Charest veut transformer le Québec en « Right-to-study state »

2012/05/17 | Par Pierre Dubuc



Maintien de la hausse des droits de scolarité, suspension des cours et disqualification des organisations étudiantes. Avec sa loi spéciale – dont le libellé n’est pas connu au moment d’écrire ces lignes – le gouvernement Charest poursuit son travail d’intégration des universités québécoises au réseau universitaire mondial, en conformité avec les principes néolibéraux du processus de Bologne, et transforme le Québec en « Right-to-study state » sur le modèle des « Right-to-work states » du sud des États-Unis.

Dans l’entente du 6 mai dernier, aujourd’hui caduque, la ministre Courchesne avait sournoisement introduit, avec l’article 2, la création d’un Conseil permanent des universités dont le mandat aurait été d’examiner, « à la lumière des meilleures pratiques », des sujets comme « l’abolition et la création de programmes, l’internationalisation, les partenariats entre les universités et les milieux, la formation continue, la qualité de la formation, de la recherche, du soutien, et les instances universitaires ».

Les observateurs attentifs de la scène universitaire avaient vu dans cette clause – sans lien réel avec la question des droits de scolarité – une volonté du gouvernement de se conformer au processus de Bologne. Celui-ci tire son nom d’une conférence tenue à Bologne en juin 1999 où 29 pays européens ont signé un texte qui visait la création d’un espace commun européen de l’enseignement supérieur.

Ce processus se divise en trois grandes réformes. Premièrement, uniformiser les études en trois cycles. Deuxièmement, mettre en place un système unique pour le calcul des crédits universitaires transférable entre les établissements. Troisièmement, implanter une assurance-qualité, dont la gestion est confiée à des organismes externes aux universités.

Au Québec, les deux premières réformes sont déjà en place, mis à part la non corformité du réseau des cégeps, d’où les appels récurrents à son abolition – le dernier, à ce jour, venant de la CAQ de Sirois-Legault – et sa restructuration sur le modèle des « college » du Canada-anglais.

En Europe, cette réforme, prenant pour modèle les universités américaines, présente l’éducation comme un investissement personnel. Elle s’accompagne d’une hausse importante des droits de scolarité avec le remboursement proportionnel au revenu, soit exactement les mesures mises de l’avant par le gouvernement Charest.

Dans ce grand marché mondial, l’éducation est une industrie et les universités des entreprises qui se livrent une concurrence féroce pour attirer les étudiants internationaux. La Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ) a d’ailleurs identifié, au nombre de ses objectifs prioritaires, la nécessité d’« accroître les ressources pour attirer les étudiants étrangers ».

Aussi, il n’est pas étonnant qu’en plein conflit, les recteurs de nos universités n’aient pas hésité à se rendre au Brésil pour recruter des étudiants. Le gouvernement brésilien vient d’annoncer que plus de 100 000 étudiants brésiliens fréquenteront, au frais de leur gouvernement, des universités étrangères au cours des quatre prochaines années. Le Canada prévoit en attirer 12 000 et les universités québécois veulent « leur juste part » de cette manne.

Le marché international des étudiants internationaux est en pleine expansion. En 2008, 3,3 millions d’étudiants étaient scolarisés dans des pays dont ils ne sont pas ressortissants. Une hausse de 154% sur une période de cinq ans. Et, de toute évidence, la demande est forte pour des études en langue anglaise. Les trois universités anglophones du Québec accueillent 41,2% de tous les étudiants internationaux (McGill: 24,8%, Concordia: 15,3% et Bishop's: 1,1%) même si les anglophones ne représentent que 8,3% de la population. On comprend mieux l’ouverture par les HÉC, l’Université de Montréal et même l’UQAM de cours dispensés en anglais.

Au Québec, le nombre d’étudiants internationaux est passé de 9 135 en 2003 à 26 191 en 2010. Aujourd’hui, dans les universités québécoises, près d’un étudiant sur dix est un étudiant international.

Pour les universités et le gouvernement du Québec, les étudiants internationaux sont beaucoup plus « payants » que les étudiants québécois, si on fait exception des étudiants en provenance de la France et d’autres pays avec lesquels le Québec a des ententes.

Au total, les droits universitaires exigés des étudiants étrangers est d’environ sept fois supérieur à ceux payés par les étudiants québécois. Alors, pourquoi ne pas remplacer les étudiants québécois évincés par la hausse des droits de scolarité par des étudiants en provenance d’autres pays?

Mais, les droits versés par les étudiants internationaux, même bonifiés, ne couvrent pas les coûts réels de plusieurs formations (médecine, polytechnique, etc.) Nous subventionnons donc, par le biais de nos impôts, une partie de la scolarité d’étudiants dont le plus grand nombre retourneront dans leur pays au terme de leurs études.

Bien entendu, il y a d’autres avantages financiers pour le pays hôte à accueillir des étudiants internationaux. Ceux-ci doivent se loger, se vêtir, se nourrir, se divertir, etc. Mais la question se pose : ces retombées économiques et les droits de scolarité qu’ils défraient compensent-ils le montant de la subvention que nous leur octroyons?

La présence d’étudiants internationaux est certes source d’enrichissement culturel et le Québec a le devoir comme pays riche d’accueillir des étudiants de pays pauvres. Déjà, des ententes avec ces pays codifient l’aide désintéressée que nous leur apportons.

Cependant, le marché actuel des étudiants internationaux est d’une autre nature. Il a toutes les caractéristiques d’une industrie et il illustre parfaitement le phénomène de la marchandisation de l’éducation à l’époque de la mondialisation.

De toute évidence, le gouvernement Charest donne préséance au positionnement de nos universités dans le palmarès mondial des universités à la scolarisation de Québécoises et des Québécois.

Malheureusement pour lui, heureusement pour nous, les étudiantes et les étudiants ne l’entendent pas ainsi. Par leur lutte courageuse et déterminée contre la hausse des droits de scolarité, ils remettent en question les fondements même de cette vision libérale de l’éducation.

Preuve que l’enjeu dépasse, pour le gouvernement, le montant des droits de scolarité, il recourt à une loi spéciale où primauté est accordée aux droits individuels sur les droits collectifs, où le « droit d’étudier » d’un étudiant l’emporte sur la décision collective d’une assemblée étudiante.

C’est exactement la situation que doivent vivre les travailleurs et les organisations syndicales dans les « right-to-work states », ces anciens États esclavagistes du sud des États-Unis, où les conventions collectives sont illégales et les syndicats condamnées à agir dans la clandestinité. Est-ce le même sort qui attend les organisations étudiantes?

Que le gouvernement Charest attaque ainsi le droit associatif ne devrait pas nous surprendre. Il y a un lock-out à l’usine Rio Tinto Alma parce que le gouvernement a ouvert la porte à la sous-traitance avec les modifications apportées à l’article 45 du Code du travail en 2003. Il a laissé l’entreprise violer l’esprit de la loi anti-scab avec l’embauche de nombreux cadres avant le déclenchement du conflit et il permet à Hydro-Québec d’acheter les kilowatts disponibles par l’arrêt de deux tiers de la production.

La lutte des étudiantes et des étudiants doit être la lutte de toutes les Québécoises, de tous les Québécois et de toutes leurs organisations. Elle doit être portée au niveau politique et s’inscrire dans la lutte de l’émancipation du peuple québécois.

Nous ne pourrons établir la gratuité scolaire et améliorer nos programmes sociaux, tout en continuant à défrayer 20% des dizaines de milliards octroyés par le gouvernement fédéral pour l’exploitation des sables bitumineux, l’industrie automobile ontarienne et l’achat des F-35.

La lutte contre le néolibéralisme a ses spécificités nationales. Au Québec, elle passe par l’indépendance nationale. Elle seule a le potentiel d’ébranler les structures de domination, de libérer les forces créatrices et d’être un ferment de transformation sociale à l’échelle de l’Amérique du Nord.

Crédit photo: Jacques Nadeau

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