La participation citoyenne contraire à la démocratie ? 

2012/04/04 | Par Collectif des profs contre la hausse

Jeudi le 22 mars 2012, plus de 200 000 étudiants, parents, professeurs, tous citoyens, nous ont donné une leçon d’engagement civique en marchant dans les rues de Montréal pour décrier la hausse des droits de scolarité. Malgré cette manifestation, le gouvernement en place maintient toujours le cap : « Tout ce qu’on demande, c’est que les étudiants fassent leur juste part », disait le ministre Bachand lors d’une entrevue à Tout le Monde en parle.


Nous ne souhaitons pas débattre du principe de la « juste part ». Nous avons entendu, vu et lu dans plusieurs médias les arguments permettant de remettre en question le bien-fondé de la nécessité d’une hausse des droits de scolarité. Ce que nous souhaitons dénoncer, c’est la position de fermeture et de non-écoute du présent gouvernement.

Depuis le début de la médiatisation du mouvement « Bloquons la hausse », le gouvernement tente par tous les moyens de minimiser son ampleur. On dit qu’il n’y a pas unanimité dans le mouvement étudiant, que tous ne sont pas en faveur de la grève, voire que certains souhaitent une augmentation plus significative des droits de scolarité. 

Il est vrai qu’il n’y a pas une position « monolithique » au sein du mouvement étudiant contre la hausse des droits de scolarité. Toutefois, comment peut-on ignorer la parole de plus de 200 000 personnes qui demandent d’être entendues, d’être écoutées ? Nous considérons que la position de fermeture du gouvernement ne peut être comprise que comme de l’arrogance.

L’attitude de fermeture du gouvernement ne fait qu’alimenter le cynisme vis-à-vis la classe politique. Les jeunes comme les plus vieux ne se reconnaissent plus dans notre « système » politique actuel où les décisions sont prises de façon unilatérale, sans qu’ils n’aient été consultés et entendus.

Cette stratégie du Parti libéral se caractérise par l’utilisation du bâillon. Nous pouvons citer en exemple la loi sur l’Agence des partenariats public-privé qui, nous le savons aujourd’hui, n’a pas été un succès! Les interlocuteurs impliqués par cette loi ont été muselés, ce qui brime un principe essentiel de la démocratie, celui de débattre des lois.

Par ailleurs, les différentes lois spéciales obligeant le retour forcé des travailleurs en grève de la fonction publique le démontre tout autant. Le droit de manifester est fondamental pour une société démocratique. Le cynisme répandu dans l’opinion publique québécoise est en partie dû à l’effritement de ces principes fondamentaux de la démocratie. La classe dirigeante dirige, la population se résigne.

Les étudiants ont parlé, ils veulent prendre part, discuter et débattre des enjeux collectifs, en l’occurrence ceux ayant trait au financement des universités. 
Monsieur le premier ministre, vous vous trouvez devant une jeunesse intelligente, mobilisée et intéressée qui vous demande de dialoguer sur un sujet qui aura des conséquences sur l’ensemble de la population,  et ce, pour des décennies à venir. Votre réponse ne peut plus être celle de la fermeture ou de l’unilatéralité.

La population revendique une vaste consultation publique et des états généraux sur le financement des universités. Un gouvernement démocratiquement responsable se doit de répondre favorablement à cette demande des plus légitimes.  

Madame la ministre Beauchamp, nous souhaitons vous rappeler votre devoir de représentante du peuple. Vous avez été élue pour prendre des décisions, soit, mais des décisions qui restent fidèles aux volontés du peuple. Cessez de parler de la majorité silencieuse, vous vous trouvez devant une majorité bruyante qui exige d’autres moyens de financer les universités.

Cette réticence du gouvernement à ne pas vouloir dialoguer avec les manifestants risque pourtant de jouer contre lui. « Il n’est pas question de s’asseoir avec les étudiants pour initier le dialogue », affirmait la ministre Beauchamp. La stratégie du gouvernement se résume à attendre l’essoufflement du mouvement étudiant. Pourtant, celui-ci semble en bonne posture même s’il est divisé. La ministre ne pourra plus ignorer encore longtemps les revendications étudiantes. 

Pour l’instant, le gouvernement n’est pas perdant, les étudiants non plus. Mais l’enjeu devient capital lorsque les délais de reprise des cours se resserrent. Les étudiants n’ont qu’une seule peur : perdre leur session.

Mais pourtant, cet enjeu devrait préoccuper davantage le gouvernement. Madame Beauchamp affirme que les coûts sont estimés à 100 000$ par jour, par cégep, pour une seule journée de reprise de cours en dehors du calendrier scolaire! Les conséquences économiques d’une telle décision sont énormes, c’est sans doute la raison pour laquelle aucune session n’a jamais été annulée au Québec.

Le gouvernement peut-il obliger le retour forcé des étudiants sur les bancs d’école? Dans un État dirigiste, cette décision est possible, mais en démocratie, un tel décret pourrait lui nuire.

On peut facilement prédire que le mouvement étudiant ne cèdera pas. Parents, professeurs, syndicats, soit une bonne partie de la société civile, appuient les étudiants dans leurs revendications. Le carré rouge, omniprésent dans les sphères publiques, en est la preuve! La démocratie pourrait alors s’imposer et la résistance contraindre le gouvernement à abdiquer.

La fermeture dont le gouvernement fait preuve envoie un message inquiétant; nous pouvons faire ce que bon nous semble tout au long de notre mandat. La démocratie ne s’exerce donc qu’en temps d’élection ?

Pour vous cher lecteur, la démocratie, c’est un gouvernement qui fait la sourde oreille à la plus grosse manifestation qu’a connu le Québec ?

Pour vous, la démocratie n’est pas synonyme de participation citoyenne et de débats publics?

Le message que nous retenons de notre gouvernement, c’est que la participation et la mobilisation des étudiants sont contraires à l’esprit de la démocratie. 
Ironiquement, le Québec se situe au 13e rang des pays de l’OCDE quant au taux de diplomation de sa population, ce qui rappelons-le, nous place devant la moyenne canadienne et devant les États-Unis.

Un gouvernement dirigiste a de quoi s’inquiéter puisqu’une population instruite se laisse difficilement gouverner. Une population scolarisée utilise son pouvoir de résistance lorsque les décisions prises par son gouvernement vont à l’encontre de ce qu’elle considère fondamental pour sa société. Voilà une leçon de démocratie : celle d’un peuple qui s’élève contre un gouvernement dirigiste! 

Membres du collectif des professeurs contre la hausse

Vanessa Pelland
Professeure de science politique
Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu

François Régimbal
Professeur de sociologie
Cégep du Vieux Montréal

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