L’agenda caché de Legault : la privatisation d’Hydro-Québec

2012/08/29 | Par Pierre Dubuc

La question qui tue : Où Legault va-t-il trouver l’argent pour respecter des promesses électorales de plus de 3,5 milliards $, tout en diminuant les impôts?

La réponse de Legault : en faisant le « ménage » dans la bureaucratie (abolition des commissions scolaires et des agences de santé) et en coupant 7 000 emplois dans la fonction publique, dont 4 000 à Hydro-Québec.

Mais cette réponse n’a pas réussi à convaincre aucun des analystes un tantinet sérieux. Il y a donc anguille sous roche.


La tête de l’anguille

L’anguille a montré le bout de la tête, lorsque fut abordée la question des tarifs d’électricité d’Hydro-Québec.

Au débat des chefs, Legault a dû reconnaître que son cadre financier comprenait la hausse des tarifs du bloc patrimonial prévue par les libéraux, soit un montant de 1,6 milliard $.

Hier, 28 août, en réponse à l’Union des consommateurs, François Legault a déclaré qu’il modifierait la loi sur la régie de l’énergie qui oblige à transformer en baisse de tarifs tout gain d’efficacité. « Il n’y aura pas de baisses de tarifs », a déclaré M. Legault.

Donc, avec la CAQ, on se dirige vers une hausse astronomique des tarifs d’électricité. L’Union des consommateurs l’évalue à 20% et la qualifie avec raison de taxe régressive, frappant plus durement les familles à bas revenus et de la classe moyenne.


L’anguille dans toute sa splendeur

Suppression de 4 000 emplois à Hydro-Québec, hausse considérable des tarifs, la physionomie de l’anguille prend forme. Elle apparaît dans toute sa splendeur lorsqu’on soulève complètement la pierre, c’est-à-dire lorsqu’on aborde la question des « études secrètes » produites par Claude Garcia, sur lesquelles Legault dit s’appuyer pour justifier le « dégraissage » de 4 000 emplois.

Il est possible que ces études n’existent même pas. Mais il existe des études de Claude Garcia prônant la privatisation complète d’Hydro-Québec.

Dans un résumé, publié par l’Institut économique de Montréal, le 29 août 2007, Claude Garcia explique la nécessité de hausser substantiellement les tarifs d’électricité avant de privatiser Hydro-Québec et de l’inscrire en Bourse. Il proposait, à ce moment-là, de hausser les tarifs résidentiels d’électricité à la hauteur de ceux de Toronto, supérieurs de 75% aux tarifs québécois.

Magnanime, Garcia proposait d’étaler cette hausse sur quelques années et précisait qu’« Hydro-Québec n’a pas à être inscrite à la bourse d’un seul bloc ». La division Hydro-Québec Distribution serait la première à être privatisée, suivie par Hydro-Québec Production, dont les actifs pourraient être répartis en quelques groupes. Par la suite, se réjouit Garcia, « les tarifs d’électricité au Québec se rapprocheraient des tarifs du marché en fonction des privatisations successives ».

Enfin, l’anguille apparaît dans toute sa splendeur lorsqu’on constate que l’étude de l’Institut économique de Montréal a deux volets. Le premier de Claude Garcia, dont nous venons de rendre compte, est suivi d’un autre sur le même sujet, signé par Marcel Boyer.

Marcel Boyer est ce « professeur émérite » que Legault a présenté, avec une immense gerbe d’éloges, comme caution au cadre financier de la CAQ.

Wikipédia le présente ainsi : « Marcel Boyer est un économiste québécois. Il est connu pour ses interventions appuyées en faveur du désengagement de l'État au Québec, dont une plus grande place au secteur privé dans le domaine de la santé et la privatisation d'Hydro-Québec. Il est Vice-président et Économiste en chef de l’Institut économique de Montréal, un think tank d'obédience néo-libérale ».

Pas surprenant, donc, que dans l’étude qu’il signe avec Claude Garcia, Marcel Boyer se prononce également pour la privatisation d’Hydro-Québec et une hausse marquée, « au prix du marché », des tarifs d’électricité.

Quand il était au Parti Québécois, François Legault racontait à qui voulait l’entendre, dans les couloirs des instances du parti, qu’il était favorable à la privatisation « partielle » d’Hydro-Québec. Aujourd’hui, il est plus discret. Mais il n’est pas difficile, à quiconque s’ouvre les yeux, de voir que son plan de match mène directement à la privatisation.

Premièrement, attaquer la gestion publique de la société d’État en affirmant qu’il y aurait 4 000 jobs de trop. Le non-dit est que le privé ferait beaucoup mieux en termes d’efficacité.

Deuxièmement, programmer d’importantes hausses de tarifs pour augmenter la valeur de la société avant de l’inscrire en bourse.

Troisièmement, s’acoquiner avec l’Institut économique de Montréal qui ne cache pas son parti-pris idéologique pour la privatisation.

L’IEDM, ne l’oublions pas, est parrainée par Power Corporation de la famille Desmarais. Hélène Desmarais est la présidente du conseil d’administration de l’IEDM.

L’intérêt de Power Corporation pour Hydro-Québec ne date pas d’hier. Créée en 1925, le holding – comme son nom l’indique – avait d’importants intérêts dans l’hydro-électricité qui ont été nationalisés en 1962.

Le holding a diversifié ses actifs avec les sommes versées par l’État du Québec à titre de compensation pour la nationalisation de ses installations hydro-électriques. Remettre la main sur Hydro-Québec, lors de sa privatisation, est sans doute un objectif revanchard de la direction de Power Corporation.

Power Corporation est aussi propriétaire, par l’intermédiaire de Gesca, de La Presse et d’un ribambelle d’autres quotidiens au Québec. On voit que ces médias sont en train de larguer Jean Charest et prendre parti pour la CAQ de Legault. On comprend mieux pourquoi.

Rappel : Dix bonnes raisons de s’opposer à la privatisation d’Hydro-Québec

Premièrement, on laisse croire qu’il résulterait d’une hausse des tarifs une réduction de consommation. On semble oublier qu’une majorité de Québécois sont locataires et que bon nombre de propriétaires s’empresseront de refiler la facture du compte d’électricité au locataire plutôt que de calfeutrer leurs habitations

Deuxièmement, la hausse des tarifs est une taxe régressive. Certains promettent de compenser par des mesures fiscales ciblées pour les plus démunis. Mais leur mise en place entraînerait une explosion des coûts de gestion et de la bureaucratie.

Troisièmement, il ne faut jamais oublier que les taux d’intérêt sur la dette d’Hydro-Québec et du gouvernement sont en-deçà des bénéfices que nous rapporte Hydro-Québec. Il nous en coûterait plus cher en dividendes versés aux futurs actionnaires d’une Hydro-Québec privatisée qu’en intérêts sur la dette. Quel est l’avantage de payer plus en dividendes à des actionnaires que le gouvernement verse en intérêts aux détenteurs de sa dette?

Quatrièmement, la conjoncture change rapidement. Les partisans de la privatisation comptaient, jusqu’à tout dernièrement, sur une réduction de la consommation pour libérer des mégawatts pour l’exportation et encaisser des profits mirobolants. Aujourd’hui, avec l’exploitation du gaz de schiste dans le nord-est des États-Unis et le ralentissement économique, il en va tout autrement. Hydro-Québec a signé un contrat de vente d’électricité au Vermont au prix de 6 cents le kilowatt, alors qu’elle paye 10 cents le kilowatt aux propriétaires de petits barrages et d’éoliennes. Soulignons également qu’Hydro-Québec une petite fortune (13o à 150 millions $ par année) à l'entreprise privée Trans-Canada Energy pour que l’usine thermique de Bécancour ne produise pas d’énergie.

Cinquièmement, il y a quelques années, on proposait de verser les revenus découlant de la privatisation dans le fonds des générations. Il s’est avéré, avec la chute de marchés boursiers, que le fonds des générations n’était pas une si bonne idée. Combien aurions-nous perdu d’argent en mettant une partie du produit de la vente des actions d’Hydro-Québec dans un tel fonds, comme les partisans de la privatisation le proposaient? Une leçon à retenir quand on nous présentera d’autres propositions miracles.

Sixièmement, si plus de 10% de ses actions sont détenues par des intérêts privés, Hydro-Québec perd son statut de société d’État et est assujettie à l’impôt fédéral. Dix-neuf pour cent de ses profits, soit 500 millions $ par année, se retrouveraient alors dans les coffres d’Ottawa.

Septièmement, rien ne garantit que les actions d’Hydro-Québec demeureraient dans les mains de Québécois ou d’institutions québécoises. On a vu au cours des dernières années la Caisse de dépôt se départir de ses actions dans de nombreux joyaux de l’économie québécoise et ne pas intervenir lors de la prise de contrôle de l’Alcan par Rio Tinto.

Huitièmement, des privatisations partielles de sociétés d’État fédérales, comme Petro-Canada ou Air Canada, ont démontré que les actionnaires font pression sur la direction de l’entreprise privatisée pour qu’elle privilégie la maximisation rapide des profits, au détriment d’une planification à long terme et des profits moindres. Rapidement, ils réclameront la privatisation totale de l’entreprise. Hydro-Québec quittera alors la sphère du nationalisme économique pour celle de la financiarisation de l’économie.

Neuvièmement, il est avantageux pour notre société qu’Hydro contribue à divers projets (le transport électrifié, attraction d’entreprises, etc.) en vendant l’électricité à un tarif préférentiel. Les profits sont moindres, mais la société y gagne si on considère les retombées positives en termes d’emploi, de valeur ajoutée et en environnement.

Finalement, dixièmement, l’image de la « poule aux œufs d’or » à propos d’Hydro-Québec est fréquemment utilisée par les partisans de la privatisation. Elle est fort appropriée. Devons-nous leur réciter le reste de la fable de Lafontaine?

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