Affaire du métro. « Force Étudiante Critique », paravent de Hors-d’Øeuvre

2012/05/16 | Par Yves Claudé

L’auteur est sociologue

Après avoir été identifiée et reliée aux accusés du métro par plusieurs médias (blocage du métro de Montréal survenu le jeudi 10 mai), Force Étudiante Critique a lancé sur son blog, un appel à la solidarité (1) avec ces quatre jeunes inculpés et actuellement incarcérés.

Cet appel était assorti d’une sorte d’« avertissement » (« les médias délateurs sont des cibles de choix pour les actions à venir ») qui n’a pas été apprécié par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), laquelle a répondu en « condamnant sans réserve l’intimidation, le vandalisme et la violence dont ont été victimes des reporters depuis le début de la grève étudiante », ajoutant que « ces gens-là ne connaissent rien à la vie en société démocratique » : « On ne collabore pas avec la police, au contraire. On se bat bec et ongles pour protéger nos sources et notre matériel journalistique, pour empêcher la police d’y avoir accès » (2).

Il est utile de savoir que Force Étudiante Critique constitue une sorte de « coalition élargie », en même temps que le paravent organisationnel du groupe politique Hors-d’Øeuvre (HO), une micro-organisation de la mouvance « anarchiste », qui a la caractéristique d’être en marge de ce milieu, et dont les pratiques et orientations sont critiquées et rejetées par la grande majorité des « anarchistes » … et pour cause !

Hormis des orientations majoritaires dans le milieu « anarchiste » (fédéralisme sous forme d’opposition à l’indépendance du Québec, rejet de l’État … et de ses politiques sociales ?, etc.), HO (3) se distingue par une surproduction théorique verbeuse à prétention « philosophique » et « révolutionnaire », qui constitue un involontaire pastiche de ce qui fut l’Internationale situationniste (IS).

L’IS, qui a inspiré indirectement les mouvements étudiants des années 1960 sur la thématique de la vie quotidienne et de la « guérilla » urbaine, s’est décomposée sous forme de secte politique, avant de prendre le statut d’artefact culturel archéologique du XXe siècle.

Le groupe HO, se présentant très modestement … comme une « nouvelle avant-garde en marche » (4), est dénué de base sociale, si ce n’est quelques étudiants qui ne semblent pas à même d’utiliser le savoir critique que l’Université doit en principe leur transmettre.

Issus entre autres du Cégep du Vieux-Montréal, les membres de HO ont tenté en vain, dans le contexte de l’« affaire Villanueva », de récupérer et d’impliquer le milieu de la sous-culture « gangsta » (Bloodz, etc.) de Montréal-Nord dans une mythique aventure « révolutionnaire », avant de s’investir dans une stratégie d’autopromotion en tant que « nouvelle avant-garde » dotée d’une revue théorique se signalant par son élitisme et son opacité !



Les politiques de Hors-d’Øeuvre/Force Étudiante Critique, dans le mouvement étudiant

À travers son paravent organisationnel, HO a orienté son action contre la direction et la tendance majoritaire de la CLASSE. S’infiltrant à travers la porte dangereusement ouverte de la « diversité des tactiques » adoptée par la CLASSE, HO/FEC a finalement constitué un potentiel de nuisance significatif au détriment d’un mouvement étudiant déjà placé dans un rapport de force très difficile face à un gouvernement intransigeant.

C’est dans ce contexte que quatre jeunes se sont trouvés piégés dans une stratégie antisociale dont ils n’ont pas mesuré au préalable les conséquences, pour eux et pour les mouvements sociaux, pour le mouvement étudiant en premier lieu.

Si les quatre accusés du métro, présumés innocents avant jugement, ont effectivement effectué bénévolement un travail antisocial de provocation au service du pouvoir, dans une stratégie de délégitimation du mouvement étudiant, ils ne méritent ni respect ni solidarité, mais peut-être un peu de pitié en espérant pour eux de la clémence, alors que ce sont leurs commanditaires idéologiques qui seraient les véritables responsables.

Les piètres et très prétentieux théoriciens qui lancent un appel à la solidarité avec les accusés sont les pires « amis » qui puissent se porter à leur « défense », alors qu’ils risquent de lourdes peines de prison. Le mépris des travailleurs et de la population en général, le délire et le sectarisme politique, etc., voilà ce que les accusés devront remettre en question, dans le processus de réhabilitation sociale que l’on peut leur souhaiter !

Le pouvoir n’a généralement guère de gratitude envers ses « ennemis » utiles, même lorsqu’ils sont bénévoles, et même lorsqu’ils se comportent en alliés indéfectibles en sabotant les mouvements sociaux et, au Québec en particulier, en s’attaquant politiquement, voire physiquement au mouvement libertaire/indépendantiste.

Les agressions du « révolutionnarisme » de petits-bourgeois écrasés par leur mauvaise conscience de classe, voilà une autre calamité pour les 99% d’une population qui souffre déjà d’une multitude de maux sociaux ! Était-ce nécessaire d’en rajouter ?



Conclusion

J’ai précédemment indiqué la nécessité (5) de s’opposer à l’utilisation, par le pouvoir et ses instruments judiciaires et médiatiques, des quatre accusés (et peut-être d’autres personnes…) comme « boucs émissaires » de l’ensemble de la crise étudiante, soulignant aussi la non pertinence d’en faire des martyrs d’une cause dont ils se sont dissociés de par leur action.

Alors que le SCRS s’est invité à Victoriaville…, et que l’affaire du métro semble être un prétexte pour introduire la thématique idéologique, judiciaire et pénale du « terrorisme » dans la répression des mouvements sociaux du Québec, l’affaire du métro prend des dimensions politiques très importantes, qu’il ne faut pas minimiser en alléguant qu’il ne s’agissait que de fumée…

Car c’est bien l’État fédéral qui fait irruption dans cette « Crise d’Octobre » de basse intensité, ce que les « anarchistes » qui, après la disparition de « Rebelles » (publication indépendantiste-libertaire), ont évacué la question nationale, ne peuvent être à même de comprendre !

Il est à souhaiter que les nombreux membres du mouvement étudiant qui s’apprêtent, de bonne foi, mais en méconnaissance des enjeux et stratégies sousjacentes, à se solidariser avec les quatre accusés dans ce contexte piégé d’une mobilisation planifiée par Hors-d’Øeuvre/Force Étudiante Critique, le fassent d’une manière empathique et critique, et non en cautionnant involontairement la désastreuse stratégie d’une micro-organisation anti-indépendantiste et surtout antisociale.

(1) http://www.forceetudiantecritique.org/2012/05/show-must-go-down.html
(2) Lien : Un groupe étudiant radical appelle à viser les médias
(3) http://www.hors-doeuvre.org
(4) http://www.hors-doeuvre.org/projet/membres
(5) http://www.vigile.net/La-double-tentation-en-faire-des

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