Qu’est-ce qui commence?

2012/06/04 | Par Jacques Beaumier

Es-ce l’omniprésence du long conflit étudiant dans les médias ou le vacarme des casseroles pour protester contre la loi 78 qui a fait passer le début des assises régionales des États généraux sur la souveraineté du Québec presque inaperçu?

Les commissaires semblent avoir senti le besoin d’intervenir pour corriger le tir dans un article publié dans Le Devoir ( Conflit étudiantNous sommes arrivés à ce qui commence. 30-05-12 ). Le statu quo ne parvient plus à garantir la paix sociale, constatent-ils. Nous revoilà dressés les uns contre les autres, dans un face à face de deux Québec, déplorent-ils, mais heureusement unis autour d’une valeur immortelle, la liberté.

Une division qui leur rappelle celle du projet souverainiste qui a aussi divisé le Québec entre d’une part les obsédés du fédéralisme renouvelé et d’autre part les exaspérés du grand soir sans cesse reporté.

Cette opposition, à force égale et à résultat nul, nous aurait fait abandonner la politique pour nous rabattre sur l’économie, un transfert qui se serait produit quand même, devons-nous en déduire, puisqu’ils reconnaissent qu’il en fut de même ailleurs.

Ce premier blocage, intérieur, soulignent-ils, a entraîné désabusement, cynisme et dépolitisation jusqu’à la présente manifestation de colère qui risque de se changer en amertume si elle demeure dépourvue d’un cadre pour trouver sa cohérence.

À l’heure de l’ouverture toujours plus grande des marchés, nous disent-ils, le statut indéterminé du Québec laisse le champ libre à encore plus de dépossession et de perte de souveraineté populaire, ce qui les amène directement à l’adoption de la Constitution canadienne il y a 30 ans, déni flagrant de cette souveraineté populaire.

Nous n’en apprendrons pas davantage sur les blocages intérieurs, car ils poursuivent en nous présentant leur document produit aux fins de discussion dans les assemblées des États généraux.

Ce document porte essentiellement sur les blocages extérieurs provenant du régime fédéral canadien qui font obstacle au plein épanouissement du Québec. Ils bouclent leur raisonnement en concluant que ces blocages externes découlent de cette incapacité à penser le Québec essentiellement libre. D’où l’importance accordée à la notion de liberté au départ de leur raisonnement.


On ne s’entend pas sur ce qui meurt

On ne s’est pas rabattu sur l’économie parce que le politique stagnait, mais bien parce qu’on nous a imposés, comme ailleurs, la rupture du pacte survenu au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale entre le Capital et le Travail pour ne plus avoir à revivre les affres de la Grande Dépression.

Le patronat s’était résigné à partager la richesse pour assurer la croissance économique en assurant des salaires qui permettront aux travailleurs de participer à la consommation, d’où en sortira la classe moyenne.

En retour, les travailleurs leur assuraient la paix industrielle pendant les termes de la convention collective. L’État viendra assurer la viabilité de ce pacte en intervenant pour atténuer les fluctuations de l’économie, suppléer aux carences du marché, redistribuer la richesse et réglementer pour civiliser le Capital. La valeur immortelle à la base de ce système était la justice.

Ce qui meurt, nous dit Éric Pineault, (Le printemps de force.) c’est le modèle néolibéral qui nous a été imposé il y a trente ans pour répondre à la crise de l’État providence où l’économie stagnait, déchirée entre inflation et chômage.

Selon d’autres analyses, c’est le Capital qui en a eu assez d’avoir à payer pour les besoins exprimés par les populations et comblés par l’État, d’où son surnom d’État providence.

Avec le recul du temps, on sait maintenant que le modèle de développement néolibéral se serait imposé au Québec, comme partout ailleurs, même si nous avions obtenu notre indépendance en 1980. Nous nous serions vus forcé d’approfondir les politiques néolibérales, comme partout ailleurs, après l’échec de 1995 aussi.

Le monde était néolibéral. Ce n’est donc pas l’affaiblissement du projet souverainiste qui a permis aux politiques néolibérales de s’imposer « parce que se délitaient au même moment les traditionnelles alternatives politiques du Québec, et d’abord celle proposée par le PQ à travers son projet de souveraineté » (P. Mouterde, Les origines d’une rébellion printanière.).

Il n’est pas juste, non plus, de répliquer ( Pierre Dubuc, Contribution à l’analyse du conflit étudiant. ) qu’il est difficile de comprendre l’avènement du néolibéralisme au Québec sans référence au Canada.

Bien sûr, les échecs référendaires ont été des moments favorables à l’implantation du néolibéralisme au Québec, mais même sans le Canada, le néolibéralisme se serait implanté, comme ailleurs.

Selon Pineault, ce qui meurt c’est un modèle de développement qui promettait la prospérité à tous par la déréglementation des marchés et la réduction du rôle de l’État, mais qui n’a plus qu’à nous offrir de nous résigner aux mesures d’austérité.

Ce qui meurt, pourrions-nous ajouter, c’est un système basé sur la valeur immortelle de la liberté qui a donné la libéralisation des marchés entraînant la délocalisation des industries, la déstructuration des économies locales, les déréglementations qui ont affaibli les lois du travail et les lois environnementales.

Ce qui meurt, c’est le règne de la liberté totale du Capital, qui a mis à mal le bien commun entraînant l’affaiblissement des parlements au profit des marchés. De là sont venus le cynisme et la dépolitisation des populations.

Ce qui a tout changé c’est la crise financière de 2008 qui a démontré la faillite de ce modèle de développement, faillite qui se poursuit avec pour seule perspective d’avenir, l’austérité.


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