Centrale hydroélectrique à Val-Jalbert

2012/07/31 | Par Fondation Rivières

Le rapport du BAPE rendu public le 13 juillet dernier suite aux audiences publiques concernant le projet de construction d’une centrale hydroélectrique sur le site patrimonial du Village historique de Val-Jalbert ne reflète aucunement l’opinion des citoyens et ne répond pas à leurs questionnements.

Quelques 73 % des 35 mémoires déposés mentionnaient une opposition au projet et des appréhensions. Les Commissaires ont plutôt relaté les déclarations du promoteur sans se prononcer sur leur exactitude et sans exiger d’engagement ou de corrections. Les exemples sont nombreux.


Une rivière et deux chutes asséchées

Le rapport entérine sans analyse ou contre-expertise un débit minimal de 0,3 m3/s dans la rivière Ouiatchouan sur une distance d’un kilomètre, et ne se prononce aucunement sur cette perte d’attrait pour les randonneurs. Aucune considération pour les « humains » qui seront confrontés à ce lit de roche !

Le débit naturel minimal y est pourtant de 4,3 m3/s. L’ancien promoteur offrait de garder 2,0 m3/s. Pourquoi ne pas questionner ce débit insignifiant de 0,3 m3/s alors que le débit moyen est de 16 m3/s ? Tout au plus la Commission considère qu’il ne s’agit que d’un « milieu de transition » pour les poissons et recommande qu’un « suivi » soit fait pendant cinq ans, une fois que les travaux seront terminés !

La Commission constate que le promoteur n’a pu documenter adéquatement cette portion de la rivière et n’exige pourtant aucune étude additionnelle ni engagement contractuel du promoteur au maintien de la libre circulation des poissons ni dédommagement en cas de mortalités. Des travaux additionnels d’aménagement en rivière s’imposent pourtant compte tenu des risques évidents décrits par le promoteur lui-même.

La majestueuse chute Ouiatchouan ne coulera plus qu’à la moitié de son débit normal lors des heures d’ouverture du Parc : 7 m3/s au lieu des 13 m3/s actuels en été. Les Commissaires présentent les débits de la figure 5 du rapport en « débit moyen quotidien » alors qu’il s’agit de débits de jour seulement, ce qui trompe totalement la perception puisque le débit le matin, le soir et la nuit ne serait que de 0,3 m3/s. Les chutes Maligne et Ouiatchouan et les cascades de la rivière seraient alors réduites au silence.


Un parc souvent fermé

La chute coulerait à un débit fixe de 7 m3/s pendant 1 858 heures par année, pendant que le Parc est ouvert, soit 21 % du temps. Si le Parc souhaite modifier son horaire et obtenir de l’eau dans la chute, il devra faire la demande un an d’avance selon la proposition avalisée par la Commission ! Une banque de 200 heures est maintenant en négociation mais il est trop tard : le contrat a été signé tout juste avant les audiences, aucune clause de négociation n’est prévue et le BAPE ne recommande rien.


Des bénéfices incertains

Les citoyens n’ont toujours pas l’heure juste quant aux bénéfices réels que pourrait procurer le projet. Le promoteur a présenté des informations économiques incomplètes et trompeuses, notamment sur la rentabilité du projet en n’actualisant pas les coûts, à un tel point que les Commissaires n’ont pas été capable de statuer sur la rentabilité réelle du projet sur 20 ans.

Les données sur 25 ans sont donc aussi présentées à la page 67 à côté de celles sur 20 ans. Le contrat avec Hydro-Québec n’est que de de 20 ans et les tarifs subséquents ne sont pas connus. La Commission n’aurait-elle pas dû signaler cette situation et s’adjoindre un fiscaliste ?

Les prévisions de rentabilité sont donc plutôt aléatoires, d’autant plus que les coûts de construction n’ont pas été mis à jour depuis 2009 malgré les nombreuses modifications apportées au projet (déplacement du barrage et du bâtiment, mesures compensatoires, etc.).

Il faut noter que le promoteur a élaboré ses rapports sur des estimations de 2009 non-actualisées. Le document DA15 qui présente des données actualisées montre des bénéfices réels beaucoup moins élevés qu’annoncés. Par exemple, à la dixième année, les bénéfices ne seraient que de 231 501 $ (équivalent 8,42 $ par citoyen par année) et non de 414 583 $. Sur 20 ans les bénéfices baissent ainsi drastiquement de 30 à 13 M$. Pourquoi le BAPE n’a-t-il pas traité cet aspect ?


Des contrats sans appel d’offres

La Commission souligne en page 19 que la Société de l’énergie communautaire du Lac-Saint-Jean est un organisme « 100 % public » et en page 65 que la Société énergie hydroélectrique Ouiatchouan doit « respecter les règles gouvernementales concernant l’adjudication des contrats municipaux ».

Or, la liste des contrats attribués déposée par le promoteur au BAPE fait état de quatre contrats attribués de gré à gré. Le promoteur a créé un véritable bar ouvert pour les honoraires d’ingénieurs et autres professionnels, notamment avec la société en commandite Développement Pekuakami Ilnuatsh (D.P.I.) qui fournit au promoteur les bureaux (loyer) et le personnel, incluant un conseiller technique dont la place d’affaires est au Costa Rica.

Un autre mandat d’importance a été attribué au consortium BPR/Harvey-Tremblay pour les services professionnels d’études préliminaires et les plans et devis. Ce mandat prévoit l’ajout de tous les honoraires supplémentaires requis, sur une base horaire, pour toute autre activité, notamment la couteuse surveillance des travaux. Pourquoi le BAPE n’a-t-il pas émis un seul commentaire ou recommandation sur cet aspect puisqu’il s’agit de fonds publics ?


Des documents inaccessibles et des informations cachées

Le BAPE n’a pas demandé au promoteur les estimations de coûts sous forme de bordereau de soumission pourtant demandé par la Fondation Rivières dès février dernier. Ce document aurait permis de valider les travaux inclus au projet.

Le promoteur était de surcroit en processus d’appel d’offres pour l’achat des turbines au coût de quelques millions $ pendant le déroulement du BAPE. Quel est le résultat de cet appel d’offres ? Est-il conforme aux estimations de coûts initiales ?

Autre exemple : En mai 2011 les membres des conseils des deux MRC ont voté sans avoir en mains le plan d’affaires de Samson Bélair/Deloitte & Touche (il est daté de juillet 2011). D’ailleurs, la date de production des projections financières (le 29 juin 2011) porte à croire qu’elles n’étaient pas disponibles lors du vote. Est-ce normal ? Le vote sur le règlement d’emprunt fut par conséquent basé sur des estimations de coûts datant de 2009, incluant des imprévus à la hauteur de seulement 10 %.


Une perte considérable pour Hydro-Québec

Hydro-Québec achètera l’électricité à 8 ç/kWh et paiera en plus 4 ç/kWh additionnels pour son transport, sa distribution et son emmagasinement, donc 12 ç/kWh au total. Les surplus d’électricité sont actuellement exportés à seulement 4,7 ç/kWh selon les résultats du dernier trimestre.

Les pertes pour Hydro-Québec Distribution se traduiront inévitablement par une hausse des tarifs estimées à plus de 40 M$ sur 20 ans pour le seul projet de Val-Jalbert. La Commission n’a pas traité cet enjeu économique pourtant au cœur d’un véritable développement durable : pourquoi détruire un majestueux site et faire payer l’ensemble de la collectivité pour le bénéfice de quelques-uns ?


Un site patrimonial altéré

Une centrale « à l’allure contemporaine » construite à proximité du Vieux Moulin, en plein cœur d’un village figé en 1927 ne constitue-t-il pas un anachronisme flagrant ? La Commission s’en remet aux efforts du promoteur déclarant que le site a déjà servi à des fins de production énergétique et évacue toute possibilité de perte d’achalandage suite à une baisse d’intérêt pour le site. Elle souligne longuement les étapes franchies à ce jour et l’état financier du Parc.

L’investissement de 19 M $ en 2009 des gouvernements du Québec et du Canada en vue de mettre en valeur ce site patrimonial, la 2e attraction touristique de la région, n’est-il pas compromis ? Qu’en pensent les ministères ayant dédié un tel budget sur ce joyau historique ? Les touristes venant de l’extérieur de la région (81 % des visiteurs) et payant 24 $ en droits d’entrée apprécieront-ils voir une « chute à piton » et une rivière artificialisée ? L’affluence souhaitée sera-t-elle compromise ? Ne détruit-on pas aussi une opportunité de développement dans le tourisme de plein air ? Pourquoi la Commission n’a-t-elle pas recommandé une véritable consultation publique basée sur des informations complètes ?


Le mémoire intégral de la Fondation Rivières peut être consulté sur le site du BAPE en cliquant ici.

La Fondation Rivières est un organisme à but non lucratif dont la mission est d’œuvrer à la préservation, la restauration et la mise en valeur du caractère naturel des rivières – tout autant que de la qualité de l’eau.

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