Les radio-poubelle : leur mode d’emploi

2012/03/01 | Par Rémy Bourdillon

Il est peu dire que les radios-poubelles ou, pour utiliser le terme édulcoré, les radios d'opinion, sont en vogue au Québec. Si CHOI Radio X est la plus connue et vous servira de cas de démonstration à un profane vous questionnant sur le sujet, le phénomène s'étend désormais dans de nombreuses régions et hors de l'axe traditionnel Saguenay-Québec-Beauce (KYK, FM93, CHEQ); ainsi CHOI a récemment annoncé vouloir implanter une « radio de type parlé » à Montréal.

Une initiative ambitieuse et cernée de nombreux écueils dans une métropole culturelle cosmopolite, mais qui démontre que plus rien n'arrête les « libres penseurs », assis sur une fortune leur permettant de tester de nouveaux marchés en plus de commanditer maints évènements (Nordiques Nation, festivals de musique) et équipes sportives.

Enhardies, les radios-poubelles empiètent également sur le terrain politique et représentent une tribune pour la pensée de droite: nombre de figures médiatiques y ont désormais une chronique, de l'orthodoxe Mario Dumont sur les ondes du FM93, aux nouvelles vedettes libertariennes du Réseau Liberté Québec, Éric Duhaime et Joanne Marcotte, à CHOI.

Pourquoi les radios d'opinion nous dérangent-elles? Leurs animateurs aiment à seriner, un brin moqueurs, qu'elles nous font peur, bien-pensants que nous sommes, car elles apportent un son de cloche différent qui rejoint une grande partie de la population. Difficile de ne pas leur donner en partie raison: leur discours détonne et oui, fait peur, tout en récoltant des cotes d'écoute impressionnantes, paraissant le légitimer.

La méthode des radios-poubelles est très simple: chaque jour, un animateur doué de talent oratoire, épaulé d'un ou deux acolytes, égrène les sujets d'actualité et les commente à sa manière d'un ton péremptoire, en extrayant une réalité définitive, à grands renforts de sophismes et, si besoin, de déformations de la réalité, s'attaquant indifféremment à tout ce qui va contre son opinion et s'appuyant sur des cas particuliers faciles à tourner en ridicule.

Aucun débat d'idée, juste du prêt-à-penser, ce qui ne serait pas si grave si la stigmatisation de groupes d'individus n'y était chose courante.

Les radios-poubelle sont nuisibles car elles exacerbent les rancœurs et la haine. Dénigrement des assistés sociaux (The price is right du BS dans Maurais Live sur CHOI, proposition de castrer et déporter les prestataires d'aide sociale dans le Nord sur KYK), islamophobie, insultes envers les cyclistes (!) et les écologistes sont le lot commun de toutes les émissions, mais ce n'est pas tout: amérindiens, féministes, transport en commun, tout y passe, en vrac et sans distinction, sur le même ton de voix, ramenant toutes choses à un même ennemi obscur prenant divers visages ou formes et, surtout, coûtant de l'argent.

Au-delà de cela, les radios-poubelle cherchent surtout à défendre un certain mode de vie axé sur l'économie capitaliste et les valeurs dites « occidentales », comprenez réactionnaires. Un culte au travail et au mérite y est mis en place, et « faire de l'argent » y est fortement conseillé afin d'entretenir un mode de vie américain axé sur la consommation.

Toutes les pièces s'emboîtent: le réchauffement climatique est nié, la défense de l'environnement raillée, car étant des atteintes à la liberté d'avoir une voiture et de vivre en banlieue. L'automobiliste est présenté comme un père de famille travaillant à qui un soi-disant complot communiste veut du mal, et à chaque entracte publicitaire des annonces des concessionnaires automobiles de la région envahissent les ondes...

Les animateurs de radio-poubelle se font les défenseurs du « vrai monde », celui qui est intéressé par les « vraies affaires » et juge avec son « gros bon sens »... sans pour autant que ces trois notions soient préalablement définies.

Qui donc est le « vrai monde », c'est-à-dire l'auditoire des radios d'opinion? Ce sont généralement des travailleurs, d'origine modeste et ayant peu étudié. Autant dire que le débat d'idées ne leur est pas familier, et les stations voguent sur cette vague en écartant le débat de leurs ondes, tout en vilipendant Radio-Canada, décrite comme une station d'intellectuels déconnectés et, pire des maux, montréalais, donc arrogants et ignorant les problèmes (ou « vraies affaires ») des régions.

Pour séduire cette clientèle suffisamment épuisée par son travail et ses enfants, n'ayant pas nécessairement le temps de s'attarder à un débat d'opinions entre spécialistes ayant recours à des concepts complexes, quoi de mieux que de présenter une pensée unique s'articulant autour d'un discours simple plein de « gros bon sens » – « vous payez trop d'impôts, l'État vous vole, alors que les BS passent leur temps à boire de la bière ». Ajoutez à cela une programmation musicale de qualité relativement bonne, et le tour est joué.

Comment, dès lors, combattre les radios-poubelles et ostraciser la haine de l'espace radiophonique? Il s'agit d'un exercice difficile, tant le charisme des animateurs est capable de rallier à lui la solidarité des auditeurs, solidarité d'autant plus étonnante que les « valeurs » prônées à l'antenne sont habituellement l'individualisme et la négation de la compassion. Deux expériences – manquées – valent qu'on s'y attarde.

La première est le recours devant le CRTC effectué en 2004 par plusieurs victimes de CHOI FM (et en particulier de Jeff Fillion et André Arthur) à Québec, ayant pour conséquence la révocation de la licence de ladite station.

La suite de l'histoire est de triste mémoire dans la Vieille Capitale: une croisade pour la « liberté d'expression » trouvant son paroxysme dans une marche réunissant des dizaines de milliers de personnes entendant défendre la station qui « les représentent », chauffées à blanc par un Jeff Fillion au propos simpliste et empreint de démagogie – « on vous empêche d'écouter la station que vous préférez ».

Grâce à cette mobilisation, CHOI remportera une victoire à la Pyrrhus, continuant à émettre mais devant payer des dédommagements aux victimes, perdant Fillion et Arthur et s'empêtrant dans des règlements de compte devant les tribunaux avec ces derniers.

La seconde manière de combattre la radio d'opinion est celle entreprise plus récemment par les animateurs de l'émission le Sportnographe, qui attaquent de front les discours populistes dans leur émission.

Malheureusement, la méthode utilisée par le Sportnographe est exactement la même que celle des radios-poubelle, mais avec un discours de gauche... Aucun résultat positif, à part nous faire rire un peu, n'est prévisible: au mieux un dialogue de sourds sera engagé, au pire la haine contre le « Montréalais arrogant qui sait tout » en sera attisée...

Dans l'hebdomadaire Voir, Simon Jodoin se porte à la rescousse de ses camarades du Sportnographe en signant un texte apportant d'excellents arguments, mais ayant le malheur de traiter les auditeurs de Radio X de « jambons ». Qu'espère-t-il, à part un réflexe de crispation sur les postes de radio de Québec?

L'initiative lancée dernièrement par la Coalition Sortons les radios-poubelles de Saguenay est intéressante, car ayant recours à une méthode jamais employée jusqu'à présent: il s'agit de faire pression sur les stations en sensibilisant les annonceurs publicitaires afin qu'ils cessent de financer la station KYK.

Cette action est audacieuse dans la mesure où il sera difficile de convaincre les annonceurs de délaisser une station très écoutée où on fait l'apologie de la consommation, et il sera intéressant d'en voir les résultats.

Une autre avenue serait de recourir, encore une fois, au CRTC. Une association citoyenne compilant les plaintes de victimes de la radio-poubelle et engageant des plaintes systématiques à l'organisme de réglementation des ondes avec l'aide d'avocats pourrait finir par obtenir des résultats, si toutefois le CRTC est enfin enclin à respecter la mission pour laquelle il a été créé, et qui est énoncée sur son site Internet: « réglementer [les systèmes de radiodiffusion et de télécommunications] afin de veiller à ce qu'ils contribuent à la culture et à l'économie du Canada et qu'ils répondent aux besoins sociaux des Canadiens ».

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