Lendemains de manif de 200 000 personnes

2012/03/28 | Par Dominic Desroches

L’auteur est professeur de philosophie / Collège Ahuntsic / Montréal

« Il faut être rameur avant de tenir le gouvernail, avoir gardé la proue et observé les vents avant de gouverner soi-même le navire. »
-Aristophane

Les étudiants utilisent le climat politique. Ils ont montré qu’il était possible de faire déferler une « marée humaine » sur le centre-ville de Montréal (Devoir, 23 mars). D’un côté, ils profitent du vent de l’indignation mondiale, alors que de l’autre, ils doivent inscrire leur mouvement dans le temps québécois actuel. Le succès de leur printemps intempestif reposera sur leur capacité à organiser d’autres vagues de manifestations afin de ne pas voir la pression qui s’exerce sur le gouvernement libéral disparaître. Leur victoire est à ce prix.


Du cycle de la marée

Ceux qui étudient la mer savent que la marée haute répond à la nécessité d’un cycle qui la dépasse. De même en politique : il importe, quand on proteste dans le temps, de ne pas se retrouver déphasé ou déporté de l’actualité, c’est-à-dire exclus du temps politique qui nous englobe. Le temps de repos doit servir au retour de la marée et non à sa disparition.

Contrairement aux infirmières qui a avait fait plié les genoux du gouvernement Bouchard à l’été 1999 et qui avait erré en votant une « trêve » qui allait les conduire à la défaite, les étudiants ne doivent pas ralentir, jouer le contretemps, car cela pourrait causer leur perte.

Même si le retour de la vague n’est pas perceptible, la force mobilisatrice doit être active et savoir s’abriter dans le temps politique.


Combattre l’inertie, l’essoufflement et la fatigue politique

Les risques derrière tout mouvement social sont l’inertie, l’essoufflement et la fatigue. Le manque d’air frais crée l’essoufflement. Pour garder le corps social dispo, il faut bouger et en informer les médias – les baromètres de la météo politique - car ceux-ci participent à l’ambiance en relayant l’information.

S’il n’est pas utile de mobiliser les étudiants en permanence, on utilisera certaines facultés pendant le creux de vague de manière à garder le rythme.

Les leaders veilleront à ce que les activités à venir cadrent dans le système météo, que la chaleur ne se dispersera pas trop et que l’entrée d’air sera assurée afin de ne pas engendrer de fatigue politique.

Celle-ci se produit lorsqu’une population, fatiguée de lutter, se croit enfin en sécurité. Afin d’éviter cette fatigue - elle est cyclique – on planifiera l’agenda politique afin d’y demeuré inclus.


Occupation de l’agenda politique

Le pouvoir politique réside dans la capacité à décider, dans certaines limites, du temps qu’il fait et du temps qu’il fera. Il se réalise dans l’atmosphère qui conditionne l’agir des hommes. Ceux qui luttent doivent profiter du temps qu’il fait, sinon produire eux-mêmes l’ambiance nécessaire à la compréhension de leur action. S’ils veulent déjouer le passage à vide (le ressac de la marée) et garder la forme, ils devront occuper le calendrier. Ils réussiront notamment en actualisant leur slogans créatifs et en répétant des performances.


De la parole aux actes – l’actualisation des slogans

Les étudiants profiteront du cycle en organisant des activités qui s’inscrivent dans le temps. Par exemple, ils ont écrit sur leurs pancartes que « Beauchamp est dans le champ ». Si c’est le cas, il serait pertinent d’organiser des battues sur les rives du Richelieu afin de retrouver la ministre qui est dans le champ.

Ce faisant, ils montreront que, contrairement aux libéraux, ils vont voir les sinistrés de 2011 et qu’ils ont à cœur la population riveraine dans la défense de sa cause.

Certains ont écrit que leur temps est celui du « printemps érable ». Il convient ainsi d’inviter les politiciens à la cabane à sucre… ce qui permettra d’aider les acériculteurs aux prises avec le « dégel » rapide.

Au refrain « À qui la rue ? », les étudiants pourraient répondre « À nous la rue » en remplissant, lors de la prochaine marche, les nids de poule avec leurs copies d’examen.

Si les étudiant sont si « pauvres » et n’ont pas d’autos, ils organiseront le « lave-auto contre la hausse » des limousines des ministres Bachand et Beauchamp. On le voit bien : les possibilités sont infinies. L’essentiel, c’est de rester dans le temps politique afin d’assurer les conditions du retour de la grande vague.

Une leçon de météo politique pour l’avenir

La politique, depuis Platon, est l’art de naviguer ensemble. Les étudiants l’ont compris : ils font des « vagues ». Le gouvernement se retrouve alors en pleine tempête.

Les étudiants toutefois ne gagneront leur lutte, leur voyage en mer, que s’ils parviennent à surfer sur la vague sociale qu’ils ont contribué à créer. S’ils ne parviennent pas à reproduire et dominer la vague, ils seront engloutis et le gouvernement aura gagné : il sera encore le seul capitaine à bord.

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