Rapport d’Amnistie internationale

2012/05/24 | Par L’aut’journal 

Le Canada pourrait être accusé de complicité dans la torture à cause des actes commis ou de son inaction à l’échelle nationale et dans le cadre de ses relations avec d’autres nations, affirme Amnistie internationale. Une séance d’information soulignant les préoccupations de l’organisme est envisagée pour le 21 mai, tandis que le Comité contre la torture des Nations Unies examinera, à Genève, l’adhésion du Canada à la Convention contre la torture.

Les efforts inadéquats consentis pour protéger les femmes autochtones contre la violence, les transferts de prisonniers en Afghanistan, les expulsions, les relations en matière de sécurité nationale avec des gouvernements étrangers et l’incapacité à garantir la justice et l'obligation redditionnelle pour les actes de torture font partie des problèmes inscrits au bilan du Canada.

« Le Canada est incapable de garantir que ses actions ne sont pas corrompues par une implication dans des actes de torture, dénonce Alex Neve, secrétaire général d'Amnistie internationale Canada section anglophone. Son bilan n’est pas net, et en certains domaines, il s’avère extrêmement troublant. »


Les peuples autochtones

L’incidence des taux disproportionnés de violence contre les femmes et les filles autochtones n’a eu pour toute réponse que des initiatives dispersées. Il est impératif de recueillir des données à cet égard et d’établir un plan d’action national global coordonné pour mettre fin à la violence.

« Au Canada, les femmes autochtones sont aux prises avec des taux d’agressions violentes de trois à cinq fois plus élevés que toutes les autres femmes. Des centaines de familles inuites, métisses et des Premières Nations ont vécu le meurtre ou la disparition d’une sœur ou d’une fille, raconte Béatrice Vaugrante, directrice générale d'Amnistie internationale Canada section francophone. Une intervention gouvernementale concertée et à la mesure de la gravité du problème est primordiale. »

L’usage inutile et disproportionné de la force contre les peuples autochtones qui font valoir leurs droits territoriaux ou participent à des manifestations publiques est également préoccupant. Le déploiement de 200 agents de la Police provinciale de l'Ontario à Ipperwash en septembre 1995 a entraîné le décès d’un manifestant autochtone, puis la tenue d’une enquête en 2003. Néanmoins, des recommandations essentielles ne sont toujours pas mises en œuvre.

Cet incident et des actes subséquents en juin 2007 et en avril 2008 dans le territoire mohawk de Tyendinaga ont mené Amnistie internationale à demander la mise en place de politiques contraignantes selon lesquelles la force ne sera utilisée qu’en dernier recours, quand elle est nécessaire pour protéger la vie et la sécurité.


La justice et l’obligation redditionnelle

L’imposition de limites territoriales à la torture est irréalisable. Le droit des survivants à demander réparation dans les tribunaux canadiens doit être établi par le Parlement, ce qui permettra de poursuivre en justice les gouvernements étrangers ayant commis ce crime frappé d’interdiction en vertu du droit international, explique Amnistie internationale.

Le Canada doit abolir l'immunité accordée aux États qui protège, dans nos cours de justice, les pays coupables d’actes de torture. Il faut empêcher les gouvernements étrangers de se soustraire à leurs responsabilités.

Le principe de la « compétence universelle » sur le crime de torture, peu importe où il est commis, signifie que les personnes soupçonnées d’être pénalement responsables d’actes de torture et qui se trouvent au Canada doivent être traduites en justice, et non uniquement expulsées. Le gouvernement doit faire appel aux pouvoirs qui lui sont conférés par le Code criminel et la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. L’obligation internationale du Canada ne se limite pas à l’expulsion de ces personnes, il doit reconnaître leur culpabilité.


La torture et les questions de sécurité nationale

La séance d’information d’Amnistie internationale démontrera aussi que le gouvernement n’a pas réussi à traiter adéquatement le rôle joué par les autorités canadiennes dans la torture et les mauvais traitements subis par des ressortissants canadiens à l’étranger.

L’arrestation de Maher Arar par les autorités américaines en septembre 2002 ainsi que les restitutions extraordinaires pratiquées et les actes de torture commis en Syrie ont donné lieu à une enquête à la suite de sa libération.

Les rapports définitifs ont été publiés à l’automne 2006, et Maher Arar a reçu des excuses officielles ainsi qu'une indemnisation en raison du rôle joué par les autorités canadiennes dans son calvaire. Malheureusement, les importantes recommandations de l’enquête concernant la surveillance des organismes d'application de la loi et de sécurité chargés des questions de sécurité nationale n’ont toujours pas été mises en œuvre après plus de cinq années.

Une autre enquête, sous la direction de l'ancien juge de la Cour suprême Frank Iacobucci, a conclu que les actions des autorités canadiennes ont « indirectement contribué » à la torture et aux mauvais traitements qu’ont subis Abdullah Almalki, Ahmad Abou-Elmaati et Muayyed Nureddin, trois autres Canadiens, en Syrie et en Égypte. Malgré cette conclusion, les trois hommes ont été contraints d’engager de longues procédures. Selon Amnistie internationale, ils doivent immédiatement obtenir un dédommagement adéquat et approprié.

En juillet 2002, un autre Canadien, Omar Khadr, âgé de 15 ans à l’époque, a été incarcéré par les forces américaines, d’abord en Afghanistan puis, à compter d’octobre 2002 à Guantanamo Bay, à Cuba. En octobre 2010, il a été condamné à une peine de huit années de prison en vertu d’une entente de plaidoyer. Pendant ces années de détention et d’atteinte à ses droits individuels, le gouvernement canadien a refusé d’intervenir en sa faveur. Pendant ce temps, des allégations crédibles de torture et de mauvais traitements circulaient, et la Cour suprême du Canada a déclaré les autorités canadiennes complices des violations de ses droits.

« Le Canada doit approuver sans délai la demande de retour à son pays de citoyenneté présentée par Omar Khadr, souligne Béatrice Vaugrante. Et le gouvernement doit veiller à ce qu’il reçoive une indemnisation adéquate pour les violations des droits de la personne dont il a été victime. »

Dans toutes ces affaires, les autorités canadiennes ont échangé certains renseignements avec des organismes étrangers. Des frais troublants ont fait surface, qui suggèrent que le Service canadien du renseignement de sécurité a obtenu l’autorisation d’utiliser des renseignements étrangers ayant possiblement été obtenus par la torture. Pour Amnistie internationale, une politique claire est essentielle pour proscrire l’utilisation de ce type de renseignements et éviter la création d’un marché du renseignement obtenu par la torture. Les autorités canadiennes doivent aussi interdire l’échange de renseignements avec les gouvernements étrangers lorsqu’un tel échange est susceptible d’engendrer des risques considérables de torture.


Les transferts vers la torture

Le Canada ne peut pas utiliser des renseignements provenant de tortionnaires ni en échanger avec eux. Le gouvernement est tenu à une stricte obligation de n’expulser (non-refoulement) aucune personne vers un pays où elle ferait face à des risques réels de torture. Les dossiers d’Amnistie internationale mentionnent que le Canada doit introduire explicitement la nature inconditionnelle de ce principe dans toutes les lois pertinentes.

Amnistie internationale Canada et l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique ont soulevé en février 2007 la question du transfert de prisonniers livrés aux autorités afghanes par les autorités canadiennes à un moment où le risque de torture était considérable.

L’affaire n’a pas été entendue par les tribunaux canadiens en raison d’une décision selon laquelle la Charte des droits ne s’applique pas aux militaires canadiens à l’extérieur du Canada. Les dispositions de la Convention contre la torture doivent être intégrées à la législation nationale de façon à ce que les tribunaux canadiens puissent appliquer la juridiction extraterritoriale.


Les réfugiés et les migrants

Le traitement réservé par le Canada aux réfugiés et aux migrants constitue une préoccupation dans le cadre des articles de la Convention. La législation proposée pour sévir contre le « passage de clandestins », le projet de loi C-31, Loi visant à protéger le système d'immigration du Canada, imposerait la détention obligatoire des demandeurs d’asile en se basant uniquement sur leur mode d’arrivée au Canada.

Cette obligation enfreint les normes juridiques internationales selon lesquelles les demandeurs d’asile ne devraient être détenus qu’en des circonstances exceptionnelles. Le projet de loi ne comporte aucune exception quant à la détention obligatoire pour les personnes qui ont survécu à la torture.

De plus, il retire le droit de faire appel d’une décision défavorable à tout réfugié dont l’arrivée est désignée comme « irrégulière » ou qui arrive d’un pays désigné comme « sûr » par le ministre.

« Ce projet de loi est discriminatoire en matière d’accès à la justice, élimine des mesures de protection contre les expulsions injustifiées de demandeurs d’asile et augmente les probabilités de retour des réfugiés vers des pays où ils risquent la torture, en violation des obligations du Canada selon la Convention contre la torture, affirme Alex Neve. Ces dispositions inquiétantes doivent être supprimées. »


Les services de police

Amnistie internationale a manifesté en de nombreuses occasions son inquiétude quant au fait que l’utilisation de dispositifs à impulsions (DAI) comme les pistolets Taser, dans certaines circonstances, équivaut à de la torture ou à des mauvais traitements.

Il est préoccupant de savoir qu’il n’existe pas de normes logiques et cohérentes à cet égard s’appliquant aux services de police dans l’ensemble du pays.

Des directives fédérales ont été rédigées en octobre 2010, mais elles ne sont pas obligatoires. Amnistie internationale demande la modification de ces directives de façon à garantir que les DAI seront utilisés uniquement en situation de danger imminent de mort ou de blessures graves (potentiellement mortelles) ne pouvant être maîtrisé autrement.

Les essais et l’utilisation, note Amnistie internationale, devraient être régis par un cadre législatif englobant les normes internationales en matière de droits humains, y compris la Convention contre la torture.

Des allégations détaillées et crédibles de recours abusifs et de mauvais traitements infligés par la police ont également été formulées après l’arrestation de plus de 1000 personnes dans le cadre des manifestations publiques massives lors des sommets du G8 et du G20 à Toronto, en juin 2010.

De nombreux examens internes et externes ont été menés, dont certains, par des organismes rattachés à la police. En outre, plusieurs aspects des opérations policières n’ont pas été examinés du tout.

« Le Canada et l’Ontario doivent ordonner une enquête publique conjointe détaillée sur tous les aspects des opérations policières et de sécurité menées lors des sommets de 2010, déclare Alex Neve. Les recours abusifs et les mauvais traitements sont une honte et doivent faire l’objet d’une enquête pour éviter que de tels événements se reproduisent. »

« Les obligations du Canada en vertu de la Convention sont claires et nettes, remarque Béatrice Vaugrante. Des vies sont menacées alors que le Canada est incapable de mettre fin à la torture et qu’il se fait le complice des actes des autres. »

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