Le Premier Mai a débuté dans les rues d’Alma

2012/05/01 | Par Pierre Dubuc

Cette année, le Premier Mai a débuté le 31 mars, dans les rues d’Alma, par une marche en appui aux lockoutés de Rio Tinto Alcan de 8 000 manifestants venus de toutes les régions du Québec, mais également avec la présence de représentants syndicaux du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l’Afrique du Sud, de la France, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, des États-Unis, du Mexique et de plusieurs autres pays.

De retour d’une tournée internationale, Marc Maltais, le président de la section 9490 du Syndicat des Métallos, a salué avec raison, lors de cette manifestation, le retour de la classe ouvrière à l’avant-scène du combat social.

En effet, depuis la dissolution de l’Union soviétique, la classe ouvrière a disparu de l’actualité politique à travers le monde. Elle a été atomisée et réduite à un rôle passif de « majorité silencieuse ». La droite a eu recours à la « wedge politics » pour monter en épingle des divisions sexuelles, ethniques ou générationnelles afin d’occulter la place centrale occupée par la classe ouvrière dans la société contemporaine.

Dans son best-seller Une histoire populaire de l’humanité, Chris Harman pourfend ces théories fumeuses sur la « fin des idéologies », « la fin de l’histoire » et les « adieux au prolétariat » et il redonne une perspective évolutive à l’histoire de l’humanité.

Loin de disparaître, la classe ouvrière est en pleine expansion, particulièrement dans les pays dits émergents. Harman rappelle que « dans les années 1980, la Corée du Sud comptait à elle seule plus d’ouvriers industriels qu’il n’y en avait dans tout le monde à l’époque où Marx et Engels ont rédigé le Manifeste du Parti communiste ».

Avec raison, Harman ne limite pas la définition de la classe ouvrière au prolétariat industriel. « Le travail à la chaîne, écrit-il, s’est propagé dans de nouveaux domaines. Dans de nombreux secteurs, la distinction entre ‘‘services’’ et ‘‘fabrication’’ n’a plus beaucoup de sens : celui qui actionne une machine fabriquant un ordinateur est classé comme ‘‘travailleur industriel’’, alors que celui accomplit des tâches répétitives pour la fabrication de programmes est considéré comme appartenant au secteur des ‘‘services’’; celui qui met des hamburgers en boîte est un ‘‘ouvrier industriel’’ et celui qui les met entre deux tranches de pain appartient aux ‘‘services’’. »

Si la grande force de l’ouvrage de Harman est d’attribuer à lutte des classes le rôle de moteur de l’histoire, renouant ainsi avec la plus pure tradition marxiste, sa faiblesse est d’épouser les thèses de la « révolution permanente » de Léon Trotsky et Rosa Luxembourg dans son interprétation des événements du XXe siècle.

L’affrontement de classe y est présenté de façon trop simpliste. La configuration des classes et les rapports de force y sont souvent décrits de façon sommaire, escamotant les cadres nationaux de ces conflits.

Aujourd’hui, la loi du développement inégal du capitalisme est bien visible dans le repositionnement des grandes puissances à l’échelle mondiale et son influence se fait sentir sur les différents contingents nationaux de la classe ouvrière.

Si la classe ouvrière chinoise, indienne et d’autres pays émergents est à l’offensive dans sa lutte trade-unioniste pour de meilleurs salaires, des conditions de travail et de vie décentes, celle des pays européens comme la Grèce, l’Espagne et l’Italie est acculée à la défensive et voit ses acquis historiques lessivés.

En Amérique du Nord, le patronat est également à l’offensive. Aux États-Unis, les bastions traditionnels du mouvement syndical du nord du pays subissent les assauts des patrons, du Tea Party et des administrations étatiques contrôlés par le Parti Républicain, comme on l’a vu au Wisconsin, en Ohio et dans d’autres États.

Dans ces États, on cherche à imposer les conditions d’exploitation des États américains au sud de la ligne Mason-Dixie, de ces anciens États esclavagistes, de ces « right-to-work states » où les syndicats sont, à toutes fins utiles, bannis.

Au Canada, le gouvernement Harper, dont la filiation avec le Parti républicain américain est bien connue, vient d’ouvrir une nouvelle ronde dans le démantèlement de la fonction publique fédérale avec l’annonce de l’abolition de 19 200 emplois.

Dans les faits, les fonctions remplies par ces fonctionnaires ne disparaîtront pas. Elles seront transférées au secteur privé et assumées par des travailleurs non syndiqués. Nous en avons un exemple patent avec la fermeture d’Aveos.

Hier, l’entretien des avions d’Air Canada a été privatisé et confié à Aveos. Aujourd’hui, les travailleurs syndiqués d’Aveos sont licenciés. Demain, ils seront réembauchés, pour effectuer le même travail, dans des entreprises non-syndiquées pour la moitié du salaire qu’ils touchaient auparavant.

Le secteur privé est également durement frappé. Nous le voyons dans le cas du lock-out à l’usine d’Alma de Rio Tinto Alcan. La richissime multinationale veut y instaurer le « core business », ce qui aurait pour effet de limiter le nombre de travailleurs de l’unité d’accréditation avec laquelle l’entreprise négocie directement au noyau d’employés nécessaires pour assurer l’essentiel de la production. Toutes les autres tâches connexes tomberaient sous la responsabilité de sous-traitants.

Le Parti Libéral, par l’entremise du ministre Clément Gignac, a ouvertement donné son appui à la sous-traitance dans ce conflit. Une position sans surprise, étant donné que le gouvernement Charest avait ouvert la porte à une telle pratique avec les modifications qu’il a apportées au Code du travail en 2003. Le gouvernement apporte également un appui à la multinationale en autorisant, en vertu d’une entente secrète, l’achat par Hydro-Québec de l’électricité produite par RTA et rendue disponible par le conflit.

Le mouvement syndical doit reprendre l’offensive et le combat des travailleurs de RTA démontre que cette lutte, à l’époque de la mondialisation, a nécessairement une dimension internationale.

Un aspect crucial de ce processus est la prise de conscience par la classe ouvrière de son importance numérique et de son rôle potentiel dans la définition d’un nouveau projet de société planétaire.

Harman souligne que la classe ouvrière de la fin du XXe siècle était constituée d’un « noyau d’environ deux milliards d’individus, autour desquels deux autres milliards d’individus étaient peu ou prou soumis à la même logique ».

Il rappelle que « Karl Marx a établi une distinction entre la ‘‘classe en soi’’, qui a une situation objective au sein de la société, et la ‘‘ classe pour soi’’, qui lutte consciemment pour atteindre ses propres buts ».

Il poursuit : « La véritable question sur le rôle de la classe ouvrière consiste à savoir si, et comment, elle peut devenir une classe ‘‘pour soi’’ ».

Un premier pas dans cette direction est de reconnaître que nous n’avons pas assisté au cours des trente dernières années à l’extinction de la classe ouvrière, mais bien à son expansion massive à travers le monde.

Ensuite, il faut réaliser que l’accession de la classe ouvrière en ‘‘classe pour soi’’, c’est-à-dire dotée d’une conscience de ses propres objectifs, ne résultera pas automatiquement et spontanément des luttes économiques, aussi dures soient-elles.

Harman rappelle ces paroles de Lénine selon lesquelles « le mouvement spontané mène à la domination de l’idéologie bourgeoise » parce que, « chronologiquement, l’idéologie bourgeoise est bien plus ancienne que l’idéologie socialiste, qu’elle est plus amplement élaborée et possède infiniment plus de moyens de diffusion ».

Le mouvement ouvrier doit donc s’approprier les leçons de sa longue lutte tant au plan national qu’international, se donner ses propres intellectuels et ses dirigeants, et se doter de ses propres organisations politiques.

Dans le contexte canadien, où la question nationale québécoise est la principale ligne de fracture politique, la tâche de déterminer une stratégie politique, de composer avec les forces politiques en présence, de tisser les alliances nécessaires, est particulièrement complexe.

Mais il est de la responsabilité des syndicalistes et des progressistes québécois de relever ce défi et d’apporter ainsi leur contribution nationale à la lutte internationale pour la transformation de la classe ouvrière en « classe pour soi » et à son inscription dans « l’histoire populaire de l’humanité ».

Chris Harman, Une histoire populaire de l’humanité. Boréal. 726 pages.

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