À propos du piège à ours de Charest

2012/06/13 | Par Marc Laviolette et Pierre Dubuc

Respectivement président et secrétaire du SPQ Libre

Dans un texte paru sur le site Internet du Devoir et intitulé « Le monde à l’envers » , Benoit Renaud critique notre texte « Pour éviter le piège à ours de Charest ».

Il résume ainsi notre propos : « Ce sont les mobilisations sociales qui causent l’élection de gouvernement de droite et la politique se limite aux tractations négociées au sommet. »

Dans un long développement, il montre que les mobilisations, auxquelles nous faisions référence dans notre texte – le mouvement étudiant et syndical des années 1970 au Québec et Mai 68 en France –, sont responsables de plusieurs gains importants pour les classes populaires.

Nous ne l’avons jamais nié et n’avons jamais, au grand jamais, condamné les mobilisations populaires. Au contraire, nous avons été parmi les premiers à appuyer la grève du mouvement étudiant et à la donner en exemple au mouvement syndical. (voir Le mouvement étudiant montre la voie au mouvement syndical, 27 mars 2012).

Notre intention n’était pas de faire un bilan des mobilisations populaires au cours de l’histoire, mais d’attirer l’attention sur la stratégie de Jean Charest qui se dessinait. À cet égard, le titre de notre article était éloquent : « Pour éviter le piège à ours de Charest ».

C’est dans cette perspective bien précise que nous condamnions l’appel, à ce moment-ci, à une grève sociale. Est-il besoin de préciser que nous ne sommes pas contre toute grève sociale? Et, que si, malgré tout, une grève sociale se déclenchait, nous serions au premier rang.

Nous traitions donc d’une conjoncture bien particulière où un gouvernement en plein désarroi pourrait chercher à provoquer une crise sociale pour se faire réélire.

Un autre élément important de notre analyse est notre appréciation de la période actuelle. Nous ne sommes plus dans les années 1960 et 1970, alors que les gouvernements occidentaux, motivés, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, par la crainte de révolutions socialistes, étaient prêts à jeter du lest avec des politiques keynésiennes.

Les choses ont radicalement changé par suite de l’écroulement du bloc soviétique et l’avènement du néolibéralisme. Le Grand Capital est à l’offensive. Nous le voyons en Grèce et dans plusieurs autres pays d’Europe. Nous venons de le voir au Wisconsin et dans d’autres États américains. Nous le voyons à Ottawa avec Harper et au Québec avec Charest.

Nous sommes toujours étonnés de constater comment, après des années d’analyse du néolibéralisme par la gauche, celle-ci n’en voit toujours pas les conséquences pratiques!

Cela est patent dans le texte de Benoit Renaud. Il est béat d’admiration devant le mouvement spontané, qu’il voit comme nécessairement victorieux – « le mouvement étudiant gagne sa lutte contre les frais de scolarité et préserve son droit de grève » – sans produire aucune analyse du rapport de forces qui justifie un tel optimisme.

Enfin, last but not least, il reprend un classique de la pensée « économiste » en opposant au mouvement spontané « les tractations électorales négociées au sommet ».

C’est cette négation totale de la lutte politique à laquelle nous nous attaquions. Il est amusant de voir des membres de Québec solidaire comme Benoit Renaud nier toute spécificité à la lutte politique et aux négociations entre partis politiques, alors qu’ils réclament à hauts cris un mode de scrutin proportionnel, dont une des caractéristiques fondamentales est justement des « tractations au sommet » pour la formation de gouvernements de coalition!

Benoit Renaud conclut son texte en affirmant que, pour mettre en échec la loi 78, « il faut résister sur les campus et dans la rue ». Fort bien. Mais il y a aussi une autre avenue. Former une coalition électorale la plus large possible pour battre le gouvernement Charest et mettre au pouvoir le Parti Québécois.

Après tout, Mme Marois n’a-t-elle pas promis d’annuler la hausse des droits de scolarité! Et le PQ promet également d’organiser le Sommet sur les universités réclamé par les organisations étudiantes. À cette occasion, le PQ mettra de l’avant l’indexation des droits de scolarité. D’autres, dont le SPQ Libre prôneront la gratuité scolaire dans le contexte d’un Québec indépendant.

M. Renaud est-il prêt à appuyer cette idée de coalition, ou bien se contente-t-il, comme il l’exprime dans la conclusion de son texte, d’ « encourager la volonté de résistance », même si « la grève sociale n’est peut-être pas à nos portes »!

Nous pourrions ajouter : tout comme l’élection d’un gouvernement de Québec solidaire « n’est peut-être pas à nos portes », comme on l’a vu dans Argenteuil, alors que son candidat a récolté 2,70% des suffrages et a terminé en 5e position, derrière même le Parti Vert!

Consultez notre dossier :
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