Accréditation syndicale : Legault et le vote obligatoire

2012/08/22 | Par Maude Messier

François Legault a annoncé, en pleine campagne électorale, qu’un gouvernement caquiste modifierait le Code du travail « afin de rendre obligatoire le recours au vote à scrutin secret pour l’accréditation syndicale des travailleurs ».

Un sondage mené pour le compte du Conseil du patronat en mars dernier révèle que les Québécois seraient majoritairement en faveur de la tenue obligatoire d'un vote au scrutin secret dans le cadre d'un processus d'accréditation syndicale. D’après les résultats du sondage, « plus de trois répondants sur quatre, soit 83 % de la population et 77 % des employeurs, pensent qu'il devrait être obligatoire de tenir un scrutin secret lorsque des employés ont à choisir de se syndiquer ou non. »

Les « think tanks » de la droite économique multiplient les études et les publications en faveur du vote secret, un discours enrobé dans un lexique de démocratie syndicale. Or, l’arrimage entre la démocratie, le scrutin secret et la liberté syndicale est trompeur.


Qu’est-ce que le vote secret obligatoire?

Selon les dispositions actuelles du Code du travail québécois, une accréditation syndicale est accordée automatiquement par la Commission des relations du travail (CRT), si 50% plus un des employés visés par la requête ont signé une carte d’adhésion syndicale.

Dans les cas où seulement 35% à 50% des signatures sont obtenues, la CRT organise un vote à scrutin secret auquel sont conviés l’ensemble des travailleurs visés par la requête. La majorité absolue des travailleurs visés doit se prononcer en faveur de l’accréditation pour qu’elle soit accordée.

François Legault, chef de la Coalition Avenir Québec (CAQ), l’Institut économique de Montréal (IÉDM), l’Institut Fraser, le Conseil du patronat et autres défenseurs de la droite économique proposent l’instauration d’un vote secret obligatoire dans tous les cas de requête en accréditation syndicale.

Le vote obligatoire peut sembler tout à fait légitime. La liberté d’exercer son droit de vote n’est-elle pas à la base des principes démocratiques?

Selon les partisans du droit individuel, le régime d’accréditation actuel empêcherait « les travailleurs d’exprimer leur préférence de manière anonyme, à l’abri des pressions que peuvent leur faire subir organisateurs syndicaux et collègues favorables à l’accréditation », comme l’affirme la plateforme électorale de la CAQ.

Le vote obligatoire rétablirait donc, selon le patronat, un équilibre dans le rapport de force entre patrons et travailleurs, le régime actuel favorisant les syndicats.


Le vote obligatoire ne garantit pas la liberté syndicale, bien au contraire

Le régime d’accréditation syndicale québécois prévaut depuis l’adoption de la Loi des relations ouvrières en 1944 par le gouvernement libéral d'Adélard Godbout. Cette loi, largement inspirée de la législation américaine (Wagner Act, 1935), oblige les employeurs à négocier de bonne foi avec un syndicat reconnu et établit un cadre législatif pour ce faire. La loi reconnaissait la représentativité d’un syndicat en fonction du nombre d’adhésions (cartes) et établissait que le scrutin secret ne serait utilisé que pour régler des cas particuliers.

À maintes reprises, la partie patronale et les lobbys d’affaires ont tenté de faire modifier la loi, notamment en 1964 au moment de la rédaction du premier Code du travail et en 1985, lors des travaux de la Commission Beaudry, ainsi qu’en 2001 en vue de la réforme du Code du travail. Chaque fois, la représentativité établie en fonction du nombre d’adhésions a été maintenue parce qu’elle constitue le meilleur moyen de prémunir les travailleurs contre l’intimidation, les représailles et les pratiques antisyndicales déloyales.

Le seul véritable objectif derrière ces charges répétées en faveur du vote obligatoire, c’est la diminution du taux de syndicalisation au Québec. Si la CAQ cache ses intentions derrière le discours sur la liberté de choix des travailleurs, l’IÉDM est bien plus franche: « La majorité des recherches montrent que l’accréditation automatique par signatures de cartes d’adhésion augmente le taux de succès du processus d’accréditation syndicale, alors que le vote obligatoire au scrutin secret le diminue » (Boyer, 2009).

L’exemple des campagnes de syndicalisation des dépanneurs Couche-Tard démontre à quel point l’instauration du vote obligatoire serait désastreuse quant à la liberté d’association des travailleurs. À la CSN, qui vient tout juste de syndiquer un sixième établissement du géant des dépanneurs à Victoriaville, on s’insurge contre les pratiques déloyales de l’entreprise.

Le président de la Fédération du commerce CSN, Serge Fournier, dénonce les campagnes de peur auprès des employés et la fermeture sauvage de deux établissements. « Avec Couche-Tard, nous faisons face à un employeur qui tente par tous les moyens de contrer la syndicalisation, pourtant souhaitée massivement par le personnel. »

En dépit du fait que des requêtes en accréditation soient présentées à la CRT avec une très forte majorité de travailleurs, la CSN croise le fer depuis maintenant deux ans avec un employeur pourtant considéré comme un modèle québécois de réussite en affaires.

La tenue d’un vote secret supposant un délai entre l’annonce et la tenue du vote, on peut alors imaginer toute la latitude dont jouiraient des employeurs comme le propriétaire de Couche-Tard. Intimidation, propagande, menaces de fermeture et représailles feraient à coup sûr partie du décor. Sans compter qu’un scrutin secret suppose une période de temps pour faire prévaloir les points de vus opposés. Les employés militant en faveur de l’accréditation syndicale s’exposeraient à des représailles et au congédiement sans aucune mesure de protection.


Et on parle de liberté d’association…

La Commission Beaudry, en 1985, soutenait que les forces en présence, soit l’employeur et le syndicat en formation, au moment d’une requête en accréditation ne sont pas égales. Le vote secret pourrait avoir pour conséquence d’amplifier indûment l’obstruction et l’intimidation de la part de l’employeur.

Une étude réalisée par le service juridique de la CSN en 2009 rappelle des données colligées à travers le Canada en 2002 dans un processus de syndicalisation. Elles révèlent que 88% des employeurs ont posé des gestes visant à restreindre l’accès du syndicat aux employés, que 68% s’étaient adressés directement aux travailleurs pour tenter de contrer une campagne de syndicalisation. Pire encore, 29% ont usé de mesures de représailles et 12% ont confirmé avoir eu recours à des pratiques déloyales. 32% ont affirmé avoir entrainé leurs cadres afin qu’ils puissent réagir à une campagne de syndicalisation.

En 1976, au Canada, aucun travailleur n’était régi par une loi forçant le vote obligatoire. En 2006, 7 travailleurs sur 10 vivaient dans une province où le vote est désormais obligatoire pour obtenir une accréditation syndicale. Pas étonnant qu’en 2011, le taux de syndicalisation au Québec était de 39,5 % comparativement à 28 % en Ontario, et un peu moins de 30 % dans le reste du Canada.

En 1984, la Colombie-Britannique est passée d’un système d’accréditation par cartes au vote obligatoire. En 1993, elle est revenue au système de cartes. Le taux de succès des campagnes d’accréditation dans le secteur avait chuté de 19% pendant la période du vote obligatoire.


La vague américaine

Aux États-Unis, le faible taux de syndicalisation (environ 12% et près de la moitié moins dans le secteur privé) est principalement dû au régime d’accréditation qui requiert au moins 30% de signature d’adhésions pour qu’un vote soit tenu. Cette procédure de vote ouvre la voie à des mesures de représailles et d’intimidation, sans compter les contestations et les embûches procédurales quant au caractère représentatif d’une accréditation. Elle a permis le développement d’une véritable entreprise antisyndicale, les « union busters ».

Les États-Unis sont fréquemment utilisés comme comparatif pour justifier la « nécessité » d’une refonte du régime d’accréditation québécois, trop généreux dit-on. Or, l’ironie, c’est qu’Obama s’est notamment fait élire sur la promesse de faire adopter le Employee Free Choice Act (EFCA), une loi largement inspirée du régime québécois qui permettrait notamment d’obtenir une accréditation syndicale sans vote obligatoire, si au moins 50% des employés visés par une requête signent une carte d’adhésion.

Les opposants au « card check » se réclament du « droit sacré » des travailleurs de voter, un discours bien connu chez-nous également. Bien organisée et largement enracinée dans le monde des affaires et la sphère politique, l’opposition au EFCA est féroce et a réussi à bloquer toute réforme du Code du travail américain.

Dans une revue de cette lutte à finir publié dans Harper’s Magazine, « Labor’s last stand : The corporate campaign to kill Employee Free Choice Act » (2009), on décrit les alliances idéologiques et politiques et l’ampleur des moyens financiers pour contrer le EFCA. L’article mentionne qu’il est impossible d’en connaître les montants exacts. Mais les registres publics faisaient état, à la fin de 2008, de 126 lobbys dédiés à contrer le EFCA, sans compter les organismes sans but lucratif, lesquels n’ont pas l’obligation de s’enregistrer.

La dernière tentative pour faire adopter le EFCA a échoué en 2009. Chose certaine, si ce n’est que partie reprise pour le mouvement syndical américain, l’opposition dispose de moyens considérables pour bloquer tout projet de loi qui favoriserait la syndicalisation.

Le discours sur le vote obligatoire comme outil de démocratie syndicale n’est pas anodin. Une oreille plus ou moins attentive dans la population entend ce message comme celui du « gros bon sens ». Or, rien n’est plus faux. Mais il est difficile d’en faire la démonstration dans un clip de 30 secondes.

« La CAQ, c’est le haut-parleur du patronat québécois », déclarait le président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), Michel Arsenault, en entrevue à l’aut’journal. Il soutient que les attaques de la CAQ envers les syndiqués menacent également la classe moyenne, cette majorité silencieuse dont on parle tant en campagne électorale : « elle [la classe moyenne] devrait réfléchir avant de donner son vote à François Legault qui va les appauvrir. »

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