Contribution à l’analyse du conflit étudiant

2012/05/30 | Par Pierre Dubuc

Le conflit étudiant n’est pas encore terminé que, déjà, plusieurs analystes en cherchent les racines profondes. C’est le cas de Pierre Mouterde, un des animateurs du site Presse-toi à gauche, qui vient de publier « Les origines d’une rébellion printanière ».

L’exercice est valable car, de l’identification des causes, découleront des perspectives d’action.

Mouterde nous propose donc de « dénouer les fils secrets » de la crise, d’en identifier « les clefs » pour « tenter de mettre de l’ordre dans une multitude d’idées ».

D’entrée de jeu, disons que son analyse déçoit par son approche « provincialiste » et son évacuation de la question nationale.


Pourquoi chez les francophones? Et pas chez les anglophones?

Mouterde ne souligne pas le caractère national de ce soulèvement de la jeunesse étudiante et de son élargissement, sur fond de casseroles, à d’autres secteurs de la population. Pourquoi au Québec et pas au Canada-anglais? Pourquoi dans les institutions francophones et pas dans les maisons d’enseignement anglophones?

Le phénomène n’a pas échappé à Lysiane Gagnon de La Presse. Elle propose deux explications. Premièrement, « les non-francophones sont réfractaires au PQ », qui constitue l’alternative au gouvernement Charest.

Deuxièmement, cela « tient au fait que les Anglo-Québécois de vieille souche ont toujours valorisé l'éducation, bien davantage que les francophones. C'est aussi le cas des allophones ».

Et, pour appuyer son propos, Lysiane Gagnon rappelle qu’« en 2010, chez les 25-34 ans québécois, 24,8% des francophones avaient un diplôme universitaire. C'était le cas de 34,9% des anglophones... et de 37,4% des allophones ».

L’argumentaire de Lysiane Gagnon touche à l’essentiel. Mais il tient sur la tête. Il faut le remettre sur ses pieds. C’est précisément pour rattraper ce retard dans la diplomation que, depuis les années 1960, les étudiants québécois ont mené et mènent toujours des luttes épiques pour la gratuité scolaire.


Quelques « fils secrets »

Mouterde base toute son analyse sur « le mode de régulation économique libéral qui s’est déployé au Québec, surtout à partir des années 90 ». On ne peut qu’être d’accord. Mais son analyse demeure sommaire.

S’il avait voulu dénouer ne serait-ce que quelques « fils secrets », il aurait signalé le virage néolibéral des universités francophones qui cherchent à s’inscrire dans le grand marché universitaire mondial tel que défini par le processus de Bologne.

Nous avons montré dans d’autres articles que le gouvernement Charest et les recteurs d’université étaient prêts à sacrifier l’accessibilité aux études universitaires des étudiants québécois et à les remplacer par le recrutement d’étudiants internationaux.

Que la moitié des étudiants de l’université McGill soient originaires de l’extérieur du Québec et défraient des droits de scolarité largement inférieurs à ce qu’il leur en coûterait dans leur pays d’origine explique en bonne partie leur non-participation à la grève étudiante.

Mais, il y a d’autres lacunes, plus importantes encore, dans l’analyse de Mouterde.


Une absence de taille : le Canada!

À aucun endroit dans son texte, il ne fait référence au Canada! C’est comme si le Québec était un pays indépendant!

Bien sûr, le néolibéralisme est un phénomène mondial. Cependant, si on veut le combattre adéquatement, il faut en comprendre les spécificités nationales. À moins, bien entendu, d’envisager son éradication par une « révolution permanente mondiale » où nous aurions dans un face-à-face final les forces populaires d’un côté et les forces du capitalisme mondial de l’autre.

Si on ne souscrit pas à cet « Armageddon » gauchiste, il faut raffiner l’analyse. Et, il est difficile de trouver les « clefs » permettant de comprendre l’avènement du néolibéralisme au Québec sans référence au Canada et à la dynamique de la question nationale québécoise.

Mouterde attribue à Lucien Bouchard et au PQ « la mise en place du catéchisme néolibéral ». Ah bon! Et comment qualifie-t-il le Rapport des Sages, du comité présidé par Paul Gobeil, sous Robert Bourassa? Mais, ne lui cherchons pas chicane là-dessus. On comprendra plus tard pourquoi il lui est plus commode d’attribuer la paternité du néolibéralisme au Québec au PQ.


Le cas Lucien Bouchard

Discutons donc du cas de Lucien Bouchard. Son sommet du Déficit Zéro a constitué une étape majeure dans l’imposition des politiques néolibérales. Mais il est bon d’en rappeler le contexte politique.

Nous sommes au lendemain du référendum (volé) de 1995. Lucien Bouchard a succédé à Jacques Parizeau au poste de premier ministre. Le Canada anglais le craint comme la peste. On le voit comme un leader charismatique, au caractère imprévisible, qui pourrait profiter que la souveraineté est à 60% dans les sondages pour déclencher un autre référendum.

Un climat de panique règne à Ottawa. On déploie les armes lourdes contre le Québec : Loi sur la Clarté, programme des commandites, menaces de partition, etc. Bay Street et Wall Street se mettent de la partie.

Dans un article paru dans le journal Les Affaires du 5 novembre 2005, Lucien Bouchard a révélé comment, à la fin juin 1996, il était accouru à New York – dans un avion loué pour que la chose demeure secrète – pour rencontrer les financiers de Wall Street qui menaçaient de décoter le Québec.

« Nous nous sommes retrouvés devant quatre analystes, manifestement sceptiques. J’avais l’impression d’être devant un tribunal, raconte Bouchard. Je leur ai demandé de nous donner une chance puisque nous avions la ferme intention de remettre de l’ordre dans les finances. Au bout de trois ou quatre heures, ils nous ont dit de repartir, qu’ils allaient réfléchir et nous téléphoner. L’appel est entré le lendemain : le Québec n’était pas décoté, mais il était sous surveillance étroite. »

On peut, à juste titre, traiter Bouchard de capitulard. Et nous l’avons fait à de nombreuses reprises. Mais on ne peut extraire sa décision du contexte post-référendaire et de la campagne menée par Ottawa et les milieux d’affaires nord-américains contre le Québec.


Le cas du libre-échange

Élargissons encore le débat sur l’introduction du néolibéralisme au Québec. On pourrait affirmer, à bon droit, qu’elle coïncide avec le premier traité de libre-échange avec les États-Unis.

Les indépendantistes pourraient s’en laver les mains, en disant que la signature a été apposée sur l’entente par le gouvernement canadien. Cependant, nous savons que les nationalistes canadiens-anglais tiennent les souverainistes québécois politiquement responsables de cette entente parce que le gouvernement Mulroney a été élu avec le soutien du gouvernement Lévesque dans le cadre du « beau risque » et que des figures de proue du mouvement souverainiste ont appuyé le libre-échange.

Là encore, il faut reculer dans le temps. L’option de « jouer les États-Unis contre le Canada » avec le libre-échange était une réaction politique au rejet par le Canada anglais de la proposition de souveraineté-association du gouvernement Lévesque lors du référendum de 1980.

Dans le Livre blanc expliquant la souveraineté-association, il était clair que le gouvernement du Parti Québécois proposait au Canada anglais une alliance Québec-Canada sur de nouvelles bases pour contrer la domination américaine.

On connaît la suite. Avec Trudeau à sa tête, le Canada anglais a combattu férocement les forces souverainistes lors du référendum et a imposé par la suite au Québec le rapatriement de la Constitution avec sa Charte des droits, dont un des objectifs explicites était d’invalider plusieurs dispositions de la Loi 101.

Autrement dit, les périodes qui sont suivi les deux défaites référendaires ont constitué deux moments « clefs » de l’imposition du néolibéralisme au Québec.

C’est pour ces raisons que la lutte contre le néolibéralisme s’inscrit, aujourd’hui comme hier, dans le cadre de la lutte nationale.


Reconfiguration des forces politiques

Dans la conclusion de son article, Pierre Mouterde parle de la situation actuelle, avec la lutte étudiante en toile de fond, comme étant « une époque de reconfiguration des différentes forces sociales et politiques ». Nous sommes d’accord.

Mais les tenants de la lutte contre le néolibéralisme doivent arrêter de faire abstraction de la situation du Québec au sein du Canada et lier, dans un seul combat, lutte d’émancipation sociale et de libération nationale.

Présentement, les États généraux sur la souveraineté offrent un cadre d’échanges, de débats et d’analyse qui devrait permettre « de mettre de l’ordre dans une multitude d’idées » et, espérons-le, jeter les bases pour unifier la lutte contre le néolibéralisme et la lutte pour l’indépendance nationale dans un seul mouvement libérateur.

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