Chronique d’une arrestation orchestrée

2012/05/18 | Par Geneviève Bruneau

« Aucun fou n'est fou tant que l'on se plie à ses raisons »
–Gabriel Garcia Marquez  De l'amour et autres démons

Samedi dernier, j’ai participé à une manifestation contre la hausse des frais de scolarité à Sherbrooke. Naïvement, à cause du caractère familial de l’événement, je me croyais en sécurité et j’avais rassuré ma mère au  téléphone, non sans une pointe d’ironie.

La « manifestation familiale » avait pour objectif de mettre de l’avant les revendications des parents étudiants-e-s. Bulles de savon, maquillage, slogans enfantins, cortège de poussettes, tout était réuni pour amuser les bambins présents à la manifestation avec leurs parents. L’animatrice de camp de jour en moi a repris du service, j’étais à l’avant, je criais des slogans, passant de temps à autre le porte-voix aux enfants et parents devant moi.

Tout se déroulait dans le calme, une colère joyeuse caractéristique de la plupart de nos manifestations parcourait la foule. Tout allait bien donc jusqu’à ce que les policiers décident de ne plus assurer notre sécurité à mi-parcours, en ne bloquant plus la circulation.

Nous avons donc improvisé un service de sécurité afin de nous assurer qu’aucun incident malheureux ne se produise.

La nervosité était palpable, des parents s’inquiétaient devant le comportement agressif et dangereux d’automobilistes coupant la manifestation devant nos yeux. Un enfant m’a alors dit : « La police est pas pour nous de toute façon, on peut se débrouiller sans eux ». Ce petit garçon d’à peine dix ans avait bien compris ce que plusieurs n’admettent pas encore.

La manifestation tirait à sa fin, nous arrivions au marché de la gare (marché public au centre-ville de Sherbrooke), où des étudiant-e-s en sciences et sciences humaines allaient tenir une séance d’« université en plein air ».

Des policiers m’ont alors demandé de les suivre pour discuter. J’ai répondu que j’étais occupée et que je serais disponible pour discuter avec eux plus tard. Ils n’entendaient pas à rire et se sont faits plus insistants.

Mes collègues n’ont pas tardé à se joindre à moi pour dénoncer leur tentative manifeste d’intimidation.

Ils m’ont demandé de m’identifier, j’ai demandé pourquoi. Ils ont menacé de m’arrêter si je refusais de le faire. Les policiers ont alors pointé mon frère, il était lui aussi sommé de s’identifier.

Devant les questions répétées de la foule, le policier me signifie que je suis accusée d’avoir incité les gens à prendre la rue et de ne pas avoir marché sur le trottoir. Oui, oui vous avez bien compris, ne pas marcher sur le trottoir!

À un autre moment, je ne me souviens plus si c’est avant ou après les premières accusations, on m’accuse d’avoir troublé la paix.

Mon frère me ramène à la raison, et me dit, « On y va, on va s’identifier sinon ils vont nous embarquer ». Il avait raison, les policiers étaient visiblement nerveux et je devais surmonter mon sentiment d’injustice pour aller m’identifier.

Ils nous ont laissés partir en soulignant que nous étions accusés de plusieurs infractions et qu’ils utiliseraient leur pouvoir discrétionnaire pour voir si nous serions passibles d’une contravention.  

Le travail des policiers n’est-il pas de protéger sans distinction, tous les citoyens et citoyennes? Le service de police de Sherbrooke a tenté d’intimider des militant-e-s sous prétexte d’appliquer des règlements municipaux qui, dans le cas qui nous occupe, entrent en contradiction avec nos droits fondamentaux.

Cette attitude est déplorable et répondait certainement à un mot d’ordre. Est-ce que le SPS et la ville de Sherbrooke souhaitent instaurer un climat de peur et de répression dans nos rues?

Le message que les policiers nous ont envoyé samedi dernier est que nous ne pouvons pas manifester librement et spontanément à Sherbrooke. C’est un changement d’attitude marqué du SPS.

En conformité avec notre droit fondamental de manifester, jamais nous n’avions eu à demander la permission de tenir une manifestation.

Dernièrement, plusieurs interventions policières et juridiques nous montrent que les pouvoirs en place tentent de restreindre, par tous les moyens possibles, ce droit acquis de chaudes luttes et qui est coeur d'une société démocratique.

La loi contre le port du masque à Montréal, les injonctions mettant à feu et à sang plusieurs institutions d’enseignement, la brutalité policière, les arrestations massives, le profilage et la distribution frénétique de contraventions par plusieurs services de police au Québec, sont des exemples de ses atteintes multiples au droit de manifester depuis le début de la grève étudiante.

Au moment où j’écris ses lignes, la rumeur insistante d’une loi spéciale enflamme les tribunes téléphoniques. J’ai peur que si elle se matérialise, elle soit la goutte qui fera non pas déborder, mais exploser le vase.

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