Harper veut Marois minoritaire

2012/08/31 | Par Pierre Dubuc

Dans l’entrevue qu’elle accorde aujourd’hui au Devoir, avec son co-porte-parole Amir Khadir, Françoise David déclare : « Il y a peut-être une dizaine de comtés où même l’idée du vote tactique a vraiment un impact réel, c’est tout. »

C’EST TOUT?! Vous avez dit : C’EST TOUT, Mme DAVID! Mais c’est la différence, Mme David, entre un gouvernement majoritaire et un gouvernement minoritaire! Pourquoi en minimiser l’impact?

D’autant plus que nos calculs sur la base des prévisions du site Too Close to Call/Si la Tendance se Maintient montrent qu’il faudrait plutôt parler, non pas de dix, mais bien de 15 circonscriptions que le PQ pourrait arracher aux Libéraux et à la CAQ avec un transfert en sa faveur des intentions de vote favorables à Québec solidaire, soit 6 circonscriptions aux libéraux (Bonaventure, Fabre, Jean-Talon, Laporte, Mille-Iles) et 9 à la CAQ (Athabaska, Berthier, Blainville, Drummond-Bois-Francs, Groulx, Iberville, L’Assomption, St-Hyacinthe, Saint-Jérôme). Et c’est sans parler des dix circonscriptions où la majorité péquiste est de moins de 3%.

Croire que le résultat sera si serré que le député ou les deux députés de QS détiendront la balance du pouvoir, c’est de la pensée magique. C’est jouer aux apprentis-sorciers. La véritable « balance du pouvoir » réside aujourd’hui dans 15, voir 25 circonscriptions, où le vote de Québec solidaire et Option nationale peut faire la différence.


Le choix des fédéralistes : un gouvernement péquiste minoritaire

C’est Stephen Harper et tout le camp fédéraliste qui ont dû se réjouir en lisant les propos de la porte-parole de Québec solidaire. Maintenant que pointe à l’horizon la possibilité d’un gouvernement péquiste, tout doit être mis en œuvre pour qu’il soit au moins minoritaire.

C’est ainsi que le National Post, le Globe and Mail et La Presse larguent Jean « Capitaine Canada » Charest et donnent, ce matin, leur appui à la CAQ de François Legault. The Gazette s’apprête à le faire, mais exige d’abord davantage de garanties de Legault pour la minorité anglophone.



Un enjeu majeur : la politique étrangère

Aujourd’hui, 31 août, le Globe and Mail titre en manchette : « PQ set to demand new powers » (Le PQ prêt à revendiquer de nouveaux pouvoirs). Dans l’entrevue qu’elle a accordée au principal journal du Canada anglais, Pauline Marois précise qu’elle demandera une rencontre avec Stephen Harper dans les jours qui suivront la formation de son gouvernement pour exiger que, conformément à sa reconnaissance de la nation québécoise, Harper cède, entre autres, au Québec les pleins pouvoirs en matière de langue, de culture et le rapatriement au Québec de l’assurance emploi. Mme Marois ne cache non plus au Globe son intention de faire du Québec un pays.

Dans l’édition du 30 août du même journal, on évoquait d’autres enjeux, dont on a peu parlé lors de la campagne électorale, mais qui sont d’une importance capitale pour le gouvernement canadien, soit la politique étrangère du Canada.

Après avoir rappelé les attaques de Mme Marois envers le gouvernement Harper à propos des milliards de dépenses militaires pour les F-35 et la construction de navires, dont le Québec défraie le quart de la facture sans en retirer aucun bénéfice, le journal énumérait d’autres importants sujets de friction.

Mme Marois pourrait s’opposer à l’accord de libre-échange Canada-Europe. Elle a déjà dénoncé, rapporte le journal, le gel des budgets à l’aide internationale, le retrait de l’aide aux pays francophones et la liquidation de l’organisme Droits et Démocratie. Mme Marois, rappelle-t-on, a demandé le transfert au Québec de la « part québécoise » du budget de l’ACDI.

Le Parti Québécois dénonce également le retrait du Canada de l’accord de Kyoto et, de façon plus générale, une politique étrangère contraire aux intérêts nationaux du Québec. Le journaliste en conclut que la politique étrangère sera une cible de choix d’un gouvernement péquiste majoritaire et que le meilleur scénario pour M. Harper est l’élection d’un gouvernement minoritaire.


Question linguistique et identitaire : Front commun Fédéralistes et QS

Un autre volet de la plate-forme électorale du Parti Québécois qui déchaîne au Canada anglais les attaques les plus virulentes et haineuses, à la limite du racisme, est la question linguistique et identitaire (Loi 101, citoyenneté québécoise).

Mais, là encore, Harper et tous les fédéralistes vont trouver rassurants les propos d’Amir Khadir et Françoise David rapportés ce matin dans Le Devoir. Interrogée sur les questions où QS pourrait appuyer un gouvernement péquiste minoritaire, Françoise David répond : «  Quand on entre dans les questions de langue, d’identité, de laïcité, on touche à des questions sensibles. Pour le moment, en tout cas, on dit non. »

Vote stratégique, choix personnels et maturité politique

Les prises de position du National Post, du Globe and Mail et de La Presse en faveur de la CAQ de Legault démontrent la capacité de la droite, des anglos et des fédéralistes de faire le choix d’un vote stratégique, quitte à se boucher le nez.

Mais, chez les progressistes francophones, où on peut, en respirant à pleins poumons, appuyer un parti qui défend nos causes, plusieurs vont faire faux bond.

Des étudiants qui ont lutté vaillamment pour le gel des droits de scolarité,

Des démocrates qui réclament le retrait de la loi 78,

Des altermondialistes qui s’opposent au traité de libre-échange avec l’Europe,

Des syndicalistes qui voient avec effroi la possibilité de l’instauration d’un vote obligatoire pour la syndicalisation,

De jeunes familles qui veulent le gel à 7$ des services de garde,

Des familles à faibles revenus ou de la classe moyenne qui pourraient bénéficier de l’abolition de la taxe santé et du gel des tarifs d’électricité,

De farouches défenseurs du français qui, avec raison, décrient l’anglicisation de Montréal et l’urgence d’agir,

Et des indépendantistes à qui s’offre la possibilité de concrétiser leur projet,

vont voter pour un tiers-parti, sans aucune chance de prendre le pouvoir, avec pour seul résultat le risque de l’élection d’un gouvernement caquiste ou d’un gouvernement minoritaire péquiste, les mains liées, avec la balance du pouvoir aux Caquistes et aux Libéraux.

On peut trouver paradoxal que des gens qui disent défendre le bien commun mettent au-dessus de tout l’expression individuelle de leurs préférences, alors que le vote est un geste politique et non un mode d’expression personnelle, comme le signalait fort à propos le cinéaste Bernard Edmond.

Mais, on peut également penser que l’individualisme distillé par l’idéologie néolibérale n’est pas l’apanage de la droite et que tout cela reflète une absence totale de maturité politique.

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