Couverture médiatique du phénomène de la violence

2012/06/12 | Par Monique Hamel

L’auteure est pédagogue et chercheure

Je vous écoute tous les jours et je me pose la question suivante : pourquoi êtes-vous si frileux, voire peureux, vos collègues de la télévision de Radio-Canada et vous, à dénoncer la violence et la brutalité policière?

Il aura fallu 110 jours de grève et de manifestations pour que vous fassiez un reportage un peu plus en profondeur sur la brutalité policière, pour que vous nous donniez des nouvelles de jeunes et de citoyens estropiés. J’ai de la difficulté à comprendre.

Exemples

À Québec, le 31 mai au soir, un de vos collègues a reçu un coup de matraque et le lendemain… une simple mention à RDI matin, sans commentaires ni questionnements;

des personnes âgées ont été matraquées à Montréal au mois de mai (suffisamment pour être transportés à l’hôpital) et les différents médias n’ont pas jugé cet évènement digne de mention;

des journalistes de CUTV ont reçu, entre autres, un coup de matraque à la tête et au doigt (probablement fracturé) ainsi que du poivre de cayenne dans les yeux à plus d’une reprise alors qu’ils étaient bien identifiés;

lors de l’arrestation massive du 23 mai à Montréal, entre autres, une personne handicapée en fauteuil motorisé était prise en souricière et les policiers ne la laissaient pas passer (voir la vidéo sur CUTV);

sans compter tous les exemples d’étudiants et de citoyens estropiés amenés par Amir Khadir comme médecin et politicien depuis plusieurs semaines; etc.

Et enfin, le vendredi 1er juin au soir, vous avez fait un reportage. Pourquoi avoir attendu si longtemps? Pourquoi ne pas couvrir les différentes formes de violence, de répression et d’abus de pouvoir à mesure que cela se présente? Pourquoi un tel empressement et une telle couverture lorsqu’il y a des vitres brisées ou du vandalisme? Les personnes blessées ne devraient-elles pas passer en priorité? Cela ne vous indigne-t-il pas?

Puis, lorsque vous mentionnez les abus policiers, pourquoi permettre aussitôt leur justification? Vous viendrait-il à l’esprit de justifier la violence d’un père, d’un conjoint ou d’un passant? Pauvres eux, ils sont fatigués… faut les comprendre.

La violence physique est toujours injustifiable et seules les associations étudiantes l’ont clairement dénoncée, la CLASSE comme les autres.

Sur cette question, à de rares exceptions près, vous vous trouvez à légitimer la violence des policiers et, en parallèle, à condamner la simple parole d’étudiants pacifiques qui, soit dit en passant, tentent désespérément de contrer la désinformation de leurs détracteurs. Quel écart!

En fait, tout est dans le traitement de la nouvelle. Et je ne comprends pas le vôtre.

C’est immensément triste : des dirigeants ordonnent à une jeunesse (de jeunes policiers) d’en matraquer une autre (nos étudiants conscientisés et engagés) pour éventuellement tenter de les criminaliser. Quelle dérive!

Amnistie internationale, l’ONU ainsi que la presse internationale s’inquiètent pour les manifestants… Et vous?

Pouvez-vous véritablement parler d’objectivité journalistique lorsque vous n’osez pas présenter les différents aspects d’une réalité complexe et multiple (le phénomène de la violence)?

D’autant plus, qu’injustement, les plus pacifiques sont régulièrement assimilés aux plus violents.

Au Québec, cette réalité et la pauvreté du regard et de l’analyse médiatiques qui l’entoure sont fort préoccupantes. En agissant de la sorte, vous contribuez à ce phénomène; par votre attitude (le fait d’occulter, d’omettre, de confondre), vous générez de la colère et de la frustration chez les manifestants pacifiques… et un peu partout dans la population (ceux qui vous écoutent et ont encore des attentes)… même ma mère âgée de 92 ans et très lucide est en colère lorsqu’elle s’en rend compte.

Par conséquent, cela devient une forme de provocation insidieuse (non intentionnelle, il va s’en dire) alors que votre seule présence devrait être synonyme de protection pour les manifestants et les citoyens.

Comme journaliste ayant une tribune importante, vous avez une responsabilité; que vous le vouliez ou non, vous êtes des acteurs sociaux et non de simples observateurs.

De plus, êtes-vous au courant du nombre effarants de menaces à l’intégrité physique reçues par ceux et celles qui se mobilisent?

Cela dit, que dire d’un premier ministre qui personnalise le débat, provoque la division et attise les conflits! Une irresponsabilité innommable!

Puis, je préfère restreindre mon raisonnement devant un ministre de la Sécurité publique qui semble tellement vouloir se venger. S’il vous plaît, soyez vigilants, nuancez vos propos, revérifiez ces faits, adaptez-vous, armez-vous de courage et, de grâce, cessez de confondre émeute et manifestation. Enfin, je ne vous comprends pas.

Par contre, je comprends notre jeunesse et tous ceux qui les appuient de s’indigner… Et je ne peux pas imaginer que vous ne compreniez pas un peu.

Alors, je me pose régulièrement la question suivante : où est votre prétendue objectivité journalistique à nous présenter un portrait juste de la réalité? Parce que de toute façon, il suffit de s’intéresser à la question (recherche et lectures) pour comprendre que l’objectivité n’existe pas.

Voici une citation pertinente : « Il s’agit surtout d’être objectif par la reconnaissance de sa subjectivité et par l’objectivation des effets de cette subjectivité. » (Van der Maren, 1995) De quoi méditer un peu…

J’aimerais bien avoir une réponse même si elle est courte. Le premier ministre a demandé aux citoyens de réfléchir… Réfléchissons.

P.S. Vivement une enquête de votre collègue, Alain Gravel, sur l’ensemble des interventions policières et politiques pendant cette crise!

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