Avoir trente ans en Norvège

2012/08/29 | Par Ginette Leroux

Henrik partage la vie de Tone. Ils sont installés dans une coquette petite maison en périphérie d’Oslo. La jeune femme est au début de sa grossesse. On croirait au bonheur parfait, mais Henrik s’enferme dans un comportement adolescent. Il lui crache en plein visage qu’elle doit se faire avorter. Un bébé, ça chie, ça pleure, ça encombre la vie, croit l’immature.

Bien qu’il soit attaché à sa blonde, il aime fanfaronner avec ses amis, s’enivrer, écouter sa musique à pleine tête, faire l’insolent au travail, bref il ne pense qu’à s’amuser.

Tout le contraire de Tone, une jeune femme équilibrée, éditrice de métier. Un soir qu’elle reçoit ses collègues de travail, Henrik embête les invités, raconte n’importe quoi, aligne ânerie sur ânerie, augmente sans raison le volume de la musique. Bref, il s’ennuie. Il quitte brusquement la maison pour retrouver ses amis en plein party « trash ». Là, il trouve son compte. Rigolade assurée, jeu à qui « pisse » plus loin que l’autre, s’enivre le premier, qui saute qui, il finit même par frapper le voisin du dessous, venu se plaindre du bruit. Il ne rentre chez lui qu’au petit matin.

C’en est trop. La future mère ne comprend plus les agissements démesurés de son compagnon. La discussion tourne court : Henrik, au grand désarroi de Tone, minimise la portée de ses actes. Le peu de mots qui sortent de sa bouche ne suffisent plus. Voyant que Tone lui tourne le dos, Henrik s’enfuit chez sa mère.

Henrik retrouve à la maison familiale, une mère-poule qui l’a surprotégé, gâté, qui a aplani pour lui toutes les difficultés de la vie, au point de le rendre dépendant de son amour. Comme d’habitude, elle lui prépare son plat favori. Chez maman, le beau grand garçon redeviendra le centre d’intérêt.

Ce n’est que lorsque, gavé, il s’allonge sur le canapé, chaussé de ses pantoufles en forme de gros toutous à longues oreilles, qu’il est rattrapé par le ridicule de la situation. Ses pieds se livrent une bataille féroce pour réussir à retirer les chaussures confortables, remettre ses souliers et revenir à sa vie de couple. La crise semble résorbée.

NORVÈGE, 80 min.

Notre note :

Est-ce qu’avec la trentaine vient la maturité? Est-ce que les hommes sont d’éternels enfants qui ne réussissent jamais à sortir des jupes de leur mère? Voilà à quoi s’attaque Martin Lund, le cinéaste norvégien.

D’entrée de jeu, Lund, interrogé sur l’écriture de son scénario, au cours de la période « Questions et réponses » qui a suivi la présentation de son film, raconte que le personnage d’Henrik lui est venu après six mois d’observations auprès des jeunes de sa génération.

Selon le trentenaire, les enfants de la Génération Y de son pays, plus scolarisés que leurs parents, mangent à toutes les auges, ont un terrain de jeu beaucoup plus large que leurs prédécesseurs, ne se sentent pas interpellés par leur emploi, s’entêtent à rester dans une adolescence douillette, exempte de responsabilités. Enfermés dans cette bulle depuis trop longtemps, ils parviennent difficilement à l’âge adulte.

Le personnage principal et sa bande ne laissent personne indifférent. Si certains spectateurs lui laissent la bride sur le cou, dans mon cas, il m’a, dans un premier temps, irritée par ses facéties douteuses, ses réactions d’enfant gâté. Puis, tout doucement, il est parvenu à me séduire, car, au fond, il n’est pas entièrement responsable de son comportement.

La société dicte, en quelque sorte, ce dont il faut s’attendre d’un homme adulte. L’enfant grandit et cherche son identité. « Le monde d’aujourd’hui offre beaucoup de possibilités aux jeunes de ma génération. Les choix sont difficiles dans un monde de facilité comme le nôtre », précise Martin Lund.

Sur les attentes maternelles, il y va d’un leitmotiv cher à sa mère. « Elle me trouve toujours trop maigre à son goût et insiste pour que je mange davantage », dit-il à l’instar de la mère de Henrik. Il avoue que parfois l’amour d’une mère peut être dévastateur. Pourtant, constate-t-il, « quand un gars entre chez sa mère, il se dirige à tout coup vers le frigo, ce qui confirme son emprise ».

Comme quoi, un gars reste toujours le fils de sa mère.