Rwanda: le leurre promotionnel du leadership féminin

2012/06/13 | Par Emmanuel Hakizimana Ph.D. et Perpétue Muramutse

L’auteur est président du Congrès rwandais du Canada (CRC)
Perpétue Muramutse est coordinatrice du Réseau international des femmes pour la démocratie et la paix (RIFDP) –Section Canada


La ministre rwandaise du « Genre et du développement familial » est au Canada. Ce dimanche le 10 juin, elle a tenu une conférence à Ottawa sur le thème de comment le leadership est essentiel dans la promotion de l’égalité des sexes et le renforcement du rôle de la femme. Des sources à Kigali affirment aussi qu’elle serait venue pour préparer une visite imminente du président Kagame au Canada.

Lorsqu’on connait le sort de femmes rwandaises qui ont tenté d’exercer véritablement du leadership, l’on se demande pour quel leadership féminin le gouvernement rwandais fait la promotion. Voici les faits :

En janvier 2010, Mme Victoire Ingabire est rentrée d’exil pour faire inscrire aux élections présidentielles le parti politique dont elle assure la présidence, les Forces Démocratiques Unifiées. Non seulement le gouvernement rwandais ne l’a pas laissée participer aux présidentielles d’août 2010, mais aussi il l’a arrêtée et incarcérée en novembre 2010 sous les accusations farfelues d’actes de terrorisme, de divisionnisme et d’idéologie du génocide.

Elle a rejoint en prison plusieurs autres leaders des partis d’opposition dont Me Bernard Ntaganda et Déo Mushayidi, respectivement président du PS-Imberakuri et du PDP-Imanzi. Le 16 avril 2012, elle a décidé de boycotter son procès suite aux multiples intimidations que subissaient ses témoins et ses avocats.

Dans un pays où aucun opposant ne gagne de procès, il n’y a pas de doute qu’elle sera condamnée à de lourdes peines.

Depuis juillet 2011, deux femmes journalistes, Saidati Mukakibibi et Agnès Nkusi Uwimana, croupissent en prison pour avoir critiqué le président Kagame et son gouvernement dans leur hebdomadaire Umurabyo.

Voilà le traitement que subissent les femmes rwandaises qui veulent exercer un véritable leadership et ne pas se soumettre à Paul Kagame.


Viols, crimes de guerre et crimes contre l’humanité

Le régime rwandais présente souvent son parlement à 50% féminin comme un signal de promotion du rôle des femmes et de leur respect. Mais il continue de soutenir des rébellions où la majorité des victimes sont des femmes et des enfants et au cours desquelles le viol est utilisé comme une arme de guerre.

Les femmes rwandaises au gouvernement et au parlement ne se sont jamais opposées à cette stratégie, n’ayant qu’un rôle de figurantes dans ces institutions et craignant de s’attirer les foudres du général Kagame qui les y a cooptées.

En effet, la visite de la ministre Inyumba intervient au moment où le gouvernement congolais et des organisations de défense des droits de la personne accusent le Rwanda de soutenir les rebelles qui sévissent dans l’Est de la République Démocratique du Congo.

L’organisation américaine Human Rights Watch affirme que le Rwanda fournit hommes et munitions à Bosco Ntaganda qui est à la tête d’une mutinerie dans la région du Kivu et contre qui la Cour pénale internationale a lancé un mandat d’arrêt pour crimes de guerre.

Le porte parole du gouvernement congolais, M. Lambert Mende, a déclaré que « le territoire du Rwanda a servi à la préparation et à la perpétration d'une conspiration ». On estime entre 200 et 300 le nombre de combattants, dont des mineurs, qui ont été recrutés au Rwanda pour le compte de Bosco Ntaganda.

Rappelons que deux autres chefs de guerre qui sont aussi sous le coup de mandats d’arrêt internationaux pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, Laurent Nkunda et Jules Mutebusi, sont hébergés par le Rwanda.

Rappelons aussi qu’en octobre 2010, les Nations Unies ont publié le rapport Maping sur les crimes commis au Congo par l’armée de Paul Kagame sur les populations congolaises et des réfugiés hutus rwandais, entre 1993 et 2003. Ce rapport conclut que ces crimes peuvent être qualifiés de génocide s’ils étaient jugés par un tribunal compétent.

Cet état de fait, ajouté à la persécution des femmes journalistes indépendantes et des opposantes du régime de Kagame, discrédite complètement le message véhiculé par la ministre Inyumba de promotion du leadership féminin.

Si le régime rwandais veut réellement mettre en valeur les droits des femmes, il doit d’abord cesser sa politique du pire, celle de violer constamment les droits de la personne et d’entretenir des guerres dans la région des Grands Lacs africains où la plupart des victimes sont des femmes et des enfants.

Quant à la visite de Kagame qui serait imminente, elle mettrait certainement à rude épreuve la crédibilité du Canada. Comment le gouvernement canadien expliquerait-il qu’après avoir contribué à la chute de Kadhafi en Libye au motif de mettre fin au massacres de civils non armés, il accueillerait à bras ouverts le pire dictateur que l’Afrique ait jamais connu et dont le macabre bilan se chiffre maintenant à plus de cinq millions de victimes?

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