaux qu’il vend ici.

D’autres scènes s’approchent du mythe et de la poésie avec la légende de Pipmuacan, le Pays des mots gelés, au nord de Tadoussac, où on peut trouver une identité en feu de glace, ou encore nous plonge dans l’émotion comme celle intitulée 1982, La Pourdrerie, alors qu’une enfant se perd dans la tempête.

Le seul repère historique pour celle-ci est dans le programme du spectacle : 1982, le rapatriement unilatéral de la Constituion Canadienne par Trudeau sans l’accord du Québec. Et il en va ainsi pendant près de trois heures (avec entracte), sans linéarité, avec plusieurs allers-retours chargés de rappels et de constats, sur nos rapports avec les autochtones, les Français, et surtout nous-mêmes.

Et tout ça se joue en combine et costumes d’époque par les neuf comédiens, qui endossent de nombreux rôles aussi bien que l’alternance entre la profondeur et la légèreté des propos. Leur jeu est souple et sincère à travers les changements rapides qui leur sont demandés.

Sans rien enlever à l’excellence de leur travail, ce ton accessible et sensible qui n’évite pas la caricature et sait être drôle est grandement attribuable à la direction de Daniel Brière.

Celui-ci prend le théâtre par le plaisir et le jeu, et s’amuse avec les codes sans n’en choisir aucun. Parfois les changements de costumes se font sur scène, parfois non, parfois il frôle la bouffonnerie et la multiplication d’actions, à d’autres moments la complexité et l’épuration.

Des chansons entrecoupent chaque saynète. La scène et le décor ingénieux offrent aussi de nombreuses possibilités : placée au milieu de la salle avec des spectateurs des deux côtés, la scène est un aquarium-maison aux panneaux de plexiglas amovibles et le plancher de bois recèle de trappes diverses. Neige et chien il y aura aussi.

Des surtitres en projection nous donnent quelques repères temporels. L’ensemble de la mise en scène est récréative et presque artisanale, fait dans la mise en abîme et l’autodérision, des marques de commerce pour Brière et le NTE.

Reste que le divertissement est peu au rendez-vous malgré tout l’intérêt de la création, ce qu’on peut attribuer au foisonnement du tout.

D’une part, Alexis Martin aurait pu resserrer le matériel, le condenser, éviter les répétitions pour ne conserver que les moments les plus forts. De l’autre, le style de Brière lui-même aurait pu chercher à prendre plus aux trippes, en ciblant plus ses images.

Malgré tout le précieux partage de connaissances, c’est lorsque leurs idées passent par le senti qu’elles nous atteignent le mieux. Le bonheur de ce voyage théâtral doit beaucoup aux comédiens qui se livrent avec passion à l’exercice, mais quiconque avec un intérêt réel pour le théâtre et/ou l’Histoire ne pourra qu’en ressortir heureux.

Encore une fois, le NTE explore et expérimente avec ferveur et intelligence pour offrir un théâtre rare sur nos scènes.

L’invention du chauffage central en Nouvelle-France, 7 février au 8 mars, supplémentaires les 9 et 10 mars, Espace Libre, 1945 Fullum

Bookmark