Militarisation de l’Amérique centrale

2012/04/12 | Par André Maltais

Le 5 décembre 2011, à Merida, au Mexique, avait lieu le 13e Sommet du Mécanisme de concertation de Tuxtla, réunissant le Mexique, la Colombie et les pays centraméricains. Le Sommet discute habituellement l’état d’avancement du Projet mésoaméricain (ex-Plan Puebla-Panama), un réseau d’infrastructures de transport et un ensemble de projets de développement économique destinés à faire contrepoids à l’IIRSA (Infrastructures pour l’intégration régionale sud-américaine).

Mais le document final du sommet met l’emphase sur un thème très à la mode: les problèmes de sécurité de la région et la lutte contre le trafic de drogue.

C’est l’ingrédient qui manquait, écrit la journaliste politique argentine, Mariela Zunino, pour que le Projet mésoaméricain devienne clairement ce qu’il est, c’est-à-dire, en plus d’une nouvelle escalade de dépossession et d’appropriation de territoire, un plan géostratégique états-unien qui dit à toute l’Amérique latine que Washington n’a absolument pas renoncé au continent.

De fait, si les pays de l’Alliance du Pacifique (Chili, Pérou et Colombie) hésitent à s’aligner franchement sur les États-Unis, un autre front plus décidé contre l’intégration latino-américaine est désormais ouvert au nord du continent et, en plus du Mexique, il comprend maintenant la quasi-totalité des États de l’Amérique centrale.

Déjà, les accords de libre-échange (CAFTA, ALÉNA) et bases militaires états-uniennes comme celles du Honduras et du Panama, limitaient les marges de manœuvre des pays d’Amérique centrale.

Mais la portion centraméricaine de l’Initiative de Merida, le Plan Colombie mexicain contre les cartels de la drogue, est maintenant devenue la CARSI (Initiative centraméricaine de sécurité régionale), une nouvelle initiative de sécurité parrainée par les États-Unis, qui presse les faibles États d’Amérique centrale de confier à leurs forces armées locales la lutte contre le trafic de drogue et le crime organisé.

Il s’agit des mêmes forces armées, rappelle le Comité de solidarité avec le peuple du Salvador (CISPES), qui, dans les années 1980 et encouragées par le États-Unis surtout au Guatemala, au Salvador et au Nicaragua, ont torturé, assassiné, brûlé des villages et commis combien d’autres horreurs contre les droits humains de leur propre population

La CARSI exige aussi que du personnel militaire états-unien entraîne les forces de sécurité locales selon un programme que le Pentagone refuse de rendre public et avec des formateurs qu’il refuse d’identifier. Cet entraînement est dispensé à l’Académie internationale pour l’accomplissement de la loi (ILEA), créée, depuis 2006, à Antiguo Cuscatlan, au Salvador.

Dans ce dernier pays, l’élection de Mauricio Funes, un président porté au pouvoir, en 2009, par le Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN), ex-guérilla devenue parti politique, n’a pas empêché une flagrante ingérence des États-Unis dans les affaires du pays.

Au cours des derniers mois, menacé de se voir coupé un programme états-unien d’aide au développement (le Partenariat pour la croissance avec le Salvador), le président Funes remplaçait deux haut-fonctionnaires appartenant au FMLN, Carlos Ascencio, directeur de la police civile nationale, et Manuel Melgar, ministre de la Justice et de la Sécurité publique, par deux généraux diplômés de l’École des Amériques et, bien sûr, mieux disposés à coopérer avec les nouvelles initiatives états-uniennes de sécurité régionale.

C’est donc sans surprise que, le 23 mars dernier, le président de « gauche » annonçait que les forces armées de son pays allaient désormais combattre la délinquance et les cartels de la drogue, imitant ainsi les présidents mexicain (Felipe Calderon), hondurien (Porfirio Lobo) et guatémaltèque (l’ex-général génocidaire Otto Perez Molina).

Tout va donc très bien pour les États-Unis en Amérique centrale, une région qui, rappelle le journaliste cubain, Oliver Zamora Oria, a toujours été géographiquement importante pour ces derniers et, cela, malgré les économies négligeables des pays qui la composent.

Les guérillas disparues, le trafic de drogue et la violence, en plus d’être de juteux commerces pour les banques et l’industrie de la sécurité états-uniennes, sont aujourd’hui d’excellents prétextes à la permanence militaire du Pentagone dans la région. Ce besoin, continue Oria, de permanence explique pourquoi les États-Unis n’essaient pas sérieusement de réduire leur énorme marché intérieur de consommateurs qui stimule la production de drogue en Amérique centrale et andine.

Pour le Costaricain, Andres Mora Ramirez, les militaires états-uniens n’ont jamais abandonné l’Amérique centrale après les accords de paix des années 1990 (bases militaires, centres d’entraînement, conventions aériennes et maritimes de patrouille, opérations et exercices conjoints, dons d’équipement, ventes d’armes, etc.). Cette menace maintenue, après la terreur des années 1980, a permis la « droitisation » de la vie politique

Les attentes en matière de bien-être social et de développement humain ont échoué en même temps que de nouvelles élites politiques et groupes économiques régionaux alignaient les pays de la région sur les postulats du néolibéralisme, le faux libre-échange et la géopolitique états-unienne.

Si bien qu’à l’heure de l’intégration sud-américaine et du supposé déclin mondial de la superpuissance états-unienne, tous les régimes politiques des pays centraméricains sont, dans les faits, de droite. Unique exception, le Nicaragua essaie de nager contre le courant régional au milieu d’immenses obstacles et des nombreuses contradictions du « socialisme chrétien et solidaire » du président, Daniel Ortega.

Depuis 2006, les pays de l’UNASUR ont observé sans réagir la militarisation d’un pays aussi important que le Mexique, puis celle de l’Amérique centrale.

Quelques jours après la première rencontre de la CELAC, Washington annonçait, en même temps que la signature du traité de libre-échange avec la Colombie, la création d’un centre d’opération de lutte contre le narco-terrorisme, à Champerico, au Guatemala, et la création d’une nouvelle académie militaire au Panama.

La CELAC devait réunir tous les pays d’Amérique latine et des Caraïbes à l’exception du Canada et des États-Unis. Pourtant, deux pays centraméricains l’ont boycottée : le Costa-Rica et le Salvador.

En mars dernier, le vice-président des États-Unis, Joe Biden, est venu au Mexique pour rappeler à chacun des candidats aux élections présidentielles de juillet prochain, que la stratégie de guerre contre les cartels de la drogue du président Calderon, est intouchable.

Biden a continué sa tournée au Honduras où il se sent chez lui depuis le coup d’état de 2009. Il y a réuni les présidents centraméricains pour tuer dans l’oeuf une initiative du président Perez Molina, du Guatemala, visant à proposer de dépénaliser la production, la commercialisation et la consommation des drogues.

Le président guatémaltèque tentait de se gagner l’appui des présidents centraméricains en vue d’adopter une position commune à présenter au Sommet des Amériques d’avril, à Cartagena de Indios, en Colombie. De nombreuses voix dont celles de l’ex-président brésilien, Fernando Henrique Cardoso, et du président de la Colombie, Juan Manuel Santos, avaient exprimé leur soutien à Perez Molina.

Mais, Biden parti, les gouvernements du Salvador, Honduras, Costa-Rica et Panama, annonçaient qu’ils n’appuieraient pas une éventuelle proposition guatémaltèque de légalisation des drogues.

Ces présidents préfèrent encore, dit la directrice du Programme pour les Amériques, Laura Carlsen, un système où leur population paie en sang et en vies pour remplir les poches des contractants états-uniens de l’industrie de la défense et pour répandre l’influence du Pentagone dans leur région.

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