Les blagues de Jean Charest et les étudiants

2012/04/24 | Par Claude Vaillancourt

L’auteur est écrivain et enseignant au collégial


Les blagues de Jean Charest sur les étudiants lors de son allocution au Salon du Plan Nord vendredi dernier sont à l’image de ce que les libéraux ont construit depuis leur accession au pouvoir en 2006. Alors que s’affrontaient violemment jeunes et policiers à l’extérieur, une assemblée hilare s’amusait des mots d’esprit du Premier ministre, qui évoquait avec désinvolture un goulag québécois pour les jeunes rebelles.

Les libéraux ont fracturé le peuple du Québec entre ceux qui ont un accès facile au gouvernement et les autres qui ne savent plus quel moyen utiliser pour se faire entendre. Les premiers profitent de considérables passe-droits, qui vont de pair avec de généreuses contributions au parti. Les seconds, qui préfèrent suivre les chemins tumultueux de la démocratie et de la représentativité, se voient imposer des barrières dont ils ne comprennent pas la justification.

Les hasards de l’actualité permettent parfois des juxtapositions révélatrices. Alors que le Premier ministre raillait les étudiants, un reportage de TVA montrait l’ampleur du lobbying fait auprès de son gouvernement. Le nombre de lobbyistes dûment enregistrés est désormais de 2797, une augmentation de 48% depuis l’année dernière. L’enquête révèle aussi que plusieurs lobbyistes parmi les plus actifs sont aussi de généreux pourvoyeurs du Parti libéral. Jean-René Gagnon aurait donné à lui seul 24 500$.

Alain Lemieux, lobbyiste très en demande, affirme rencontrer «seulement» sept ou huit ministres par année. Ministres et sous-ministres ont la chance d’être invités au restaurant par ce digne mandataire de l’entreprise privée. Les étudiants, au nombre de 300 000 au plus fort de la grève, n’ont pas l’honneur d’une pareille familiarité.


Une stratégie cohérente

La hausse des frais de scolarité est aussi révélatrice d’une autre fracture. Plusieurs ont trouvé excessive la formulation du ministre des Finances Raymond Bachand, selon laquelle ses budgets amorçaient une «révolution culturelle». Le propos n’est pas entièrement faux, puisque le projet du ministre est de développer et d’institutionnaliser le partage inéquitable des revenus.

Sa vision est de renoncer à toute idée de progressivité des impôts pour la remplacer par des mesures régressives : les augmentations de taxes et de tarifs coûtent très cher aux pauvres et aux familles de la classe moyenne alors qu’elles sont absorbées sans difficulté par les gens les plus aisés. C’est ce transfert injustifiable, annoncé comme étant inévitable, que refusent de cautionner les étudiants, appuyés par de nombreuses organisations de la société civile.

Renoncer à cette hausse de la part du gouvernement libéral viendrait à ébranler son projet de société. L’enjeu est donc d’une très grande importance. Il en va de cette division entre des classes aux intérêts opposés que le gouvernement tient à accentuer.

Les scandales révélés au sujet du financement du Parti libéral montrent bien que les privilèges sont mis aux enchères et que la sélection entre alliés et adversaires s’établit en fonction de la volonté et de la capacité de payer. Cette marchandisation de privilèges pousse à l’excès la vision d’une société où tout doit se payer, même un droit essentiel comme l’éducation.

Les projets libre-échangistes de Jean Charest vont aussi en ce sens. L’accord entre le Canada et l’Union européenne se négocie dans le secret le plus opaque, avec le refus ferme de rendre des comptes à la population. Des fuites ont tout de même révélé qu’un des principaux enjeux est l’ouverture plus grande de nos marchés publics à la concurrence internationale, ce qui rendra impossible le contrôle démocratique des appels d’offre. Un procédé d’expansion idéal pour les grandes entreprises et fatal pour les initiatives locales, dont profite la majorité.

Le Plan Nord est quant à lui formaté pour les uniques intérêts des exploiteurs du sous-sol. On l’a dit à plusieurs reprises, ce projet n’entraînera ni redevances pour le gouvernement, ni obligation de développer l’économie locale. Le ministre délégué aux Ressources naturelles Serge Simard a même utilisé une rhétorique fort surprenante selon laquelle créer de l’emploi au Québec par la transformation des ressources causerait plus de pauvreté.


Des ponts à rétablir

La complicité entre un Jean Charest détendu et farceur et le public du Salon du Plan Nord était particulièrement inquiétante. Plus que jamais, l’argument de la «juste part» évoqué tant de fois par la ministre Line Beauchamp, devient irrecevable. Comment évoquer une pareille idée alors que les politiques des libéraux visent au contraire à développer l’injustice?

La combativité des étudiants révèle l’acharnement pathétique d’un gouvernement coupé de la réalité de la majorité des gens et campé sur ses positions. Mais aussi, elle nous remplit d’un grand espoir. Tant de réformes dommageables ont été imposées par le fait que les gouvernements parient sur l’apathie de populations étouffées et contraintes devant la difficulté de vivre.

Les libéraux ont longuement préparé leur «révolution culturelle» par des messages bien martelés, par des études grassement payées d’économistes mercenaires. Voilà leur projet contrarié par une résistance tenace et inattendue. S’ils veulent conserver leur légitimité, Jean Charest et les libéraux n’ont plus le choix : il leur faut entreprendre le dialogue avec ceux qui représentent fièrement tous les autres citoyens et citoyennes victimes de l’austérité, qu’ils ont si cavalièrement exclus de leurs préoccupations. Ou encore, déclencher au plus vite des élections…

Photo : Jacques Nadeau

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