Le 22 mai, on était 250 000 dans la rue

2012/05/24 | Par Marie-Eve Coderre

Hier, on était 250 000 dans la rue. Les journaux résument ça à « Quelques dizaines de milliers » ou encore « 150 000 ». Hier, j’y étais. J’ai distribué des biscuits et de l’eau aux gens qui étaient présents. J’avais apporté ma trousse de premier soin et des foulards, juste au cas.

Mais je savais bien qu’une manifestation de jour, c’était pas le moment le plus approprié pour l’escouade anti-émeute pour charger.

C’était un beau moment, les gens étaient solidaires, les gens étaient heureux, les manifestant(e)s étaient beaux et belles. Pendant un moment, juste avant qu’il se mette à pleuvoir, j’ai senti qu’on avait tous un petit sentiment d’espoir qui naissait dans nos cœurs. Ce n’est pas la pluie, pourtant, qui l’a lavé.

C’est ce matin, quand j’ai pris mon café et que je me suis posté devant mon ordinateur et, qu’avant d’ouvrir internet, j’ai pris une longue pause pour réfléchir. Est-ce que je l’ouvre? Est-ce que je vais lire les nouvelles? Est-ce que j’ouvre la télé?

J’ai longtemps hésité parce que le soir d’avant, j’ai fait l’erreur de passer la soirée sur Twitter à regarder ce qu’il se passait avec la manif de soir. C’était le bordel, comme d’habitudes.

Je n’y étais pas, après avoir été prendre un bon bain pour me réchauffer un peu suite à la manif sur la pluie, j’ai enfilé mon pyjama Batman et j’ai ouvert #manifencours. J’aurais dû y être, avec ma trousse de premier soin.

Un gars renversé, des tonnes de gens arrêté. En plus de Twitter, il y avait CUTV. Ça se passait à 20 minutes de métro de chez moi, et pourtant j’avais l’impression d’être dans un tout autre monde.

De l’ultra violence, comme dans Orange Mécanique, mais là, c’est des images de forces de « l’ordre » qui jettent une fille par terre, menottent des manifestant(e)s directement sur les escaliers de l’UQÀM après les avoir jetter par terre et les tenir face au sol un genou dans le creux du dos. J’ai pas vraiment dormi, trop dégoutée, trop retournée.

Alors, ce matin, devant mon café, devant mon ordi, devant ma télé, je me demande si j’ai vraiment envie de savoir ce que les médias pensent de tout ça. Après l’espoir et après l’horreur, est-ce que c’est une bonne idée d’aller lire l’opinion publique qu’ils essaient de forger dans l’esprit des gens.

Après avoir partagé mes bouteilles d’eau avec des gens de l’âge de mon papi qui portaient des pancartes « 75 ans et contre la hausse » et donné mes biscuits à des manifestants tout nus, après m’être sentie un peu comme en 68, pour ensuite voir mes compagnons se faire fesser dessus, menotter et arrêter.

Surtout, après avoir enfin de nouvelles de mon futur colocataire qui s’est fait mettre en prison pendant deux nuits avec son père en sortant d’un restaurant dimanche soir sur St-Denis, est-ce que j’ai vraiment envie de savoir ce que les médias corrompus pensent de tout ça?

J’ai pris une chance, j’aurais pas dû. Le nombre de manifestants a été réduit à 150 000 par le journal de Montréal, la copine de Richard Martineau prend l’exemple d’une seule pancarte pour ridiculiser tout le mouvement des Carrés Rouges tout en faisant des fautes d’orthographe et, surtout, les commentaires qui suivent ces articles. « Y’était temps qu’y’en aille un qui se fasse frapper, on commence à être pas mal tannés. » « Ils ont ce qu’ils méritent ces sales communistes. ».

J’en passe, des vertes et des pas mûres. J’ai les larmes aux yeux. Hier, tout était si beau avec les automobilistes qui nous encourageaient en brandissant des carrés rouges, un grand sourire aux lèvres.

Aujourd’hui c’est tout le contraire. On nous souhaite du malheur, on nous souhaite du mal, aux étudiant(e)s mais ça concerne aussi tous les manifestant(e)s. Nous ne sommes pas tous étudiant(e)s, il y a des contribuables, il y a des personnes âgées, il y a aussi de jeunes enfants. La violence des propos envers les manifestant(e)s dépassent l’entendement, c’est presque des menaces.

S’il vous plait, avant d’insulter, de menacer et d’être violent avec quelqu’un, réfléchissez un peu. Non seulement nous sommes des manifestants, mais nous sommes aussi des humains.

Nous sommes plus qu’une simple photo d’un ou une inconnu(e) ensanglanté(e). Nous sommes aussi le frère/sœur, mère/père, cousin(e), ami(e), conjoint(e), oncle ou tante de quelqu’un d’autre, peut-être même d’une personne que vous connaissez.

Nous n’avons pas envie d’être défiguré(e)s, blessé(e)s, estropié(e)s ou de subir des séquelles qui pourraient avoir des répercussions sur le reste de notre vie.

Quand nous sommes arrêté(e)s lors d’une manifestation, des gens qui restent sans nouvelles s’inquiètent pour nous, parfois ils doivent venir nous chercher au poste, parfois ils viennent nous rejoindre à l’hôpital.

Oui, il arrive que certains manifestants dépassent les limites, mais ne nous mettez pas tous dans le même panier. Nous ne méritons pas tous d’être détenus et encore moins d’être pourchassés sur les terrasses ou à la sortie d’un restaurant.

Ce n’est pas parce que nous portons un carré rouge que nous sommes Anarchistes ou Communistes (parce que oui, même si le journal ne fait pas la différence, il y en a bien une) et aucune allégeance politique n’est nécessairement synonyme de violence.

Rappelez-vous que les partis communistes d’Europe sont les partis de gauches donc plus près du bien-être de la société que du bien-être individuel (lire bien-être des riches).

Je finis avec une leçon que j’ai apprise du féminisme que je dédie à tous ceux qui font acte de violence, manifestant(e), pour ou contre, rouge, vert, jaune, blanc, noir, « name it »!

Un acte de violence, c’est toujours une prise de contrôle. C’est signe qu’on est en train de le perdre et qu’on manque d’arguments pour le garder. Ce n’est jamais justifié. C’est aussi signe de peur.

Le meilleur moyen de répondre à la violence, c’est avec l’amour. C’est souvent difficile, surtout quand on est en colère, quand on est fatigué, mais c’est toujours plus déstabilisant de répondre à un geste de violence avec un geste de compassion parce que c’est inattendu.

N’insultez pas les policiers dans la rue, ils font des heures incroyables, reçoivent aussi beaucoup de pressions de leurs supérieurs et répondent parfois à des ordres confus.

Ne répondez que lorsqu’ils sont violents, ne les provoquez pas. Et s’il vous plait, faites de même avec les manifestant(e)s. Tous les soirs nous sommes dans la rue. Nous croyons qu’il est possible de faire un Québec plus beau, plus juste et où il est possible de négocier sans passer par la justice et la répression.

Chaque jour nous refaisons le monde ensemble et chaque matin, les médias banalisent ce qui nous tient le plus à cœur en ce moment. Nous aussi nous sommes à bout, mais nous restons solidaires.

Moins vous provoquez la violence, moins il y en aura, et à ce moment, il sera plus facile de déceler les gestes illégitimes.

Nous vivons en société, nous pouvons agir collectivement.

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