L'amiante, la fibre électorale de Charest

2012/07/31 | Par Kathleen Ruff

Décidément, le gouvernement Charest a la fibre d'amiante à coeur. Voilà pourquoi il s'évertue à vanter les mérites du prêt de 58 millions de dollars qu'il vient de consentir aux propriétaires de Mine Jeffrey dans le but de rouvrir sa gigantesque mine d'amiante à Asbestos et d'en prolonger la durée de vie d'une vingtaine d'années.

Mais pourquoi a-t-il consenti un prêt de 58 millions à Mine Jeffrey au lieu de la garantie de prêt qu'il avait annoncée préalablement?

Est-ce en raison d'un manque flagrant d'intérêt de la part des grandes banques canadiennes pour ce projet de relance de la mine d'amiante? Le projet est-il trop risqué aux yeux des banquiers? Est-ce parce que les banquiers craignent de s'associer à un projet qui a mauvaise presse à l'échelle internationale? Serait-ce en raison d'exigences trop gourmandes (taux d'intérêt) de la part des institutions financières? Ou se peut-il, comme le laissent entendre ses adversaires politiques, que le gouvernement Charest fasse un cadeau préélectoral aux propriétaires de Mines Jeffrey et aux partisans libéraux de la région?

Aucune de ces réponses n'est bonne!

Pourquoi donc accorder un prêt au lieu d'une garantie de prêt? Voici la réponse que Jean-Pierre D'Auteuil, porte-parole du ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation, a fait suivre à La Presse Affaires.

«Le gouvernement du Québec a agi de la sorte pour accélérer le processus de relance de Mine Jeffrey. Il s'agit d'un projet majeur qui permettra la création de 425 emplois à temps complet. Le projet permettra aussi le maintien de nombreux emplois indirects dans une région fortement tributaire de cette activité économique. En plus des redevances minières usuelles, Mine Jeffrey versera annuellement 1,5 million au gouvernement du Québec, pour un montant de plus de 25,5 millions, dont les premiers 7,5 millions serviront à créer un fonds de diversification pour la municipalité régionale de comté des Sources.»

Voilà donc pourquoi le gouvernement du Québec a jugé préférable d'accorder à Mine Jeffrey un prêt de 58 millions, et ce, par l'entremise du programme Interventions relatives au Fonds du développement économique (FDE) du ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation.

J'ai demandé à M. D'Auteuil de me donner des précisions sur les conditions assorties au prêt de 58 millions, à savoir le taux d'intérêt, le terme et les conditions de remboursement.

Sa réponse: «Je n'ai pas ces infos malheureusement...»

Je me suis alors tourné vers Gabrielle Tellier, l'attachée de presse du député de Richmond et ministre des Affaires intergouvernementales canadienne, Yvon Vallières, qui avait annoncé ledit prêt de 58 millions.

Sa réponse: «On ne donne pas ce genre d'information sur les conditions du prêt, simple question de protéger la compagnie [Mine Jeffrey] contre ses concurrents».

On nous prend vraiment pour des valises, me suis-je dit. Entre nous, je ne suis pas certain que ce genre de réponse, absolument vide de contenu et de sens, rende service à Mine Jeffrey et aux partisans de sa relance. Ça laisse entendre que le gouvernement Charest a des choses à cacher. Ça va être beau lors de la prochaine campagne électorale lorsque les candidats de l'opposition vont se servir de ce prêt comme munition pour décrier les libéraux de M. Charest.

Cela dit, le gouvernement Charest donne carrément l'impression qu'il n'en a que faire des opposants qui brandissent à la grandeur de la planète les risques liés à l'amiantose [également nommée asbestose], cette maladie pulmonaire causée par l'inhalation de fibres d'amiante. Parenthèse: les principales causes de mortalité chez les personnes atteintes d'amiantose sont les cancers broncho-pulmonaires et le cancer de la plèvre (enveloppe des poumons). Chaque année, des milliers de personnes ayant été exposées aux fibres d'amiante meurent prématurément. C'est ce qui explique d'ailleurs pourquoi la France interdit le produit depuis maintenant une quinzaine d'années . L'Union européenne a emboîté le pas en 2005. Pour sa part, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande de remplacer l'amiante par d'autres produits quand c'est possible. Comme aucun traitement de l'amiantose n'existe, il faut compter sur des normes strictes d'exposition à l'amiante pour se protéger.

Bien que l'amiante soit banni dans une cinquantaine de pays, le gouvernement Charest, lui, persiste à croire que l'amiante est sans danger quand il est manipulé de façon sécuritaire. Et il tente de convaincre le monde entier qu'il a raison. Malgré la mauvaise presse dont est l'objet l'amiante à l'échelle planétaire, le produit n'en continue pas moins d'être en grande demande, notamment en Inde et en Indonésie.

L'opposition péquiste ne voit pas l'amiante du même oeil positif. Le PQ s'inquiète des risques de l'amiante chrysotile sur la santé. Selon une étude de l'Institut national de santé publique du Québec publiée en 2011, explique la porte-parole péquiste en matière de mines, Martine Ouellet, l'exposition à l'amiante est encore mal contrôlée dans plusieurs milieux de travail (usines de produits en amiante, construction, entretien et réparation).

Outre le PQ, il y a aussi Québec solidaire qui s'oppose farouchement à la relance de la mine d'Asbestos, le NPD, en plus des familles de travailleurs morts de maladies liées à l'amiante, de la Société canadienne du cancer, des médecins et d'une centaine de scientifiques de 28 pays.

Au diable la critique. Le gouvernement Charest a récemment signé un accord de coopération avec l'Inde pour échanger l'expertise en matière d'utilisation sécuritaire des ressources minérales, dont le chrysotile. L'Inde est le principal client de Mine Jeffrey, affirme son PDG, Bernard Coulombe.

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