On n’a pas les moyens de jouer du piccolo !

2012/08/03 | Par Michel Rioux

L’auteur est syndicaliste

Deux textes d’opinion parus dans Le Devoir du 1 er août m’ont amené à remettre en question les démarches que je comptais entreprendre en vue d’une demande d’asile politique en Somalie, en cas de réélection des libéraux de Jean Charest…

Le déclenchement des élections met en effet les citoyens face à une responsabilité à laquelle, force est de le constater, plusieurs tentent d’échapper en s’adonnant à ce qui s’apparente davantage à des sauts carpés arrière, comme on en voit aux Olympiques, qu’à une prise en compte du réel.

La chose étant admise, à savoir que le règne des libéraux de Jean Charest a suffisamment mis à mal le Québec économique, social et culturel, le vote du 4 septembre sera-t-il un vote « authentique » ou bien « stratégique », comme l’établit Julien Boucher dans son texte ?

La pire des analyses, et aussi la plus néfaste, consiste à nier la réalité des choses et à oublier ce qu’en disait l’autre, soit que les faits sont durs, mais que ce sont les faits.

Quels sont-ils, ces faits ?

Ils sont connus de quiconque suit d’un peu près l’actualité et le lot de scandales qu’elle charrie : le cynisme d’un homme et de son parti érigé en système ; la corruption comme mode de fonctionnement quotidien dans l’organisation de la vie politique ; les fréquentations plutôt douteuses des libéraux avec les fournisseurs de leur caisse électorale ; nos richesses naturelles bradées à vil prix à des entreprises, souvent étrangères, alors que l’argent public coule à flot au soutien d’intérêts privés. Et tout le reste dont les journaux nous entretiennent quotidiennement.

Peut-on poursuivre dans cette voie ?

Plusieurs sont convaincus que non. Mais un sondage paru aujourd’hui montre que 24 pour cent des francophones accordent encore leur confiance au parti libéral de Jean Charest ! Un chiffre quand même étrange, après tout ce qui a été révélé au sujet de ce parti. Mais un chiffre qui vient donner toute sa signification au vote du 4 septembre.

On peut déplorer, et je le fais, qu’il n’y ait aucune représentation proportionnelle dans notre système. Mais on ne doit pas, en conséquence, agir comme si un tel système existait. Dans l’état actuel des choses, et avec le spectre d’une quatrième reconduction des libéraux, nous n’avons pas les moyens de nous payer le luxe d’un éparpillement du vote progressiste et souverainiste.

On comprendrait qu’on accorde son vote à la Coalition pour la constituante dans ces comtés de l’Ouest de Montréal qui rappellent les anciens bourgs pourris anglais. Cela y est sans conséquence aucune. Mais dans des comtés où chaque vote risque de déterminer quel parti va être élu, des votes dits « authentiques » ne sont rien d’autre que des votes gaspillés sur l’autel d’un isolement superbe. Être peu nombreux, il est vrai, mais être d’authentiques souverainistes, être d’authentiques démocrates, être d’authentiques progressistes. À 22 chapelles, on ne fait pas une cathédrale. Et qu’on le veuille ou non, seul un parti de masse, un parti de coalition, peut empêcher un retour des libéraux au pouvoir.

Cela relève de la fumisterie que de soutenir que PQ et libéraux, ce serait bonnet blanc, blanc bonnet. Ce qui ne signifie pas que le PQ soit au-dessus de tout soupçon, loin de là. Mais quand on analyse l’état des lieux sur la base de la balance des inconvénients, un seul choix s’impose. Il faut savoir aujourd’hui penser à préserver l’avenir collectif plutôt que de satisfaire une conviction personnelle, dont le prix serait un retour du parti du cynisme et de la corruption. L’heure n’est plus aux distinguos, à la casuistique impuissante, à l’aveuglement volontaire et aux enculages de mouches…

Car ne pas prendre en compte l’ensemble de ces faits, cela équivaudrait, ni plus ni moins, à jouer du piccolo alors que l’avenir du Québec est en cause, à l’exemple de Néron qui jouait de la lyre en regardant Rome qui brûlait.

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